Qui veut la peau d’Asky ?
Certains pays, qui ont déjà une compagnie nationale ou prévoient le lancement d’un pavillon, craignent que la nouvelle venue soit en réalité le cheval de Troie d’Ethiopian Airlines.
Mise en orbite difficile pour Asky Airlines. À peine lancée le 15 janvier dernier, la nouvelle compagnie aérienne régionale, basée à Lomé (Togo), est déjà confrontée aux perpétuelles difficultés de la libéralisation du ciel africain. Sur les douze destinations figurant sur son programme de vols initial, quatre liaisons majeures (Lagos, Abidjan, Dakar et Douala), soit le tiers, ne sont toujours pas desservies. La raison ? Le transporteur peine à obtenir un droit de trafic dans ces pays. Si la direction de la compagnie espère acquérir ces autorisations dans le courant du mois de février, notamment à Douala, elle soupçonne toutefois des velléités protectionnistes de la part des autorités des aviations civiles concernées. Le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Cameroun ont déjà soit une compagnie nationale opérationnelle, soit une dont le lancement est imminent.
L’ex-Virgin Nigeria, devenue Nigerian Eagle, en pleine restructuration, vise les mêmes marchés régionaux (Afrique de l’Ouest et Afrique centrale) qu’Asky Airlines, tout comme Air Ivoire. Ainsi que Sénégal Airlines, Camair Co et Air Cemac, trois autres compagnies en création dont les premiers vols sont attendus cette année avec la même feuille de route qu’Asky Airlines : devenir le transporteur de référence dans les deux sous-régions, où les cieux sont restés vides depuis la disparition d’Air Afrique, en 2001.
Parcours du combattant
« En Afrique, où la notion de compagnie nationale est souvent synonyme de souveraineté, les autorités des aviations civiles ont tendance à protéger leurs marchés domestiques contre l’arrivée de nouvelles compagnies », affirme Délia Bergonzi, la directrice générale du cabinet d’études Ectar, spécialisé dans le transport aérien sur le continent. De fait, l’obtention des droits de trafic relève souvent du parcours du combattant. « Même si des progrès ont été réalisés, ce problème est récurrent et n’est pas spécifique à la seule Asky Airlines », ajoute-t-elle.
Pourtant, le protocole de Yamoussoukro sur la libéralisation de l’espace aérien africain, signé en novembre 1999, prévoit clairement le libre octroi des droits de trafic. Dont celui permettant à une compagnie de débarquer ou d’embarquer dans un autre État des passagers en provenance ou à destination d’un pays tiers. Cheikh Tidiane Camara, président du conseil de surveillance du même cabinet, précise : « Cette libéralisation est cependant soumise à certaines conditions, notamment le respect des normes de sécurité. De fait, les pays peuvent jouer là-dessus et traîner volontairement les pieds. »
C’est bien l’avis de la direction d’Asky Airlines, qui met en doute la bonne volonté du Nigeria et du Sénégal. Le 15 janvier, à Lomé, l’absence remarquée des autorités sénégalaises, qui se sont fait représenter à la dernière minute à la cérémonie de lancement d’Asky Airlines, est considérée comme la preuve qu’elles n’apprécient pas beaucoup le démarrage des activités de la nouvelle venue. Réponse de Madior Sylla, le porte-parole du ministère sénégalais de la Coopération internationale et des Transports aériens : « Il ne s’agit guère de mauvaise volonté. Si d’autres compagnies ont eu le droit de prendre du trafic à Dakar, il n’y a pas de raison qu’Asky ne l’obtienne pas. Sénégal Airlines n’a pas peur de la concurrence, au contraire. »
Selon un responsable de l’Agence nationale de l’aviation civile du Sénégal (Anacs), « la demande de droit de trafic formulée par Asky Airlines est en étude. Le processus suit son cours et devrait aboutir prochainement ». Mais sur la date à laquelle il devrait aboutir, celui-ci refuse de s’exprimer, arguant que la délivrance du précieux sésame nécessite plusieurs contrôles d’ordre technique.
Même propos au Cameroun, où Asky Airlines n’a pas encore obtenu le droit de desservir Douala. La situation devrait cependant se débloquer très prochainement, selon le directeur commercial de la nouvelle compagnie. Mais, là aussi, les autorités ont été soupçonnées de vouloir freiner cette nouvelle compagnie risquant d’entrer en concurrence frontale avec Camair Co, la compagnie nationale du pays, prévue pour démarrer cette année. Et pouvant aussi – et surtout – gêner le décollage de son équivalent d’Afrique centrale, Air Cemac, qui, selon la décision du dernier sommet des chefs d’État de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), devrait prendre son envol dans cinq mois (voir J.A. no 2559). Or c’est la capitale économique du Cameroun qui a été choisie pour accueillir le hub de la future compagnie. « Nous n’avons aucun intérêt à empêcher Asky Airlines de venir chez nous, d’autant que nous risquerions de faire face au même problème au moment du lancement de notre propre compagnie », se défend Paul Alain Mendouga, administrateur de la Camair Co et directeur de l’aviation civile camerounaise.
Ethiopian actionnaire à 25 %
Mais, au-delà de ces discours, « il est certain qu’Asky Airlines est mal vue par les autres compagnies africaines, qui la considèrent comme le cheval de Troie d’Ethiopian Airlines en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale », explique un observateur averti du secteur. La géante éthiopienne, l’une des plus importantes du continent, est son partenaire stratégique et actionnaire à 25 %. Conséquence : les autres compagnies sont sur la défensive et ne veulent visiblement pas accuser le moindre retard sur Asky Airlines.
De fait, alors même que les processus d’octroi de droit de trafic piétinent, les états-majors des différents concurrents de la nouvelle compagnie s’activent pour faire avancer leurs projets. Ainsi, le conseil d’administration de Sénégal Airlines vient de nommer un directeur général par intérim (Modou Khaya, également directeur général de l’aéroport Blaise-Diagne de Ndiass) et devrait adopter dans la foulée le business plan de la compagnie. Un comité a aussi été mis en place pour réfléchir au choix définitif du directeur général et de l’ensemble de l’équipe dirigeante. Au Cameroun, le projet Camair Co, qui jusque-là semblait être en panne, a connu une certaine avancée depuis fin 2009. Après l’annonce du recrutement de 443 personnes en décembre, Alex van Helk et Gustave Baldoph (tous deux expatriés européens) ont été nommés le 4 février respectivement aux postes de directeur général et de directeur des opérations. Avec plusieurs années d’expérience au Nigeria pour le premier, en Inde et en Russie pour le second, il auront pour mission de lancer la compagnie camerounaise. Le décollage d’Asky Airlines semble avoir donné des ailes à ses rivales.
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