À l’ombre des géants, les petits opérateurs se portent bien

Derrière Bharti et Orange, les petits opérateurs du continent ont de vrais atouts à faire valoir. Qu’ils décident de poursuivre leur développement ou de céder à bon prix leurs filiales africaines.

Tigo, la marque du Suédois Milicom, est 2e sur le marché du mobile au Sénégal. © Sipa

Tigo, la marque du Suédois Milicom, est 2e sur le marché du mobile au Sénégal. © Sipa

Julien_Clemencot

Publié le 25 octobre 2010 Lecture : 6 minutes.

L’Afrique des télécoms est en pleine effervescence. Sous les feux des projecteurs, les géants mondiaux comme l’indien Bharti, le français Orange ou le britannique Vodafone sont à la manœuvre, chacun cherchant à affirmer son leadership. Mais à l’ombre des majors, ils sont une centaine d’opérateurs qui réunissent quand même plus de 40 % des 450 millions d’utilisateurs africains. Leurs profils sont très variés. Certains comme Telecel au Burkina Faso (750 000 abonnés), Mattel en Mauritanie (700 000), Bell Bénin (850 000) ou Starcomms au Nigeria (3,2 millions) travaillent sur un seul pays. D’autres, en dépit de moyens limités, se sont lancés dans une stratégie transnationale et ne sont pas prêts à se transformer en proies trop faciles pour les majors de la téléphonie. Même si, faute de financement, une partie d’entre eux risquent de disparaître.

« Même pour les petits acteurs, il y a toujours de l’argent à faire, explique Russell Southwood, PDG du cabinet de conseil Balancing Act. Notamment si vous réussissez à agréger une présence dans plusieurs pays, ce qui permet une gestion commune et des économies d’échelle. » Une fois implanté dans huit à dix États avec des opérations profitables, le challengeur pourra, suivant les opportunités, soit poursuivre son expansion, soit vendre à un nouvel entrant ou à un concurrent qui cherche à consolider ses positions.

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Millicom, champion du low-cost

« Millicom est sans aucun doute l’actif le plus attractif du moment », assure Jean-Michel Huet, du cabinet Bearing­Point. Cotée au Nasdaq, la filiale du groupe suédois Kinnevik (médias, téléphonie…) affiche en 2009, pour l’Afrique, un chiffre d’affaires de 550 millions d’euros et une marge Ebitda (revenu avant intérêts, impôts, taxes, dotations et provisions) de 36,9 %, en hausse de trois points par rapport à 2008. « Notre stratégie est la même que celle des groupes dans les biens de grande consommation : nous faisons en sorte d’être à la portée de tous », explique François Roger, le directeur financier. Au Sénégal, les premiers abonnements prépayés sont par exemple à 1,10 euro. Autre point fort de la compagnie : la distribution. « Nous avons 600 000 points de vente dans le monde, on nous trouve partout », jure François Roger.

L’opérateur n’en néglige pas pour autant la qualité de son réseau télécom, puisqu’il lui consacre près de 25 % de son chiffre d’affaires global (3,37 milliards de dollars, soit 2,35 milliards d’euros en 2009). Positionné sur des offres bon marché, Millicom commence à regarder vers les services à valeur ajoutée. « Nous avons initié des investissements sur les réseaux 3G au Rwanda et à l’île Maurice », confirme le directeur financier. Mais aux aventuriers qui accompagnaient le fondateur Jan Stenbeck ont succédé des gestionnaires, plus prudents. « Nous ne participons pas à l’appel d’offres actuellement en cours au Mozambique, car nous estimons qu’avec un revenu moyen par utilisateur de 4 dollars, le retour sur investissement n’est pas assuré », explique François Roger.

Pourtant, Millicom dit rester très attentif aux opportunités et affirme vouloir poursuivre son développement sur le continent. « Nous aimons l’Afrique », insiste François Roger, qui ajoute cependant : « Si une offre de rachat nous était transmise, nous aurions le devoir de l’étudier. » Surtout que les filiales de Millicom pourraient effectivement « offrir des synergies aux plus grands acteurs africains comme Orange ou MTN », souligne Guillaume Touchard, du cabinet de conseil AfricaNext.

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Bilan mitigé pour Etisalat

De son côté, Etisalat, grand parmi les grands au Moyen-Orient, où il tente en ce moment d’acquérir 46 % du koweïtien Zain, joue encore en seconde division en Afrique. Entré dans le capital de l’opérateur panafricain Atlantique Télécom en 2005, le groupe émirati en a pris le contrôle en 2007 et exploite depuis la marque Moov dans sept pays ouest-africains. Etisalat est aussi présent sous son nom propre au Nigeria, en Égypte et au Kenya. Mais ses résultats sont mitigés. En Côte d’Ivoire, où il a conquis un public jeune grâce à un marketing habile, l’opérateur connaît un réel succès, avec environ 2,5 millions d’abonnés. En revanche, au Nigeria, le bilan est pour le moment très décevant : dernier arrivé dans le pays, Etisalat a séduit moins de 2 % des usagers.

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« Comme souvent pour les groupes originaires du Moyen-Orient, la gestion pourrait être largement améliorée et le top management est trop éloigné des réalités du terrain », analyse un expert télécom de la Banque mondiale. En Afrique, le groupe doit composer avec un revenu moyen par utilisateur inférieur à 10 dollars, quand il atteint presque 50 dollars aux Émirats arabes unis. Un manque à gagner dont Etisalat semble avoir pris conscience, puisqu’il a lancé un plan d’économie et une réorganisation de ses canaux de distribution. En dépit de ses difficultés à améliorer ses résultats financiers, l’opérateur n’entend pas a priori se séparer de ses filiales africaines. « C’est un acteur qui est là pour durer », prédit Rémy Fekete, avocat au cabinet Gide. Pour preuve : son intérêt déclaré pour l’opérateur marocain Méditel, avant que la partie soit remportée par Orange. Mais il s’intéresse à d’autres opérations, d’autant que le groupe émirati, qui a réalisé 1,7 milliard d’euros de profits en 2009, souhaite porter son chiffre d’affaires à l’international à 30 % d’ici 2013, contre 14 % aujourd’hui.

Risque de spéculation

Il n’est pas surprenant que l’Afrique et son potentiel de nouveaux utilisateurs, estimé à plus de 300 millions par Nokia d’ici à 2014 – soit autant que la performance attendue pour l’Inde et la Chine sur cette période –, attirent d’autres investisseurs du Moyen-Orient. Ainsi la famille Ben Laden, grande fortune du BTP, a investi dans plusieurs pays à travers la société Bintel. Implantés en Centrafrique et au Congo, les magnats saoudiens détiennent dans ces pays respectivement 16 % et 2 % de part de marché, pour un revenu moyen de 4 dollars par utilisateur. Des investissements dont la rentabilité financière est pour le moment limitée (marge Ebitda inférieure à 20 %). L’avenir dira si Bintel est un investissement spéculatif ou s’il s’intègre dans une véritable stratégie industrielle. Une interrogation qui concerne également le soudanais Sudatel et son expansion internationale, notamment au Sénégal où il peine à décoller, avec une marge Ebitda d’environ 10 %. Ses affaires sont néanmoins meilleures en Mauritanie (marge Ebitda de 30 %), mais son potentiel y est plus restreint.

Quant au nigérian Globacom, il puise sur son marché domestique tout le carburant nécessaire à son décollage continental. L’opérateur posséderait 25 % de part de marché dans le pays, soit près de 20 millions d’utilisateurs. Son plan de développement suscite l’intérêt des observateurs. La compagnie a en effet financé, avec quelques difficultés certes, son propre câble sous-marin reliant le Nigeria au Royaume-Uni. Présente au Ghana et au Bénin, elle a récemment annoncé détenir une licence en Gambie et au Sénégal.

Des PME à l’avenir incertain

Reste à savoir si Globacom aura assez de fonds propres pour financer son expansion. L’opacité de la gestion et la réputation sulfureuse de son fondateur, Mike Adenuga, l’homme le plus riche du Nigeria, pourraient en effet dissuader les groupes cotés de s’associer avec lui. En 2006, il a momentanément fui le pays après avoir été entendu par la Commission de lutte contre les crimes économiques et financiers.

L’avenir est encore plus incertain pour les opérateurs Comium et Africell. Ces grosses PME libanaises sont bloquées dans leur développement en raison de leurs moyens financiers très limités. Comium, qui possède une belle part de marché en Côte d’Ivoire, pourrait représenter un actif attractif pour un acteur cherchant à consolider sa position dans le pays. Africell affiche de son côté de belles parts de marché en Gambie (65 %) et en Sierra Leone (45 %). Mais compte tenu de leur taille, ces marchés ne lui permettent pas de se développer hors de ce périmètre. Nul doute que les frères Nizar et Ziad Dalloul, respectivement PDG de Comium et d’Africell, accepteraient avec plaisir une offre de rachat leur permettant de valoriser leurs actifs. Mais, pour le moment, les prétendants ne se bousculent pas au portillon.

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