A quoi joue Dadis ?
Les leaders politiques suspectent le chef de l’État de vouloir retarder les élections pour se maintenir au pouvoir. Quant à la population, elle se montre de plus en plus impatiente face aux promesses non tenues par la junte.
Le dialogue est rompu. Plutôt conciliantes depuis la prise du pouvoir par l’armée le 23 décembre 2008, les « forces vives de la Guinée » (regroupant les leaders politiques et syndicaux ainsi que les représentants des confessions religieuses et de la société civile) ont décliné l’invitation de Moussa Dadis Camara. Le chef de la junte, président du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), les avait conviées au Palais du peuple le 23 juin. Refusant d’offrir une tribune au chef de l’État sans que cela ne se traduise par la moindre avancée pour le processus démocratique, les « forces vives » n’ont pas voulu jouer le jeu. D’autant qu’un grave incident survenu un peu plus tôt a contribué à les braquer. Le 18 juin, Cellou Dalein Diallo, leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), s’est vu interdire l’accès à la ville de Kérouané (à 1 000 km de Conakry), où il devait tenir un meeting. Alléguant d’une prétendue suspension des activités politiques sur l’ensemble du territoire, des hommes armés de kalachnikovs ont empêché la délégation de l’UFDG de sillonner la région, l’obligeant à passer la nuit à la belle étoile, non loin de Kankan. Vérification faite auprès du ministère de l’Administration territoriale, on ne trouve nulle trace d’un acte interdisant la tenue de réunions politiques.
Le Conseil national des organisations de la société civile de Guinée (CNOSCG) avait déjà donné l’alerte dans une déclaration le 16 juin : « De nombreux citoyens expriment leurs vives inquiétudes quant aux actes de violence que l’on constate ici et là, aux graves atteintes aux droits de l’homme, à la recrudescence des vols à main armée, à l’incertitude sur la durée de la transition, ainsi qu’à la poursuite des pratiques de corruption, de népotisme et de racket dont souffre la population depuis des années. »
Prémonitoire, la sortie du CNOSCG s’est faite l’écho de l’inquiétude grandissante de l’opinion publique, gagnée par la désillusion. Leaders de partis et responsables associatifs croient de moins en moins à la tenue d’élections en 2009. Certains envisagent même l’hypothèse d’une confiscation pure et simple du pouvoir par le CNDD. Selon un membre du Groupe international de contact (GIC, composé notamment de représentants de l’ONU, de l’UA, de l’OIF et de l’UE), « cette crainte est d’autant plus légitime qu’elle est partagée par les diplomates en poste à Conakry. Lesquels s’inquiètent face à un CNDD de plus en plus dominé par une aile favorable au report des élections. » En dépit de ses nombreuses visites à Conakry, « le président de la Commission de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), Mohamed Ibn Chambas, n’a toujours pas réussi à arracher au chef de la junte une date précise pour l’organisation de la présidentielle », poursuit-il.
Est-ce suffisant pour décréter la fin d’un rêve qui devait voir la Guinée renouer avec la démocratie ? Le CNOSCG ne désespère pas totalement. « Il est encore temps pour les Guinéens, avec de la volonté, de requalifier le processus de transition dans un cadre de confiance réciproque et responsable », écrit-il. Avant de proposer une série de mesures à prendre d’urgence : instauration d’un dialogue permanent direct entre le chef de l’État et les forces vives ; mise en place immédiate du Conseil national de transition (CNT) sur une base consensuelle ; déblocage des fonds nécessaires à l’organisation des élections, notamment des 15 milliards de francs guinéens dont la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a besoin pour achever l’enrôlement des électeurs. Enfin, il insiste sur la nécessité d’adopter un calendrier précis fixant définitivement les dates des différents scrutins mettant fin à la transition.
Contexte tendu
Maître d’œuvre, avec les syndicats, des manifestations populaires qui ont secoué les dernières années du règne de Lansana Conté, le CNOSCG a sonné le tocsin dans un contexte tendu, marqué par une succession de grèves (chauffeurs de taxi, enseignants, magistrats…). Mais aussi par une impatience grandissante face aux promesses sans cesse différées du CNDD. Quatre mois après qu’ait été retenu le principe de la création d’un CNT, l’organe censé réviser la Constitution et édicter les règles devant régir la transition et les futures élections, rien n’a été fait pour qu’il voie le jour.
Le recensement électoral, effectué à 75 %, en prévision des élections législatives qui devaient initialement se dérouler en mai 2009, est en panne. La Ceni réclame des moyens pour mener l’opération à terme. Les officiers de l’armée nommés gouverneurs et préfets n’ont pas encore pris leur service, faute de bureaux et de matériel : les édifices de l’administration territoriale saccagés lors des soulèvements populaires de janvier-février 2007 n’ont toujours pas été réhabilités. Et l’attentisme des bailleurs de fonds dû au manque de lisibilité aggrave une situation économique qui se détériore chaque jour davantage.
Résultat : le « Dadis Show » (l’expression sert à qualifier les sorties enflammées de Moussa Dadis Camara au journal de la Radiotélévision guinéenne) ne fait plus recette. Ni auprès des Guinéens ni auprès des leaders politiques, qui exigent du concret. Le 10 juin, à la sortie d’une énième rencontre avec le chef de la junte, ces derniers ont eu des réactions moins convenues qu’à l’accoutumée. Leur benjamin, Mouctar Diallo, président des Nouvelles Forces démocratiques (NFD), a mis les pieds dans le plat : « Moussa Dadis Camara a prouvé qu’il ne veut pas organiser d’élections en 2009. Je dirais même qu’il ne veut pas quitter le pouvoir. Depuis son discours-programme, il n’a parlé ni de la transition ni des élections. Il organise, à son profit, des manifestations de soutien […]. Mais il refuse de doter la Ceni des moyens dont elle a besoin. Il a également fait jurer aux militaires loyauté à son égard. »
Il faut dire que le capitaine, qui s’est emparé du pouvoir le 23 décembre 2008, au lendemain du décès de l’ex-chef de l’État Lansana Conté, ne fait rien pour dissiper ces soupçons. Bien au contraire : ses dernières sorties révèlent une volonté de rester au pouvoir. Interpellé le 6 juin sur sa candidature éventuelle à la future présidentielle par la chaîne de télévision Africable, Moussa Dadis Camara a répondu : « Si les élections ont lieu en 2009, je ne serai pas candidat. Après 2009, c’est le peuple qui choisira si je me présente ou pas. » Avant d’ajouter : « Je m’identifie aux quatre régions naturelles de mon pays. Le peuple de Guinée est avec moi. Je suis le seul qui puisse trouver une solution à la situation actuelle. […] Je souhaite que les hommes politiques me respectent comme je les respecte. S’ils ne me respectent pas, je me présenterai contre eux. C’est le peuple qui a fait de moi un président. Est-ce que les leaders politiques sont plus guinéens que moi ? » Face à l’inquiétude suscitée par cette sortie, Karl Prinz, l’ambassadeur d’Allemagne a demandé des précisions au chef de la junte : « Vous avez dit que vous ne serez pas candidat si les élections ont lieu en 2009. Est-ce à dire que vous le serez si elles se déroulent en 2010 ? » La réponse de Dadis a été aussi furieuse qu’éloquente : « C’est une provocation ! C’est une immixtion dans nos affaires intérieures ! Je ne suis pas votre égal. Je suis président de la République. J’ai du respect pour vous. Allez vous asseoir ! »
Il ne fait de doute pour personne que le CNDD n’est pas près de regagner les casernes. Dans l’intimité de son QG, au camp Alpha-Yaya-Diallo, plusieurs stratégies pour rester au pouvoir sont tour à tour étudiées : l’organisation d’un référendum pour obtenir une rallonge de trois ans ; la préparation de Boubacar Barry, ministre d’État à la présidence chargé de la Construction, de l’Aménagement du territoire et du Patrimoine bâti public, comme candidat du CNDD à la future présidentielle ; ou encore la candidature pure et simple de Dadis lui-même.
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