Sommet de Nice : Sarkozy and friends

Pour le président français, le sommet de Nice, du 31 mai au 1er juin, a été l’occasion d’officialiser sa stratégie africaine. « Décomplexée » et davantage tournée vers le monde anglophone. Vœu pieux ?

Nicolas Sarkozy, entouré de Paul Biya, Bingu Wa Mutharika, Jacob Zuma et Mélès Zenawi. © AFP

Nicolas Sarkozy, entouré de Paul Biya, Bingu Wa Mutharika, Jacob Zuma et Mélès Zenawi. © AFP

ProfilAuteur_EliseColette Christophe Boisbouvier GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 9 juin 2010 Lecture : 5 minutes.

« Le président Zuma » par-ci ; « mon ami Jacob » par-là. Nicolas Sarkozy n’en a eu que pour son invité sud-africain, à Nice, lors du 25e sommet Afrique-France. « Africa-France », faudrait-il plutôt dire, puisque, pour sa toute première grand-messe franco-africaine, le président français a souhaité moderniser le rituel. À cette fin, il a commencé par sortir un dictionnaire Harrap’s. Et par dépoussiérer les livres d’histoire en franchissant allègrement la ligne reliant Le Caire au Cap. « La France ne se sent pas amie des seuls pays francophones ; vous êtes tous des amis », a-t-il expliqué à ses pairs lors de la cérémonie de clôture. Comme pour mieux reléguer aux oubliettes le « dîner des amis » qui, traditionnellement, rassemblait à la table du président français les seuls chefs d’État des pays de l’ex-pré carré. Au goût de Sarkozy, tout cela sent un peu trop la naphtaline. Pour ne pas dire le Banania !

C’est donc en compagnie du président sud-africain Jacob Zuma qu’il a préféré déjeuner avant l’ouverture du sommet, le 31 mai. Avec lui, aussi, qu’il a fait une brève promenade digestive à la sortie de la réception donnée en l’honneur de tous les chefs d’État. À ses côtés, encore, qu’il a pris place pendant les trois séances de travail à huis clos. Le message était clair. Quand il parle d’Afrique, Nicolas Sarkozy veut voir plus loin que le nord, l’ouest et le centre du continent. Trois ans après son accession au pouvoir, sa politique africaine commence à lui ressembler. « Je pense que ce sommet tourne la page d’une relation complexe et complexée ; qu’il marquera, en tout cas, une étape », a-t-il répété. Vœu pieux ?

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Dépoussiérage

Dans le registre du dépoussiérage, le président français a certes ouvert la porte du sommet aux représentants de la « société civile ». Enfin presque, puisque seuls des chefs d’entreprise étaient présents. Dans les salles de l’Acropolis, quelque 250 patrons ont donc longuement parlé de formation professionnelle, de responsabilités environnementale et sociale, d’harmonisation des dispositifs juridiques… Ils ont même signé une charte de bonne conduite, sous les auspices de Laurence Parisot, la patronne du Mouvement des entreprises de France (Medef). Mais les plus importants ont surtout profité de l’occasion pour rencontrer les chefs d’État des pays avec lesquels ils font des affaires. Rien de bien nouveau, donc. Henri Proglio, le boss d’EDF, a même été convié à prendre le café avec Nicolas Sarkozy et… l’inévitable Jacob Zuma.

Cette cour appuyée faite au dirigeant sud-africain, et à ses collègues anglophones, semble avoir eu pour objectif de tourner la page de la Françafrique, mais aussi de réaffirmer la stratégie désormais très pragmatique de la France en Afrique. La patrie de Nelson Mandela n’est-elle pas la première puissance économique du continent ? Ne figure-t-elle pas parmi les heureux élus du G20, que Sarkozy présidera en 2011 ? Ce dernier compte manifestement sur cette présidence pour redorer son blason, quelque peu terni ces temps-ci, en France comme à l’étranger. Il aura pour cela besoin d’alliés. C’est la raison pour laquelle il s’est efforcé d’apparaître comme le défenseur d’un renforcement de la place des Africains dans la gouvernance mondiale, en lançant le débat sur la réforme du Conseil de sécurité. Il s’agit d’accréditer l’idée que, au sein des Nations unies, l’allié de l’Afrique, c’est la France. Jacques Chirac s’y était déjà essayé avant lui…

Troisième voie

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Même raisonnement pour Mélès Zenawi. Désormais porte-parole du continent pour les questions environnementales, ce dernier est un interlocuteur obligé que Sarkozy, qui se pose comme champion de l’écologie mondiale, a tenté de mettre dans sa poche. Et tant pis pour le bilan démocratique peu glorieux de l’Éthiopien, au lendemain de sa réélection.

C’est donc une sorte de troisième voie entre la Chine et les États-Unis que privilégie le président français. C’est vrai en Afrique, où, explique-t-il, « il faut se battre, car il n’y a pas de position acquise », mais aussi au Brésil ou dans les pays du Golfe, où la France fait quand même moins peur que l’Oncle Sam ou la Tante Mei. « C’est tout un réseau d’influence qui se met en place, et c’est nouveau », commente une source diplomatique. Sarkozy l’a répété à Nice : « L’Afrique, c’est 25 % des sièges à l’Assemblée générale des Nations unies et 60 % des opérations de maintien de la paix dans le monde. » L’Afrique, oui, mais toute l’Afrique, pas seulement les vieux « amis ».

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Comment réagissent ces derniers ? « Sarkozy en chef du protocole, ce matin, c’était pas mal », rigole le conseiller d’un président ouest-africain, commentant la décontraction affichée par le président français lors de la cérémonie d’ouverture. Mais il y a là plus qu’un changement de style : « Après tout, nous n’avons plus tellement besoin de la France. Mais on attend nos sièges au Conseil de sécurité. Et là, elle peut encore être utile. »

Apparemment, tout le monde a compris la nouvelle stratégie française. Et, surtout, personne n’est dupe : la France est toujours là. Avec ses vieux réflexes. À Nice, Sarkozy a quelque peu snobé certains de ses invités, mais en a ostensiblement cajolé d’autres. Abdelaziz Bouteflika, par exemple, qu’il a chaleureusement remercié de sa venue. Ou le Camerounais Paul Biya, qu’il a placé à ses côtés lors de sa conférence de presse. Ou encore son « ami Blaise » (Compaoré), dont il a salué, à plusieurs reprises, les efforts de médiation dans une région troublée.

Pendant que le président dessinait les contours de sa nouvelle « Afri­cafrance », les hommes de l’ombre de l’ex-Françafrique – qui, comme l’on sait, ne jouent aucun rôle en terre anglophone – continuaient leur besogne au grand jour. Dans les halls d’hôtels niçois, on a pu les voir parader au bras de chefs d’État et même décrocher des tête-à-tête. Lors des conférences, ils étaient assis au deuxième rang, près des ministres français. Robert Bourgi et Patrick Balkany ont même assisté à l’inauguration par Sarkozy du monument commémoratif du 150e anniversaire du rattachement du comté de Nice à la France ! « Il fallait bien que la Françafrique soit présente à cet événement », a commenté le premier, dans un éclat de rire.

Réussi sur le plan de la participation (trente-huit chefs d’État et de gouvernement présents), formellement innovant (les débats diplomatiques de fond n’ont pas été éludés), le 25e sommet Afrique-France a fait – un peu – bouger les lignes. Sarkozy aurait donc eu tort de se fier à sa première intention, qui était de renoncer à ces raouts. Mais il en faudra davantage pour décrasser en profondeur les relations entre son pays et ses anciennes colonies.

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