Unesco : intrigues, intox et rumeurs
Qui sera le nouveau directeur général de l’organisation ? La bataille entre les principaux postulants fait rage. Et tous les coups semblent permis.
Critiquée, boudée, brocardée, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) n’en reste pas moins très convoitée. À preuve, les intrigues auxquelles donne lieu la succession du Japonais Koïchiro Matsuura au poste de directeur général. C’est le 17 septembre que les représentants des cinquante-huit pays représentés au Conseil exécutif seront appelés à choisir, à bulletins secrets, entre les neuf candidats à un mandat de quatre ans à la tête de l’organisation. Depuis déjà plusieurs semaines, le Tout-Paris diplomatique bruisse de rumeurs concernant les chances des uns et des autres.
C’est en effet dans la capitale française que, depuis 1958, se trouve le siège de l’Unesco. Précisément place de Fontenoy, dans le 7e arrondissement. Singulier bâtiment, en forme de tripode d’ailleurs, que cette tour de Babel culturelle décorée par Picasso, Giacometti, Miró, Henry Moore et bien d’autres, où travaillent quelque 1 800 fonctionnaires originaires de 170 pays (l’organisation en compte 193).
Mission ambitieuse
Définie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la mission de l’Unesco – « construire la paix dans l’esprit des hommes » – est singulièrement ambitieuse et traduit sans doute un certain idéalisme quant aux chances d’instaurer durablement la « sécurité collective ». À en juger par les statistiques du développement humain et par le nombre des conflits armés en cours, la route est, à l’évidence, encore longue !
Longtemps paralysée, au temps de la guerre froide, par les clivages idéologiques entre l’Est et l’Ouest, l’Unesco a, par la suite, beaucoup souffert financièrement du retrait des États-Unis pendant près de vingt ans (1984-2003). Malgré la cure d’amaigrissement budgétaire imposée par le docteur Matsuura, sur prescription de Washington, elle reste très critiquée pour l’« opacité » de sa gestion et le caractère souvent « illisible » de ses objectifs.
Pourvue d’un budget de 320 millions d’euros en 2009 (compte non tenu des dons, dont les montants peuvent égaler, voire dépasser, les dotations des pays membres), l’Unesco, qui souhaite jouer le rôle d’un « laboratoire d’idées », est censée intervenir dans cinq domaines : l’éducation, les sciences sociales et humaines, les sciences naturelles, la communication et l’information, et la culture. Le mot « programme » est sans doute l’un des plus usités Place de Fontenoy. Il en existe de toute nature : de la sauvegarde des pyramides de Guizeh à celle du temple d’Angkor en passant par l’étude des océans, le classement du patrimoine de l’humanité, l’organisation de la Journée mondiale de l’alphabétisation ou celle de la conférence des traducteurs de Harry Potter. Dans le tintamarre médiatique planétaire, leurs résultats passent souvent complètement inaperçus.
Peintre et polyglotte
Reste qu’en dépit d’une politique de « saupoudrage » budgétaire pas toujours très efficace l’Unesco demeure un acteur incontournable en matière de lutte contre l’illettrisme, de préservation de la biosphère ou de sauvegarde des civilisations dites « premières ». En outre, à l’heure où l’Assemblée générale des Nations unies s’efforce de réparer les dégâts de l’unilatéralisme bushien, elle constitue une tribune où tous les pays, notamment les « petits », ont la possibilité de s’exprimer.
À la veille du scrutin, le ministre égyptien de la Culture, Farouk Hosni (71 ans), paraît tenir la corde. Peintre et polyglotte, c’est un proche du président Hosni Moubarak et de son épouse. Sa victoire est pourtant loin d’être acquise. « Rien n’est joué, alors qu’il avait un boulevard devant lui pour cueillir l’Unesco », estime un diplomate européen.
Pour la première fois depuis la création de l’organisation, tout le monde, à commencer par les principaux contributeurs (États-Unis, Union européenne, Japon), était tombé d’accord sur le fait que sa direction devait, cette fois, échoir à un responsable d’origine arabo-musulmane. Fortes de cet accord tacite, la Ligue arabe, l’Organisation de la conférence islamique et l’Union africaine ont donc officiellement apporté leur soutien à Hosni. C’est alors que la machine à gagner s’est quelque peu enrayée.
« Procès en sorcellerie »
Dans son pays, Hosni est accusé par certains journaux (comme l’hebdomadaire Al Balagh Al Gadid) de gérer les deniers publics de manière par trop « légère », de tolérer la censure, de justifier l’autocensure des médias et de « se compromettre avec Israël » pour assurer son élection.
Plus grave, lui qui n’a jamais ménagé les fondamentalistes musulmans (il juge « rétrograde » le port du voile islamique) doit faire face à une campagne de déstabilisation lancée par l’intelligentsia juive, qui l’accuse d’antisémitisme. Hosni ? « Un homme dangereux », « un incendiaire des cœurs et des esprits », s’insurgent Bernard-Henri Lévy, Elie Wiesel et Claude Lanzmann dans une retentissante tribune publiée le 22 mai dans les colonnes du quotidien Le Monde. À l’appui de ses accusations, le trio exhume un florilège de saillies anti-israéliennes du candidat égyptien. Ce dernier réplique dans le même journal, jure être « un homme de paix » et dénonce « un procès en sorcellerie », tout en regrettant que certains de ses propos aient pu choquer. Notamment son invitation devant le Parlement égyptien à brûler les livres israéliens qui auraient pu s’immiscer dans les rayons de la bibliothèque d’Alexandrie.
Mais quelques jours auparavant, lors d’une rencontre à Charm el-Cheikh, Benyamin Netanyahou avait, dans un « souci d’apaisement », promis à Moubarak de ne plus s’opposer à la candidature d’Hosni en échange d’importantes contreparties concernant notamment la sécurisation des tunnels de contrebande entre l’Égypte et la bande de Gaza. Pourtant, les « regrets » d’Hosni et la levée du veto israélien à son encontre n’ont pas suffi à éteindre l’incendie allumé par ses déclarations dans les cafés littéraires, les salons de la finance, les rédactions et les chancelleries.
Présent à Paris début septembre pour promouvoir sa candidature, le candidat égyptien n’a pas toujours accepté de s’entretenir avec les médias, mais, quand il l’a fait, il s’est montré discret et conciliant. Car, depuis cette polémique, les candidatures se sont multipliées, et la neutralité bienveillante de la France, le pays hôte qui, officiellement, se refuse à prendre parti pour l’un ou l’autre des candidats, est semble-t-il moins assurée. À l’Élysée, où l’on n’oublie pas que Moubarak copréside l’Union pour la Méditerranée (UPM), pierre angulaire de la politique orientale de Nicolas Sarkozy et de son conseiller Henri Guaino, on assure qu’il « n’y a pas de problème » avec Farouk Hosni. Mais le Quai d’Orsay, que dirige Bernard Kouchner, est apparemment plus réservé. Même si François Fillon, le Premier ministre, a été chargé de rassurer le raïs égyptien, certains diplomates n’excluent pas une consigne de vote hostile à Hosni. Comme toujours, c’est Sarkozy qui tranchera.
« Tout le monde a la trouille »
La Russie, dont l’Égypte avait escompté le soutien, a finalement présenté son propre candidat, tandis que l’hostilité des États-Unis (qui fournissent près de 25 % du budget de l’organisation) face au ministre égyptien est quasi officielle. « J’ai le soutien du président Obama », déclarait récemment à Jeune Afrique Ivonne Baki, la candidate équatorienne, sans être démentie par Washington. Les Européens ne sont pas en reste. Inquiets des accusations de corruption visant l’entourage d’Hosni, plusieurs pays de l’UE font ouvertement campagne pour l’Autrichienne Benita Ferrero-Waldner, l’un des principaux outsiders. Même au niveau africain, la solidarité pro-Hosni affichée par l’UA a été mise à mal par la candidature de dernière minute du Béninois Nouréini Tidjani-Serpos, poète et apparatchik de la Place de Fontenoy.
Au siège de l’Unesco, justement, « tout le monde rase les murs, tout le monde a la trouille », confie le représentant d’un pays membre, qui s’attend à « une élection ouverte, après un premier tour favorable à Hosni ». La majorité qualifiée pour être élu dès le 17 septembre est de 30 voix (sur 58). Selon certains pointages, le candidat égyptien ne semble assuré que de 25. Des estimations d’autant plus fragiles que les 58 pays membres du Conseil exécutif ne sont pas tous représentés par des diplomates professionnels, dont le statut les met à l’abri de certaines tentations… sonnantes et trébuchantes.
L’Unesco aura-t-elle enfin le dirigeant d’envergure qu’elle mérite ? Derrière la cuisine électorale, c’est finalement le seul enjeu du scrutin.
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