L’ouverture en Guinée selon Alpha Condé
C’est au coup par coup que le chef de l’État guinéen a annoncé la composition du gouvernement, entre fin décembre et début janvier. Un gouvernement d’union au sein duquel les grands équilibres régionaux ont été respectés.
« Guinea is back. » La Guinée est de retour, lançait Alpha Condé, l’œil taquin, le 21 décembre dernier devant la foule nombreuse et les treize chefs d’État réunis pour assister à son investiture au Palais du peuple de Conakry. Trois jours plus tard, les Guinéens faisaient connaissance avec leur nouveau Premier ministre, Mohamed Saïd Fofana. Mais sa nomination n’a guère suscité d’enthousiasme. Pas plus que la composition du gouvernement, annoncée par vagues successives entre la fin du mois de décembre et le début du mois de janvier.
Les Guinéens découvrent, un brin intrigués, des visages pour la plupart inconnus. Pas de grandes figures de la société civile ni de ténors de la politique guinéenne : le changement promis par Alpha Condé passe par la nouveauté. À 58 ans, c’est donc Mohamed Saïd Fofana, un Soussou originaire de la Basse-Guinée, qui prend la tête d’un gouvernement d’une quarantaine de membres. Cet économiste a, depuis la fin des années 1970, occupé plusieurs postes à responsabilités, aux ministères du Plan et du Commerce. Il a aussi été, pendant dix-sept ans, le secrétaire général de la Chambre de commerce de Guinée. Réputé rigoureux, il a le mérite de ne traîner « aucune casserole », selon plusieurs cadres des régimes précédents.
Piliers de la nouvelle ère
En portant son choix sur Mohamed Saïd Fofana, Alpha Condé a tenu la promesse qu’il avait faite à la Basse-Guinée, région sans laquelle il n’aurait pas pu remporter l’élection. Mais déçoit ceux qui souhaitaient que le poste de Premier ministre revienne à Ibrahima Kassory Fofana, ancien tout-puissant ministre de l’Économie et des Finances sous Lansana Conté et candidat malheureux à la présidentielle, éliminé dès le premier tour. Ibrahima Kassory Fofana comptait, parmi ses sympathisants, des sages de la coordination régionale (chacune des quatre régions naturelles du pays compte une coordination).
Après un demi-siècle de dictature, les Guinéens attendent désormais de découvrir les qualités que l’on prête à Mohamed Saïd Fofana. Bailleurs de fonds et institutions internationales aussi. Mais ceux-ci ont surtout les yeux rivés sur le ministre des Finances, Kerfalla Yansané, issu du gouvernement de transition dirigé par Jean-Marie Doré. « Sa reconduction a été négociée de longue date avec les finalistes du second tour, révèle un fonctionnaire international. Durant plusieurs mois, il a démontré sa capacité à remettre de l’ordre dans les finances publiques dans un contexte très difficile. C’est un homme très attentif et structuré. » Yansané devrait donc être un des piliers de cette nouvelle ère que l’on veut sans corruption. De même que Christian Sow, nommé à la Justice : cet avocat avait défendu Alpha Condé après son arrestation, en 1998. Il est connu pour son engagement en faveur des droits de l’homme et de la lutte contre l’impunité. Il aura la lourde tâche de conduire la réforme de la justice, et sans doute de piloter le dossier de la réconciliation nationale. Parmi ceux qui suscitent une attention particulière, il y a aussi le nouveau ministre des Mines, Mohamed Lamine Fofana, ancien conseiller à la primature. C’est son prédécesseur au ministère, Mahmoud Thiam, qui l’aurait recommandé, en raison de sa « bonne connaissance des dossiers » dans ce secteur pour le moins épineux. La renégociation des contrats miniers sera d’ailleurs, avec le développement de l’agriculture, de l’enseignement, l’amélioration du système de santé ou encore la réforme de l’armée, l’une des priorités du gouvernement.
Proche de Dadis Camara
Alpha Condé s’est attribué le ministère de la Défense, auparavant occupé par le président de la transition, le général Sékouba Konaté. « Je m’occuperai moi-même des problèmes de l’armée, parce que nous voulons que cette armée devenue aujourd’hui républicaine soit à la hauteur de ce que l’Afrique attend de nous », a justifié Alpha Condé, qualifiant les questions militaires de « très sensibles ». « C’est aussi pour mieux contrôler les dépenses militaires », estime un de ses proches. On peut par ailleurs relever que trois généraux – Mamadouba Toto Camara, Mathurin Bangoura et Mamadou Korka Diallo – ont été maintenus dans le gouvernement à la demande, semble-t-il, du général Konaté. Le premier était le numéro deux de la junte militaire emmenée par Moussa Dadis Camara ; il conserve le portefeuille de la Sécurité. Le second, à l’origine de la mise en service d’un train reliant le centre de Conakry à la banlieue, passe du ministère des Transports à celui de l’Urbanisme. Et le troisième du Commerce à la Pêche.
En Guinée, où les tensions politico-ethniques ont été très vives entre les deux tours de la présidentielle, la formation de ce premier gouvernement à la fois politique et technique n’a pas été chose facile. À Conakry, nombre d’observateurs considèrent que Fofana et Alpha Condé ont respecté l’équilibre régional, grâce notamment à l’implication des coordinations de la Basse-Guinée et de la Forêt, qui leur ont proposé des noms. Contrairement à la Basse-Guinée, la Guinée forestière n’a certes pas donné les résultats attendus au second tour du scrutin, mais elle constitue tout de même un enjeu important dans la perspective des législatives, prévues dans le courant du premier semestre de 2011. Ce qui explique en grande partie la présence de « forestiers » au sein de la nouvelle équipe : notamment Papa Koly Kourouma, un proche de Moussa Dadis Camara, qui devient ministre de l’Énergie et de l’Environnement, et Jean-Marc Telliano, nommé à l’Agriculture.
Malgré le manque d’implication de la coordination de Moyenne-Guinée (dont est originaire Cellou Dalein Diallo, le vaincu du second tour), à Conakry nombre d’observateurs considèrent que les grands équilibres communautaires ont été respectés. On retrouve en effet plusieurs ministres dont les noms sont d’origine peule. Parmi eux, Ousmane Bah, candidat malheureux au premier tour, originaire du Fouta et installé aux Travaux publics et aux Transports.
Gouffre économique
Il faudra un peu de temps pour évaluer la capacité du gouvernement à sortir le pays du gouffre économique et social dans lequel il a depuis longtemps sombré. Mais les signes d’impatience des populations apparaissent déjà. Le 3 janvier, plusieurs dizaines de personnes ont manifesté à Kaloum, la commune qui abrite les administrations et qui a voté en masse pour Condé, pour protester contre les coupures d’électricité. Le lendemain les travailleurs de la Société guinéenne des transports se mettaient en grève pour réclamer des arriérés de salaires… Alpha Condé et Mohamed Saïd Fofana ont fort à faire.
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