Les miraculés de Kin à Cannes

Réalisé par Florent de la Tullaye et Renaud Barret, « Benda Bilili ! » retrace l’épopée incroyable de huit musiciens congolais autodidactes. Il ouvrira la Quinzaine des réalisateurs le 13 mai à Cannes. Reportage.

Staff Benda Bilili s’est fait connaître en Europe avec son premier album © Crammed Disc

Staff Benda Bilili s’est fait connaître en Europe avec son premier album © Crammed Disc

Publié le 11 mai 2010 Lecture : 4 minutes.

Les starlettes du Festival de Cannes vont tomber leurs lunettes de soleil au passage de cette bande d’artistes crasseux, les silhouettes tordues par le handicap, venus d’une planète où rien ne brille. Peut-être seront-elles ensuite saisies par l’énergie brute de l’histoire dont ils sont les héros : Benda Bilili !, quatre-vingt-cinq minutes entre documentaire musical et intrigue fabuleuse dans les rues trouées de Kinshasa, qui fera l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, le 13 mai.

La RD Congo sur la Croisette : inédite, la rencontre est le dernier d’une liste de miracles qui, au final, doit plus à un mélange d’intuition, d’audace et de travail qu’à la chance. D’abord, celui de Staff Benda Bilili. Il y a peu, ce groupe de huit musiciens congolais vivotait encore avec une ténacité promise à l’oubli. En échange de pourboires trop maigres pour leurs marmailles, ils jouaient une rumba décapante et mélodieuse, mâtinée de reggae et de funk, devant les restaurants des mundele (les « Blancs », en lingala) à Kinshasa. Paralysés par la polio, certains sont en fauteuil roulant. Tous sont autodidactes. Des rebuts, pour leurs compatriotes parvenus.

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Aujourd’hui, les galériens ne dorment plus sur des cartons. Ricky, Théo, Coco, Kabose, Cavalier, Djunana, Zadis et Roger viennent de tourner en Europe. Demain, ils se produiront au Japon et à Shanghai. Depuis mars 2009 avec la sortie en Europe de leur premier album, Très très fort, paru chez Crammed Discs, ils sont des artistes reconnus et disputés.

Feuilles de manioc

Sans artifice sinon une voix off passagère, Benda Bilili ! montre cette métamorphose de cinq ans. En toile de fond : Kinshasa, ses foules bruyantes, ses artères boueuses et grises, où traînent, parfois, de prodigieux éclats de poésie. Acteurs spontanés, les musiciens sont restés à l’image du film : bruts. Ils continuent de vivre dans leur ville et de se retrouver au Cabaret sauvage, une petite salle de répétition en face de la maison communale de Ndjili, un quartier excentré.

En ce jour d’avril, ils arrivent au compte-gouttes. Cavalier, Djunana, Coco… La procession rituelle se termine avec Ricky, 60 ans et cinq enfants, le « président ». Clope au bec, chapeau melon, il débarque sur son trône ambulant, un drôle de scooter arrangé avec des sièges de voiture. Ses béquilles tombent. Des gamins se pressent pour les ramasser. Tout à l’heure, il prendra l’avion avec la bande, direction Paris, pour une tournée. Mais pour l’instant, « il est là », à discuter en regardant les voitures passer. Théo, lui, fourre des feuilles de manioc dans un petit sac à dos noir. Pour le voyage, on ne sait jamais.

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Joie et incertitudes

Tumultueux, incroyable et vrai, l’envol de Staff Benda Bilili est une bonne nouvelle dans le marigot des malédictions congolaises. Ses deux auxiliaires, Florent de la Tullaye et Renaud Barret, sont aussi les réalisateurs du film. Au départ, le premier est photoreporter et le second, publiciste. Ils vivent en ­France. Vieux copains, ils sont fans de musique. En quête de voix et de sons, ils partent à Kinshasa et traînent dans la cité. Un soir, ils y découvrent le « Staff » par hasard. C’est le deuxième « miracle ». 

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« Des shegue (les enfants des rues) nous ont dit, “venez voir !” », raconte Renaud Barret, attiré par « leur blues primal, leur rumba rugueuse ». Nous sommes en 2004. L’idée d’un album germe vite. Les deux énergumènes, qui ont depuis plaqué leurs vies françaises, reviennent à Kinshasa en 2005. Commence une épopée dont l’issue prometteuse n’aura jamais été acquise. À mesure qu’elle se déroule, Florent de la Tullaye et Renaud Barret ne lâchent jamais leur caméra. Ils commencent à filmer sans trop savoir pourquoi.

Un jour, la malchance frappe. L’enregistrement commence à peine. Un incendie détruit le centre pour handicapés où vivent les musiciens. Épuisement, découragement. Un autre jour, une bonne étoile débarque. Florent de la Tullaye et Renaud Barret tombent sur Roger, un « enfant dans la rue » : il joue de la musique sur une boîte de lait concentré pendant la semaine et, le week-end, rapporte un minipécule chez sa mère. Âgé de 13 ans à l’époque, il intègre le groupe. Ses sonorités acides et lyriques lui donnent un peu de son âme. Puis un label belge, Crammed Discs, entre dans la danse. Entre interruptions, altercations, réconciliations et galères d’argent, l’enregistrement de l’album est aussi fragile que la musique de Staff, « avec ce côté garage, toujours à la limite du faux et du juste », dit Renaud Barret. 

Saisis sur le vif par la caméra, ces cahots donnent sa trame au film. Benda Bilili ! n’est pas une rétrospective. Suspense, angoisse, joie, incertitudes : il contient les ingrédients d’une histoire dramatique en train de s’écrire. Florent de la Tullaye et Renaud Barret ont l’idée d’un long-métrage en cours de route. Ils ignorent alors tout du happy end qui se prépare : un concert triomphal aux Eurockéennes de Belfort en juillet 2009, d’autres en Scandinavie, en novembre, qui clôturent le film. Ils accumulent les images et disposeront, au final, de cinq cents heures de rushs. Manque un producteur.

Nous sommes en mars 2009. L’album vient de sortir. Un ami d’Yves Chanvillard et de Nadim Cheikhrouha (Franco-Tunisien), deux producteurs de cinéma, est chez le coiffeur, à Paris. Il entend parler de ces deux illuminés qui n’arrêtent pas de filmer le « Staff ». Après des messages sur répondeur, la rencontre se fait. Screen Runner, le label des deux producteurs, investira 50 000 euros dans l’aventure (pour un coût total de production de 350 000 euros, dont 100 000 de la poche des réalisateurs). « On avait des personnages et une histoire simple, donc un vrai film, dit Yves Chanvillard. » Comme les réalisateurs, les producteurs y croient. Mais comme eux, quand ils se lancent, ils n’imaginent pas le succès à venir. Une audace qu’ils n’ont pas immédiatement retrouvée chez les diffuseurs. Réaction de l’un d’entre eux : « Noirs, handicapés et musiciens, les trois repoussoirs du cinéma français. »

Le film sortira au Japon en juin et en France le 8 septembre. Staff Benda Bilili touchera 10 % des recettes. Il prépare un autre album, avec l’espoir de n’être pas qu’une mode.

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