Afrique de l’Ouest : des majors en ordre de bataille

La mise au jour du gisement Jubilee au Ghana par des petites compagnies indépendantes a eu l’effet d’un électrochoc chez les majors, concentrées jusque-là sur des espaces mieux connus comme l’Angola, le Nigeria, le  Congo ou le Gabon. Elles font désormais leur retour en force en Afrique de l’Ouest.

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© Vincent Fournier pour JA ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 1 décembre 2010 Lecture : 5 minutes.

Absentes de cette partie du golfe de Guinée jusqu’à la découverte du champ de Jubilee, au Ghana, en 2007, par deux petites compagnies indépendantes (les juniors Tullow Oil et Kosmos Energy), les majors pétrolières se livrent désormais une guerre sans merci pour exploiter ces gisements et s’approprier de nouvelles zones d’exploration prometteuses, de la Sierra Leone au Bénin. « Nombre de compagnies sont désormais très actives pour obtenir des blocs d’exploration » dans la région, confirme le département américain de l’énergie dans son rapport annuel « International Energy Outlook 2010 ».

En septembre, l’américain Chevron a décroché un contrat au Liberia, et en octobre, ce sont le français Total en Côte d’Ivoire et l’italien ENI au Togo qui ont fait leur entrée. Pour Paolo Scaroni, le PDG d’ENI, déjà présent au Ghana et qui investira entre 15 millions et 20 millions d’euros au Togo, « la découverte de Jubilee a changé notre vision du golfe. Nous avons décidé d’aller vers les nouvelles frontières pétrolières. Nous voulons essayer de répéter le succès de Jubilee, car il y en aura d’autres ». Pour lui, « la concurrence est plus rude » depuis la mise au jour de ce gisement géant. En dix ans, les investissements pétroliers en Afrique de l’Ouest ont été multipliés par dix, pour atteindre 15,6 milliards de dollars cette année (environ 11,7 milliards d’euros), dont une large majorité dans le golfe, a estimé Mark Ward, le patron de Mobil Producing Nigeria, filiale nigériane de l’américain ExxonMobil.

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Conséquences : les sociétés présentes et les États, en position de force, jouent la surenchère. Et les majors usent de tous les moyens pour parvenir à leurs fins. Au Liberia, où Chevron est entré en septembre à hauteur de 70 % sur trois blocs d’exploration détenus par la junior nigériane Oranto, la négociation a été menée directement par le fils de la présidente Ellen Johnson-Sirleaf, Richard Sirleaf. Le groupe américain, peut-être alléché par les deux découvertes réalisées depuis 2009 par son compatriote Anadarko en Sierra Leone (la première ne sera probablement pas exploitable et le groupe garde le silence sur le contenu de la seconde), a prévu d’entamer les opérations de forage au large de Monrovia à la fin de l’année, pour une période de trois ans.

Incident diplomatique

Au Ghana, les dernières tractations autour du désormais célèbre Jubilee ont été plus houleuses. Début octobre 2009, le géant pétrolier américain ExxonMobil a proposé 4 milliards de dollars à Kosmos Energy (qui en voulait initialement 5 milliards) pour racheter un quart de ses actifs et prendre part à l’exploitation du gisement. Alors que le processus de cession est enclenché, ExxonMobil déchante très rapidement. Le gouvernement ghanéen, conseillé par le cabinet d’avocats néerlandais spécialisé Freshfields Bruckhaus Deringer, fait barrage. Il juge l’opération illégale et accuse Kosmos d’avoir fourni à Exxon des informations confidentielles sans son accord. Accra dénonce en outre l’absence de participation de la Ghana National Petroleum Corporation (GNPC), la compagnie nationale, aux négociations ayant conduit à la signature du contrat entre ExxonMobil et Kosmos Energy. L’affaire a frôlé l’incident diplomatique avec Washington.

Mais derrière cette version officielle se cache en réalité l’influence d’autres grandes compagnies internationales. Ainsi, le gouvernement ghanéen voulait racheter les parts de Kosmos à un prix bien inférieur, afin de les revendre au prix fort après avoir fait jouer la concurrence entre les majors. BP, notamment, était en lice. Englué dans la catastrophe du golfe du Mexique, début 2010, il s’est finalement retiré de la course. Le norvégien Statoil, le brésilien Petrobras et le néerlandais Shell étaient également prêts à faire des offres.

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Tous veulent une part de l’or noir ghanéen, dont les réserves prouvées, après d’autres découvertes, avoisinent désormais 3 milliards de barils. Finalement, c’est la China National Offshore Oil Corp. (Cnooc) qui l’a remporté en septembre dernier. En échange d’une prise de participation de 10,1 % dans Jubilee, l’empire du Milieu, devenu partenaire de la GNPC, va débourser environ 14 milliards de dollars sous forme de prêts au Ghana. Tout le monde pourrait y trouver son compte : Kosmos devrait encaisser un chèque de 4 milliards de dollars et la GNPC récupérer 3 % du champ.

0px solid #000000; float: left;" class="caption" title="Jacques Maraud Des Grottes, directeur Afrique de Total (exploration et production) : « Tout ce qui est sur cette zone nous intéresse ». © Vincent Fournier/J.A." src="https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/default/default-thumbnail-42x42.jpg" alt="Jacques Maraud Des Grottes, directeur Afrique de Total (exploration et production) : « Tout ce qui est sur cette zone nous intéresse ». © Vincent Fournier/J.A." height="156" />Total en Côte d’Ivoire

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En Côte d’Ivoire, aux termes d’un accord conclu le 22 octobre avec Yam’s Petroleum, détenu par l’architecte et homme d’affaires Pierre Fakhoury, le français Total a acquis une participation de 60 % dans le permis CI-100, tandis que Yam’s Petroleum conserve une participation de 25 % et que la société nationale, Petroci, détient les 15 % restants. Cette opération s’est faite au détriment des groupes BP, Shell, ENI, Lukoil et Vanco. Le montant déboursé par la firme française, s’il reste confidentiel, serait très (trop) élevé. Même si la zone est prometteuse : les réserves pourraient atteindre jusqu’à 1,5 milliard de barils. Situé dans les eaux territoriales près de la frontière ghanéenne, ce bloc possède « des similitudes géologiques avec le Ghana », explique Jacques Marraud des Grottes, directeur Afrique pour l’exploration et la production de Total. Le groupe, qui a investi 5 milliards de dollars en 2009 sur le continent, dont une grosse partie dans le golfe de Guinée, consacrera quelque 100 millions de dollars sur deux ans pour explorer son nouveau permis. « Rendez-vous dans dix-huit à vingt-quatre mois, lorsque nous aurons effectué les forages d’exploration ! » lance Jacques Marraud des Grottes.

Sur place, le partenaire ivoirien de Total, la Petroci, estime que « l’arrivée d’une major nous conforte sur le potentiel du pays », dixit son PDG, Kassoum Fadika. Après l’élection présidentielle ivoirienne, de nouveaux blocs offshore seront mis aux enchères. Selon nos informations, des majors ont déjà approché le pays, comme l’américain Marathon Oil. « Il y a des zones sur lesquelles, c’est vrai, la compétition et donc la surenchère sont plus importantes qu’il y a cinq ans, remarque le directeur de Total. Cela fait partie de notre métier. Et nous souhaitons aujourd’hui prendre plus de risques afin d’augmenter notre part d’exploration frontière. » Le groupe se dit tout simplement intéressé par toute la zone.

Selon l’expert international Duncan Clarke, « il y a aujourd’hui une trentaine d’acteurs, alors qu’ils n’étaient qu’une poignée au tournant de ce siècle ». Et la bataille ne fait que commencer. Outre la montée en puissance des sociétés nationales africaines (GNPC au Ghana, Sonangol en Angola, Petroci en Côte d’Ivoire…), le nombre de sociétés présentes sur toute la chaîne du secteur pétrolier – de l’exploration à la production, en passant par l’ingénierie -, actuellement de 500, pourrait atteindre quelque 1 500 sur toute l’Afrique d’ici moins de trente ans.

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