Casimir Oyé Mba : « Dans une république, il n’y a pas de succession dynastique »


L’ancien Premier ministre d’Omar Bongo veut rompre avec le « système » du président défunt et se dit prêt à rassembler « tous ceux qui veulent servir le pays ».

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Publié le 11 août 2009 Lecture : 5 minutes.

De passage à Paris à la fin du mois de juillet, l’ex-Premier ministre Casimir Oyé Mba, 67 ans, nous a rendu visite à J.A. et s’est volontiers prêté à l’exercice de l’interview. Ce Fang de l’Estuaire, candidat indépendant au scrutin du 30 août au profil moins politique que ses principaux adversaires, sait qu’il dispose de peu de temps – et de moyens – pour mener campagne et convaincre ses compatriotes de voter pour lui. Mais « Cam », comme l’appelait Omar Bongo Ondimba, semble bien décidé à jouer son va-tout face à la machine du PDG (Parti démocratique gabonais) qui soutient Ali Bongo, mais aussi aux ténors de l’opposition comme Pierre Mamboundou ou Zacharie Myboto.  

Jeune Afrique : Qu’est-ce qui a motivé votre candidature ?

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Casimir Oyé Mba : Le pays se trouve dans une situation extrêmement délicate et dangereuse. Je ne peux rester les bras croisés. Après tout, ce je suis devenu, je le dois beaucoup au président Bongo et au Gabon. Je ne voulais pas, par égoïsme, priver mon pays de la longue expérience de la gestion des affaires publiques qui est la mienne. 

L’organisation du scrutin présente-t-elle toutes les garanties de transparence ?

Malheureusement non. Je suis obligé de le dire. La campagne ne commence que le 15 août, mais il suffit de regarder la télévision nationale pour constater que certains sont déjà en campagne. Le remaniement ministériel aussi pose problème. Il est plus équitable, même si aucun texte ne l’y oblige, que les candidats ne soient à la fois juge et partie, surtout pour les ministres occupant des postes clés comme celui de la Défense nationale [Poste occupé par le fils du président défunt et candidat à la présidence, Ali Bongo, NDLR]. 

Comment jugez-vous la gestion de la transition ?

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Impeccable. Grâce à l’habileté de Mme Rogombé, les choses se sont bien passées. Sauf en ce qui concerne le maintien de certains candidats au gouvernement. 

Selon vous, qu’attendent les Gabonais de cette élection ?

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En premier lieu, le maintien de la paix. Depuis l’indépendance, nous avons la chance de vivre en paix. Jusqu’ici, il n’y a jamais eu de tueries entre Gabonais. Ils veulent aussi leur bien-être, des routes pour pouvoir circuler normalement dans tout le pays, des dispensaires et des hôpitaux pour se soigner dans des conditions convenables, des écoles, des universités, des emplois, et puis l’électricité et l’eau potable, des logements décents… 

L’expression de ces attentes n’est-elle pas, dans une certaine mesure, une critique en creux du bilan du président Bongo ?

On peut voir ça comme ça. Mais le président lui-même n’a jamais dit que le Gabon était dans une situation parfaite. Il y a deux ans, lors du quarantième anniversaire de son accession au pouvoir, il avait dénoncé les graves insuffisances qui affectent notre pays. 

Pourquoi voter Casimir Oyé Mba plutôt qu’un autre ?

Il faut un candidat ayant l’expérience des affaires et une intégrité morale à toute épreuve. Je pense correspondre à ce profil. Il faut expliquer à nos concitoyens qu’il n’y a pas de fatalité, nous pouvons venir à bout de nos insuffisances, de la pauvreté, par le travail. L’administration doit être réformée. Il faut enfin y introduire la notion de compétence. Donner des responsabilités aux gens bien formés. Plus question de nomination de cousins et d’amis. 

Si vous étiez élu le 30 août prochain, quelle serait votre priorité ?

La composition du gouvernement. Il faut une équipe profondément remaniée. Nous devons aller chercher de jeunes gens capables au-delà des clivages partisans. Tous ceux qui peuvent travailler en ne gardant à l’esprit que l’intérêt de la nation. Je leur interdirai de se mêler des affaires. Un ministre n’est pas un opérateur économique. 

Le mélange des genres existe depuis longtemps au Gabon… Pensez-vous avoir les moyens de le combattre ?

Oui, parce que les Gabonais n’en veulent plus. 

Les intérêts en jeu sont importants…

Je ne dis pas que ce sera facile. Mais c’est l’instruction générale que je donnerai. 

Une grande partie des candidats a participé aux différents gouvernements d’Omar Bongo. Est-ce que vous, Casimir Oyé Mba, assumez votre part de responsabilité dans l’état du pays aujourd’hui ?

J’assume ce que j’ai fait. Ministres, hauts fonctionnaires, directeurs généraux des sociétés d’État, tous, nous faisions partie du régime Bongo. Aucun responsable de l’appareil d’État, du corps judiciaire, des services de sécurité, ne peut dire qu’il n’a pas été dans ce régime. Seulement, certains ont bien fait leur travail. D’autres pas. 

Croyez-vous qu’une succession dynastique est possible au Gabon ?

Je crois en la république. Ce pays en est une. Dans une république, il n’existe pas de succession dynastique. M. Ali Bongo Ondimba est citoyen gabonais comme moi. Le fait qu’il soit le fils de l’ex-président ne lui donne aucun droit particulier. Mais cela ne le prive d’aucun droit non plus. J’espère avoir été clair. 

Quelles sont vos relations depuis le début de la transition ?

Je l’ai rencontré deux fois. Je suis prêt à le revoir si cela est nécessaire. Comme j’ai rencontré la totalité des chefs de partis d’opposition au Gabon. Myboto, Mamboundou, Ogouliguende, etc. Je suis prêt à travailler avec tous ceux qui veulent servir le Gabon. 

Quelle est l’importance de la donne ethnique dans cette élection ?

Dans les démocraties avancées, les gens entrent en politique pour des idées, une vision de la société. Les ethnies sont une réalité de la société africaine, cependant, aujourd’hui, un mariage sur deux est interethnique. Certains hommes politiques qui exacerbent le tribalisme sont en retard sur la population, qui a dépassé cette réalité. 

L’ambition des Fangs est parfois perçue comme une menace…

Je sais qu’il existe une tendance qui parle du « tout sauf les Fangs ». Encore une fois, ce sont des politiciens qui usent et abusent de cette ficelle. Mais il ne peut pas y avoir un gouvernement avec des ministres appartenant tous à la même ethnie. Les grands équilibres seront toujours préservés. 

Pensez-vous qu’il faudra un audit général de la gestion des finances publiques ?

Je ne vois pas les choses ainsi. Nous ferons le point avant de bâtir une stratégie de développement, mais il ne sera pas question de le faire dans un esprit d’inquisition pour clouer au pilori tel ou tel. Cela ne m’intéresse pas. 

Même si de graves infractions étaient constatées ?

Je vous répète que je ne ferai pas de chasse aux sorcières. Les gens veulent la paix, leur préoccupation c’est que leur assiette soit garnie. 

Vous avez donc mal vécu l’affaire des « biens mal acquis »…

Je ne rentre pas dans l’appréciation. Je dis seulement que cette affaire n’a pas eu d’impact auprès de la population. Cela ne l’intéresse pas. 

La France a-t-elle un rôle à jouer dans cette élection ?

Je crois que le monde a changé, la France et le Gabon ont changé. Nous avons avec la France une relation amicale très forte. Mais là, il s’agit d’élire le président de la République gabonaise. 

Mais si, pour maintenir ses intérêts, elle estimait que la continuité avec la famille Bongo est la meilleure garantie ?

Je ne crois pas que le rôle de la France soit de choisir les dirigeants du Gabon. Je ne suis pas sûr que les dirigeants français aient envie de le faire. Je crois même qu’ils répugnent à le faire. Et c’est très bien comme ça.

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