Maroc Télécom étend son royaume
Mauritanie, Burkina, Mali, Gabon et peut-être Bénin… Le groupe, qui publie ses résultats le 22 février, n’hésite pas à signer de gros chèques pour prendre le contrôle d’opérateurs publics qu’il redresse avec succès.
Cette offensive arrive quelques semaines après l’accord trouvé avec Libreville pour conclure une fois pour toutes le rachat de 51 % de Gabon Télécom, pour 61 millions d’euros. Au terme de trois années de négociations, l’État gabonais a finalement accepté de compenser les différentes dettes et créances de l’opérateur public. Après audit, Maroc Télécom avait en effet constaté un endettement de 336 millions d’euros.
Une stratégie de petits pas
Le groupe marocain est désormais présent dans quatre pays subsahariens (Mauritanie, Mali, Burkina Faso et Gabon), toujours via un opérateur historique. « La façon dont Maroc Télécom se développe tient à son histoire, décrypte Guy Zibi, du cabinet AfricaNext. D’abord publique, l’entreprise a ensuite été cédée à Vivendi, l’État ne conservant que 30 % du capital. Elle a dans ses gènes l’expérience et le savoir-faire pour réussir une privatisation. Si beaucoup d’opérateurs redoutent d’avoir un État comme coactionnaire, ce n’est pas son cas. » Notamment parce que Maroc Télécom sait tirer profit des bons rapports qu’entretiennent le royaume et Mohammed VI avec les pays africains.
« Son développement international s’explique par la concurrence accrue à laquelle l’opérateur doit faire face au Maroc, où le taux de pénétration du mobile est supérieur à 100 % », explique Guillaume Touchard, de Sofrecom, le cabinet de conseil de France Télécom. Initiée en 2001 avec la prise de contrôle du mauritanien Mauritel, cette expansion s’inscrit dans une stratégie de petits pas, en fonction des opportunités. « Cela a plus de sens que le coup d’éclat du koweïtien Zain qui, cinq ans après l’achat des filiales de Celtel, a tout vendu à l’indien Bharti », estime Isabelle Gross, du cabinet Balancing Act.
Reconnu pour son savoir-faire, Maroc Télécom a gagné tous ses marchés à la suite d’appels d’offres. Une stratégie qui l’a souvent obligé à payer le prix fort pour l’emporter : 220 millions d’euros pour Onatel au Burkina Faso, 275 millions pour Sotelma au Mali. « Deux pays qui possèdent encore un fort potentiel de croissance, avec respectivement 28 % et 36 % de taux de pénétration du mobile », signale Jean-Michel Huet, du cabinet BearingPoint.
Coupes claires
Ces filiales africaines, si elles sont moins rentables que des opérateurs créés à partir de nouvelles licences, sont toutes profitables. Au premier semestre 2010, leur chiffre d’affaires consolidé – 243 millions d’euros – représentait 17,8 % du total du groupe et leur contribution à la marge opérationnelle, 13,3 %. Et les résultats annoncés au troisième trimestre 2010 (les chiffres de l’année écoulée sont communiqués le 22 février) sont plus que corrects aux yeux des experts. Au Burkina Faso, Onatel revendique 44 % de part de marché et une marge opérationnelle de 26,3 %. En Mauritanie, où Mauritel a profité d’un duopole jusqu’en 2006, l’entreprise occupe le fauteuil de leader, avec 53 % de part de marché et une marge de 31,8 %. Au Mali, Sotelma affiche des résultats plus modestes, avec 26 % de part de marché et une marge de 12,8 %, mais son nombre d’abonnés au mobile a bondi de 185 % en un an. Même Gabon Télécom a pu être redressé et ne perd plus d’argent, avec une marge de 8,9 % pour 35 % de part de marché.
Mais le retour aux bénéfices est passé, invariablement, par une coupe claire dans les effectifs. Au Gabon, l’audit a révélé que les charges de personnel représentaient 65 % des coûts de l’opérateur, quand elles se limitent habituellement à 20 % en Afrique subsaharienne. Environ 800 emplois sur les 1 300 que comptait l’entreprise ont été inscrits dans un plan de licenciement pris en charge par l’État. Même régime draconien au Burkina Faso, avec plus de 200 suppressions de poste, et au Mali, avec 610 départs. Bénin Télécoms n’échappera pas à cette règle, quel que soit son acquéreur. C’est près d’un salarié sur deux qui devrait être poussé vers la sortie.
Ces restructurations ont pu laisser des traces, y compris au sein des cadres. « Les dirigeants marocains ne sont pas toujours préparés aux spécificités subsahariennes. Dans la culture arabe, le management est plus autoritaire, et le respect dû aux aînés moins important », admet un consultant en ressources humaines. Des différences qui, selon lui, expliquent en partie les grèves et les résultats mitigés connus par Onatel en 2008.
Miser sur la fibre optique
Reste que, porté par des succès parfois inespérés, Maroc Télécom devrait poursuivre sa stratégie de croissance externe. D’autant que l’opérateur investit en parallèle dans des réseaux terrestres. Mi-2010, Abdeslam Ahizoune a annoncé la construction de câbles en fibre optique pour relier à partir du Maroc les pays de la région. Des infrastructures qui permettront d’éviter l’achat de bande passante à Sonatel (groupe France Télécom). Les filiales du Gabon, et peut-être bientôt du Bénin, lui offrant par ailleurs un accès direct au câble sous-marin Sat-3, et en 2012 un raccordement au projet ACE (Africa Coast to Europe).
Si peu d’observateurs voient Maroc Télécom partir à l’assaut de l’Afrique anglophone, le nom du groupe est évoqué en cas de privatisation de Sotelgui en Guinée. Les parts détenues (25 %) par Sakhr el-Materi, gendre de Ben Ali, dans Tunisiana pourraient aussi devenir un objectif si l’État tunisien venait à les proposer à la vente. Même si l’opérateur chérifien assure ne rechercher que des participations majoritaires. En revanche, la capacité d’endettement de Maroc Télécom, limitée à environ 1 milliard d’euros, selon un analyste financier marocain, ne lui permet pas d’envisager de grosses acquisitions comme les actifs africains du luxembourgeois Millicom. Sauf si l’opération devait se faire avec le soutien de sa maison mère. Mais depuis cinq ans, c’est Maroc Télécom qui joue le rôle de vache à lait pour Vivendi, lui redistribuant 100 % de son résultat. Et il n’est pas certain que le groupe français souhaite lui rendre la pareille.
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