Sénégal : Macky Sall, monsieur le président ?

L’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade vole désormais de ses propres ailes. Après être tombé en disgrâce, et avoir créé son parti en 2008, Macky Sall voit ses efforts récompensés en accédant au second tour de l’élection présidentielle sénégalaise face au président sortant. Jeune Afrique rouvre ses archives et republie à cette occasion le portrait qui lui avait été consacré au mois de mai 2011.

Macky Sall à son domicile, le 5 avril dernier, entre d’incessantes tournées dans le pays. © Émilie Régnier, pour J.A.

Macky Sall à son domicile, le 5 avril dernier, entre d’incessantes tournées dans le pays. © Émilie Régnier, pour J.A.

Publié le 16 mai 2011 Lecture : 9 minutes.

Mercredi 30 mars 2011, dans les quartiers chics de Dakar. La ville vit au rythme des embouteillages et des délestages, quoique moins nombreux depuis quelques jours. Mais ici, on est loin de cette effervescence. Voilà bientôt deux heures que Macky Sall, qui nous reçoit dans le salon de sa villa cossue et bien gardée, parle de lui, de ses premiers pas en politique, de sa relation – ambiguë, forcément – avec Abdoulaye Wade. On ne s’ennuie pas, mais presque : le président de l’Alliance pour la république (APR) est introverti. Pas tout à fait un taiseux (il se prête volontiers au jeu des questions-réponses), mais pas du genre non plus à se lancer dans des diatribes enflammées. « Macky, c’est sujet, verbe, complément. Rarement sujet, verbe, compliment », se moque un observateur. Il est « sérieux », « compétent », « intègre », disent de lui les politologues sénégalais et les leaders de l’opposition, à laquelle il appartient (Benno Siggil Senegal). Est-ce suffisant pour succéder à Wade à la présidence du Sénégal ?

« Il a une tête de “why not”. Pourquoi pas lui… », nous avait glissé, deux jours auparavant, Cheikh Diallo, un proche de Karim Wade, le fils du président, qui se présente comme un observateur indépendant de la vie politique sénégalaise. Pourquoi pas lui, en effet… Mais pourquoi lui ? peut-on également se demander. Peut-être parce qu’il n’est pas si lisse qu’il n’y paraît, que sous son apparente nonchalance se cache « un vrai combattant », si l’on se fie à son bras droit, l’avocat Alioune Badara Cissé. Peut-être parce que, depuis dix ans, cet ingénieur de formation a pris l’habitude de surprendre son monde.

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L’étonnement

Il a d’abord étonné les journalistes en 2004. Tout juste nommé Premier ministre, ce quasi-inconnu a tenu tête aux cadors de l’opposition, les Tanor, Niasse et compagnie, lors de son premier discours de politique générale. Il a ensuite dérouté son propre camp, le Parti démocratique sénégalais (PDS), après avoir refusé de démissionner de son poste de président de l’Assemblée nationale, malgré la demande pressante du président de la République, à qui, pensait-on, il ne pouvait rien refuser – c’était en 2008.

Nous aussi, il nous a désarçonné quand, répondant à l’ultime question de notre entrevue – « Quels sont vos modèles politiques ? » –, il a cité Nelson Mandela, « une légende vivante », Charles de Gaulle, « pour son courage et son nationalisme », et… Mao Zedong. Un silence, puis cette explication : « Je suis un libéral, mais ce n’est pas incompatible. Je crois que la révolution chinoise a eu ses mérites. Et puis je pense, comme lui, qu’il faut encercler les villes par la campagne pour l’emporter. »

La présidentielle de 2012, Macky Sall ne pense plus qu’à ça. « C’est un but », reconnaît-il. Une obsession ? Il le nie. Dans le passé, il ne s’est cependant pas gêné pour affirmer qu’il avait un compte à régler avec le clan Wade. Ce n’est pas un hasard si, depuis qu’il a fondé son parti, en décembre 2008, il parcourt le Sénégal. « Il sait que pour gagner la présidentielle il faut être présent sur tout le territoire », explique un de ses conseillers. C’est aujourd’hui l’une de ses faiblesses – « à part le Fatick et le Fouta [dans le centre et le nord du Sénégal, NDLR], il n’a pas de bastion », remarque le juriste Babacar Gueye –, mais à ce rythme elle sera effacée dans quelques mois.

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Lorsque nous l’avons rencontré, Macky Sall revenait tout juste d’une tournée d’un mois et cinq jours. « Nous avons traversé 200 localités, 8 départements. Nous avons fait 10 500 km. Sans revenir une seule fois à Dakar », énumère un de ses conseillers. Quelques jours plus tard, il a entrepris une autre tournée de vingt-deux jours dans la région de Kaolack, au sud-est de Dakar. « Et à chaque fois, on dort chez l’habitant, ajoute ce conseiller. Vous en connaissez beaucoup, vous, des futurs candidats qui effectuent de telles tournées ? La plupart partent quatre ou cinq jours puis reviennent à Dakar. »

L’installation

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Lors de ces tournées, Sall installe son parti. L’occasion de constater « la grande détresse du monde rural » et « la désaffection des hommes politiques ». L’occasion, aussi, de se régénérer. Car « Macky a un cœur de campagnard », c’est son bras droit, Me Cissé, qui l’affirme.

La campagne, il y est né (le 11 décembre 1961, à Fatick), il y a grandi (dans le Fatick, puis dans le Fouta). Son enfance fut heureuse, résume-t-il, mais sa réserve lui interdit de dire ce que révèlent ses amis : elle fut aussi très modeste. Son père, un Toucouleur nommé Amadou Abdoul Sall, fut manœuvre dans la fonction publique, puis simple gardien. Sa mère, également toucouleure, répondant au nom de Coumba Thimbo, vendait des arachides pour compléter le maigre revenu du foyer et nourrir leurs quatre enfants. M. Sall militait au Parti socialiste (PS). Mais Macky, lui, n’y a jamais adhéré. « C’était le symbole du pouvoir, de l’arrogance », explique-t-il. Avant de voter pour Abdoulaye Wade en 1983, il a frayé avec les maoïstes. Au lycée de Kaolack, d’abord, où il fut « embrigadé » par son beau-frère. À la faculté de Dakar ensuite. C’est là qu’il rencontre Landing Savané, dont il intègre le mouvement, And-Jëf, d’obédience marxiste-léniniste. Mais rapidement, il en sort. Nous sommes en 1983 : Macky Sall pense qu’il faut voter contre le PS, donc pour Wade ; Savané, lui, prône le boycott des urnes. En fait, la fracture est plus profonde : « Je n’ai jamais cru au marxisme, affirme-t-il aujourd’hui. Mais je dois reconnaître que ça m’a formé sur le plan politique. »

Sall est un libéral, un vrai. C’est aussi un pur wadiste. En 1983, puis en 1988, il a voté Wade. Une fois son diplôme d’ingénieur géologue en poche, il rejoint naturellement le PDS. « Wade avait été emprisonné. À sa sortie, il a lancé un appel que j’avais trouvé extraordinaire aux cadres sénégalais. J’y ai répondu. » Wade lui fait immédiatement confiance. L’opposant historique ne le regrettera pas : en 1998, lorsque plusieurs responsables du parti, qui ne croient plus en la possibilité d’une alternance, le fuient, Sall reste à ses côtés. En tant que président des cadres du PDS, il prendra une part importante à la victoire de son « mentor » à l’élection présidentielle de 2000.

« C’est un homme fidèle », dit de lui Me Cissé. Patient aussi. Après la victoire, Sall estime mériter un portefeuille ministériel, mais il est nommé à la tête de la Société des pétroles du Sénégal (Petrosen). La déception est vite oubliée : un an plus tard, il prend les rênes du ministère des Mines et de l’Énergie ; en 2003, il devient ministre de l’Intérieur et porte-parole du gouvernement ; en avril 2004, il est nommé Premier ministre. Son ascension est fulgurante, son passage à la primature remarqué – et pas seulement parce qu’il détient, à ce jour, le record de longévité pour un Premier ministre d’Abdoulaye Wade. « Il a fait bouger beaucoup de choses, indique Babacar Gueye. Avant, avec Idrissa Seck, tous les grands projets du président étaient en attente.

Seck, le jardinier des rêves de Wade

Seck, c’était un peu le jardinier des rêves de Wade : il voulait anticiper les désirs du président sans vraiment les réaliser. Sall, c’est le contraire. C’est un ingénieur tourné vers les grands projets. Son règne a coïncidé avec le début des réalisations : l’autoroute, les travaux de la corniche, l’aéroport… » Avec l’émergence, aussi, d’un certain Karim Wade… Macky Sall travaille dur, obtient des résultats, est apprécié de ses ministres, qu’il ménage – trop parfois, estiment ses proches, qui regrettent sa difficulté à trancher dans le vif. Mais il n’échappera pas à la malédiction des dauphins de Wade. En 2007, la chute est brutale. Naïf, il n’a rien vu venir. « Il faisait une confiance aveugle au président », dit aujourd’hui Me Cissé, un compagnon de route de Wade depuis 1982, qui a suivi Sall en 2008, comme une trentaine de cadres du PDS.

Après avoir dirigé la campagne de son mentor, Sall sent « un changement dans la relation ». Quelques jours après sa victoire, interrogé par un journaliste sur son successeur potentiel, Wade répond : « Je ne vois personne autour de moi. » Pour Sall, assis juste à côté, le coup est rude. Il s’agit de la première d’une longue série d’humiliations. Trois mois plus tard, il apprend qu’il ne sera pas reconduit à la primature. Qu’à cela ne tienne, il se console avec la présidence de l’Assemblée nationale. « Il pensait faire cinq ans, jusqu’à la présidentielle de 2012 », indique l’un de ses conseillers. Il n’y restera qu’un an. Sa faute ? Avoir convoqué Karim Wade, sans en informer le chef de l’État, pour qu’il s’explique, devant les députés, sur les comptes de l’Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique (Anoci, qui dépend directement de la présidence). C’en est trop pour Wade, qui appelle Macky : « Rends-moi ce que je t’ai donné. Démissionne. » Macky réagit de manière insensée pour ses proches : il refuse. « On ne pensait pas qu’il était capable de lui dire “non” ».

Finalement, son mandat est réduit à un an. Puis il perd son poste de numéro deux au PDS. Se voit retirer sa garde rapprochée. Attend en vain son nouveau passeport diplomatique. Se fait fouiller à l’entrée de la présidence, comme un vulgaire visiteur. Est accusé de blanchiment d’argent, avant d’obtenir un non-lieu. Wade, en s’acharnant sur lui, a commis une erreur d’appréciation. Peut-être le pensait-il soumis. Mais avant d’être courtois, l’homme est fier. « On a touché un point sensible : son orgueil », estime Me Cissé. Les difficultés l’ont transformé. Macky, l’ingénieur taiseux, limite effacé, le serviteur zélé de Wade, s’émancipe. Il quitte le PDS, crée son parti, déclare sa candidature à la présidentielle. Il dit aujourd’hui ne pas en vouloir à Wade – « j’ai toujours beaucoup de respect pour lui » –, mais a fait de sa chute une affaire personnelle. Peut-il y arriver ? Poussé par un sondage réalisé courant 2010 par le cabinet Moubarack Lô (sondage qui le donne favori dans la capitale et sa banlieue), il fait aujourd’hui figure d’outsider n° 1 d’Abdoulaye Wade.

Dans le quartier de Sandaga, à Dakar, le 5 avril 2011.

© Émilie Régnier, pour J.A.

L’orgueil

Il a pour lui son CV, note Babacar Gueye, et une bonne image, surtout auprès des jeunes : « Il ne traîne pas de casseroles. S’il s’est enrichi, il l’a fait de manière très discrète. » Ses détracteurs s’étonnent de ses moyens qui semblent sans limite : plusieurs 4×4, une villa taille XXL et, surtout, une campagne permanente qui coûte forcément très cher. Mais leurs accusations ne dépassent jamais le stade du sous-entendu. Sall a pour lui, aussi, sa personnalité. Certes, ce n’est pas un tribun hors pair, mais « il rassure les Sénégalais », estime Cheikh Diallo. Qui ajoute : « Il est sénégalo-compatible. Dans n’importe quelle région du pays, il peut se faire entendre. Il parle cinq langues : le wolof, le sérère, le pulaar, le français et l’anglais. »

Macky Sall a une dernière qualité, et pas la moindre : il sait amadouer. Lui trouver des ennemis à Dakar n’est pas chose aisée. Même l’entourage de Karim Wade semble lui avoir pardonné l’épisode de 2008. La dernière fois que les deux hommes se sont vus, c’était pour la Korité (l’Aïd), en septembre 2010, au domicile de Macky Sall. En deux ans, Sall aura aussi séduit l’opposition à force de discours sur la mal-gouvernance de son ex-mentor, faisant presque oublier les huit années de pouvoir passées à ses côtés, sans jamais tomber dans le piège de l’invective et tout en conservant des liens étroits avec de nombreux dirigeants du PDS. C’est l’avantage quand on est lisse – ou qu’on feint de l’être : on se faufile un peu partout.

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