Turquie: encore un coup !
Nouvelle alerte au coup d’État pour le gouvernement islamo-conservateur. Le 16 juin, le parti AKP a porté plainte devant le procureur de la République d’Ankara après la publication dans le journal indépendant Taraf d’un « plan de lutte contre les réactionnaires » destiné, pour commencer, à salir la réputation de l’AKP et du mouvement de Fethullah Gülen, un influent prédicateur religieux qui vit aux États-Unis. Par exemple, en montant de toutes pièces des arrestations d’islamistes pris en flagrant délit de détention d’armes ou de trafic de drogue.
Pour la énième fois en quelques mois, l’armée se retrouve dans une situation embarrassante. Dursun Çiçek, l’auteur présumé du plan, est un colonel d’active. Son texte a été trouvé dans l’ordinateur de l’avocat d’un autre colonel, en retraite celui-là, déjà arrêté dans le cadre de l’affaire du « gang Ergenekon ».
Le procès de ce gang, ouvert en octobre 2008, s’enlise depuis mai dernier, malgré des rebondissements en avril (voir J.A. n° 2516). Plus de quatre-vingts personnes, officiers et généraux en retraite, ainsi qu’une brochette de représentants de l’establishment laïc et des chefs mafieux sont accusés d’avoir comploté contre le gouvernement, commandité des assassinats et ourdi quatre coups d’État entre 2002 et 2007. Plusieurs arsenaux ont été découverts, ainsi que des documents et des journaux intimes très compromettants.
Le plan du colonel Çiçek, lui, aurait été conçu en avril 2009. En plein procès Ergenekon et, semble-t-il, en riposte à ce dernier. Preuve que, même lorsqu’il est en difficulté, le camp putschiste ne désarme pas face à l’AKP. Ce dernier ne baisse pas la garde. Il « sort » les affaires et les exploite… avant de calmer le jeu, au grand dam des démocrates, qui d’un côté déplorent l’omniprésence de l’armée dans la vie politique et, de l’autre, l’inertie d’un gouvernement moins enclin à entreprendre de vraies réformes qu’à chercher à autoriser le port du foulard islamique dans les universités.
Une nouvelle fois, Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre, et Ilker Basbug, le chef d’état-major, se sont entretenus en tête à tête. Le premier mise sans illusions sur une procédure civile, le second s’appuie sur les conclusions de son Bureau juridique qui affirment que le document n’a été élaboré par aucune unité de l’état-major.
Les fuites en direction des forces de police et de Taraf, pourtant, ne peuvent venir que de l’intérieur de l’armée. Ce qui indique que la haute hiérarchie militaire est divisée sur la stratégie à tenir. Un quart de ses membres seraient favorables à la démocratisation et à l’adhésion à l’Union européenne (UE) ; les autres, pour maintenir leur emprise sur la vie publique, préfèrent se tourner vers l’Eurasie (Iran, Russie, Chine, Asie centrale, Moyen-Orient et Caucase), aux régimes autoritaires et/ou ethniquement ou culturellement proches.
La Commission européenne a fait état de sa préoccupation et de son souhait de voir la justice suivre son cours. Plus lucide, Ismail Ertug, un eurodéputé allemand d’origine turque, estime que si l’état-major continue d’intervenir dans la vie politique, ceux qui s’opposent à l’entrée dans l’UE de la Turquie en tireront parti (voir aussi p. 66).
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