Vers un mariage de raison
Oubliés, la guerre et son million de morts. Les deux ex-ennemis jurés rêvent désormais d’un destin commun. Sous le regard aussi inquiet qu’impuissant des États-Unis.
Près d’une centaine de sociétés iraniennes ont participé à la Foire internationale de Bassora, du 25 au 29 juin, proposant une large gamme de produits : pots de miel, dont raffolent les Irakiens, tubes de dentifrice, shampoing, cosmétiques, conserves, climatiseurs, électroménager, camions, motos… Les exportations iraniennes vers l’Irak devraient s’élever à 7 milliards de dollars (5,7 milliards d’euros) cette année, sept fois plus qu’en 2007. Le chiffre de 10 milliards est à portée de main, selon le ministre iranien du Commerce.
Les produits made in Iran, notamment les climatiseurs et les appareils électroménagers de la marque Barfab, font un tabac sur les marchés de Bagdad et de Bassora. Ils sont peu onéreux, économiques en consommation électrique et faciles à mettre en route. Le marché irakien absorbe aujourd’hui un tiers des exportations iraniennes, hors pétrole. Si le projet de création d’une zone de libre-échange entre les deux pays voit le jour, cette proportion pourrait atteindre la moitié. Les Américains, dont les troupes ont commencé à évacuer le pays, ne peuvent plus s’opposer à ce « mariage de raison » entre les deux voisins, un mariage qui contrarie leur dessein d’étrangler économiquement le régime islamiste iranien en raison de ses ambitions nucléaires…
L’union fait la force
Oubliés, la guerre Irak-Iran (1980-1988), son million de morts et ses 500 milliards de dollars gaspillés (dégâts matériels, dépenses militaires, manque à gagner économique). Des milliers de chiites irakiens qui s’étaient exilés en Iran du temps de Saddam Hussein sont rentrés au pays. Certains ont rejoint le gouvernement et l’administration, d’autres ont embrassé les affaires. Tous parlent le persan et rêvent d’un destin commun.
Les deux pays partagent une frontière de 1 458 km, sont majoritairement chiites et disposent d’immenses réserves pétrolières et gazières. Ils s’étendent sur une superficie (2,1 millions de km2) équivalente à celle de l’Arabie saoudite et trois fois supérieure à celle de la Turquie. Avec un produit intérieur brut cumulé de 400 milliards de dollars en 2009, deux fois celui d’Israël, ils pourraient, en exploitant au mieux leurs synergies, rivaliser avec la puissante économie turque et dominer largement celle de l’Arabie saoudite. L’ensemble Irak-Iran représentera en 2015 un marché de 120 millions d’habitants, 60 % de plus que la Turquie et quatre fois plus que le royaume wahhabite. Avec des réserves prouvées de 253 milliards de barils de pétrole brut (19 % du total mondial) et 33 000 milliards de m3 de gaz naturel (18 %), les deux pays domineraient non seulement l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) mais aussi le marché international des hydrocarbures. Tout semble donc concourir à une communauté d’intérêts.
Si, au-delà du petit commerce et du pèlerinage (5 000 Iraniens visitent chaque jour les lieux saints chiites à Kerbala et à Nadjaf), la raison l’emporte, nous pourrions voir demain des raffineries et des cimenteries communes. Les argentiers, qui savent préparer l’avenir, ne s’y trompent pas. Plus dynamiques que leurs consœurs irakiennes, encore meurtries par l’occupation américaine, trois grandes banques iraniennes – Melli, Parsian et Karafarin –, désormais sur liste noire après le durcissement des sanctions de l’ONU contre Téhéran, s’apprêtent à ouvrir des succursales en Irak.
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