Reconnaissance de l’État palestinien : ils ne pensent plus qu’à ça

Tout semble fin prêt pour la proclamation d’un État souverain à l’ONU, le 20 septembre 2011. Mais l’absence d’un accord politique avec Israël n’est pas pour faciliter les choses. Reportage.

Les attentes sont grandes, à la mesure de l’espoir d’une reconnaissance internationale. © Reuters

Les attentes sont grandes, à la mesure de l’espoir d’une reconnaissance internationale. © Reuters

perez

Publié le 9 septembre 2011 Lecture : 7 minutes.

Dans un no man’s land au paysage lunaire, au pied des montagnes arides de Judée, se dresse un vaste complexe bétonné et ultramoderne. Le périmètre est ceinturé par un épais grillage, des caméras de surveillance et une route de sécurité réservée aux patrouilles de Tsahal. Un panneau blanc, à l’entrée du site, souhaite néanmoins la bienvenue aux visiteurs. En bordure de la Ligne verte, empiétant même légèrement dessus, Tarkumiya est l’ultime obstacle israélien avant la Cisjordanie. Ce terminal est placé sous le contrôle du ministère de la Défense, qui y a affecté des gardes appartenant à un groupe de sécurité privé.

Tarkumiya, opérationnel depuis 2007, est l’une des six plateformes de transbordement construites à la frontière entre Israël et le futur État palestinien. Arrivant des deux sens, plusieurs centaines de camions viennent chaque jour y déposer leurs marchandises. Ils ne sont pas autorisés à aller plus loin. Appelés par la voix féminine d’un haut-parleur, les poids lourds passent à tour de rôle sous un bras électronique censé détecter la moindre trace d’explosif. À l’écart du dispositif, des camions attendent la fin des inspections pour charger leurs nouvelles palettes et repartir du côté israélien ou palestinien. L’opération dure en moyenne une quarantaine de minutes. « Ces contraintes sécuritaires posent problème, s’énerve Mohye Ahmad, un vieil homme d’affaires palestinien venu spécialement d’Hébron, 20 km plus loin, pour tenter d’accélérer la procédure. À cause de ces fouilles, mes produits mettent plus de temps à arriver jusqu’à Tel-Aviv. Il me faut aussi payer deux chauffeurs. Si ça continue, j’enverrai mes marchandises à Amman. »

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L’effet Fayyad

Tarkumiya illustre de façon concrète la manière dont transitent les importations et les exportations palestiniennes. Et aussi la main-d’œuvre : chaque matin, 3 500 ouvriers palestiniens munis d’un permis de travail empruntent ce point de passage pour se rendre en Israël. Reste qu’avec des taxes imposées à l’entrée et à la sortie, le terminal ne constitue pas encore une zone de libre-échange. Mais il est indispensable pour les paysans palestiniens, qui écoulent 60 % de leurs récoltes sur le marché israélien. « Même en période de tensions, Tarkumiya fonctionne normalement », se réjouit le lieutenant-colonel Avi Shalev, chargé de la coordination humanitaire et civile dans les territoires palestiniens. Ce type de plateforme sert aussi à mener des projets de coopération agricole et des échanges de savoir-faire. « Ici, on expérimente des mesures destinées à établir progressivement une confiance mutuelle », explique Shalev. En cas d’accord de paix, un tunnel partant de Tarkumiya pourrait d’ailleurs relier la Cisjordanie à la bande de Gaza, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest. Ambitieux, le projet a été jeté aux oubliettes après que l’enclave palestinienne est tombée aux mains des islamistes.

Les responsables israéliens sont unanimes. Depuis que Salam Fayyad est le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, la situation s’est radicalement transformée sur le terrain. « Les Palestiniens sont engagés dans la construction d’un État et considèrent que la sécurité fait partie intégrante de ce processus, reconnaît un officier militaire de haut rang. Le coup de force du Hamas à Gaza a abouti à une véritable prise de conscience. » Même si Tsahal poursuit sporadiquement ses opérations d’arrestation, la baisse drastique des attentats semble aussi liée à l’attitude exemplaire des forces de sécurité palestiniennes. En gage de reconnaissance, l’État hébreu a nettement réduit son dispositif en Cisjordanie, comme le nombre de check-points, passé de 35 à 16.

Tsahal mobilise les réservistes

« Il est évident que l’Autorité palestinienne est en train de préparer une effusion de sang et des violences sans précédent. » Comme à son habitude, le chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman, se plaît à jeter de l’huile sur le feu. Si ses propos n’ont pas réellement été pris au sérieux, ils reflètent l’inquiétude grandissante de l’État hébreu à l’approche de septembre. L’initiative de reconnaissance unilatérale palestinienne plonge les Israéliens dans l’embarras. Ils craignent à la fois un isolement international et une escalade aux frontières du pays. Pour parer à toute éventualité, l’armée israélienne a entamé une discrète mobilisation de ses troupes de réserve. À plusieurs reprises, des responsables israéliens ont menacé d’annexer la Cisjordanie si les Palestiniens proclamaient leur État avant la signature d’un accord de paix.

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Hawara, à l’entrée de Naplouse, est l’un d’entre eux. Si les blocs de béton et les guérites sont restés en l’état, plus aucun soldat israélien n’y est posté. Il y a quelques années, cette localité était encore considérée comme l’un des bastions de la seconde Intifada. Le repaire, aussi, des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa et d’autres groupes armés. Pour pacifier Naplouse, les autorités ont dû convaincre de nombreux activistes de rejoindre la police palestinienne en échange d’une amnistie. Ce qui a mis un terme à l’anarchie et permis la confiscation d’importantes quantités d’armes et de munitions. Aujourd’hui, 7 000 policiers sont affectés au district de Naplouse, le plus important de Cisjordanie après celui d’Hébron.

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Fébrilité

Ce renouveau est en grande partie l’œuvre du commandant Omar al-Bzour. Le matin, cet homme au physique patibulaire ne rate jamais une occasion d’aller inspecter ses troupes sur le terrain. Au passage du commandant moustachu, entouré de trois gardes du corps le doigt sur la gâchette, les regards se tournent. Certains badauds s’arrêtent pour le saluer, tandis que des policiers font mine de régler la circulation. « À cause du ramadan, on renforce notre présence à chaque coin de rue, explique Bzour, plutôt satisfait du comportement de ses hommes. La population nous respecte, ça n’a pas toujours été le cas. » À l’approche de la casbah et du souk, qui grouillent de monde, l’effervescence est à son comble. Seuls quelques posters de martyrs usés par le temps réveillent les fantômes du passé.

De retour au commissariat de Naplouse, Bzour se montre plus vindicatif : « Mes officiers sont parfaitement entraînés pour gérer le futur État. Les Israéliens n’ont plus d’excuses. Ils ont un partenaire capable de maintenir la paix et la sécurité. Notre problème, c’est l’occupation, la fragmentation de la Cisjordanie en trois zones. À cause des colonies, certains villages restent sous contrôle sécuritaire israélien. Pour intervenir là-bas, il nous faut d’abord une autorisation de l’armée. On ne l’obtient pas toujours. » Dans les environs de Naplouse, cette situation favorise la criminalité, permettant à des suspects de passer d’une juridiction territoriale à une autre pour ne pas être inquiétés. Idem pour certains colons radicaux qui se livrent régulièrement à des actes de vandalisme contre des mosquées ou contre des champs d’oliviers appartenant à des Palestiniens.

Ni pierres ni fleurs

Ces problèmes attendront. Dans l’immédiat, la priorité est de se tenir prêt pour le 20 septembre, date à laquelle les Palestiniens espèrent obtenir la reconnaissance de leur État par l’Assemblée générale de l’ONU. « Le moment choisi est plus qu’opportun », affirme Nabil Chaath, figure historique de l’OLP, de retour d’une tournée en Russie, en Bosnie-Herzégovine et au Portugal visant à rallier de nouveaux soutiens. « Les négociations sont interrompues avec le gouvernement Netanyahou, et le président américain Barack Obama n’a pas tenu ses engagements, poursuit-il. Notre stratégie, c’est d’abord de rendre illégale la présence d’Israël à l’intérieur des frontières de 1967. »

À Ramallah, symbole d’une prospérité retrouvée en Cisjordanie, quelques préparatifs sont visibles. Les travaux de rénovation de la Mouqataa – siège de l’Autorité palestinienne – sont presque achevés. D’autres bâtiments officiels sont en cours de construction. « Dans la rue, il y a de grandes attentes pour septembre, car nos dirigeants entretiennent l’espoir, reconnaît le journaliste Mohamed al-Saadi, proche du pouvoir palestinien. Mais tout cela peut aussi aboutir à une énorme déception. » Autour des grandes artères parfaitement goudronnées, le déploiement des bérets rouges de Mahmoud Abbas trahit la fébrilité ambiante. Pour autant, la ville ne donne pas l’impression de préparer une insurrection. Les forces de sécurité palestiniennes ont reçu pour consigne d’empêcher tout débordement à l’approche de l’échéance.

Alors que la Ligue arabe vient de présenter le dossier palestinien au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, plusieurs responsables du Fatah appellent la population à entamer de grandes marches pacifiques le jour du vote. « Ni pierres ni fleurs », aurait ainsi lancé à ses collaborateurs Yasser Abed Rabbo, qui n’exclut pas de possibles accrochages avec l’armée israélienne à l’entrée des check-points ou des colonies juives. Son initiative, baptisée « Palestine 194 », fait à la fois référence à la résolution sur le droit au retour des réfugiés et au fait que l’État palestinien devrait être le 194e membre de l’ONU. Avec le probable veto américain au Conseil de sécurité, la Palestine n’obtiendra tout au plus qu’un statut d’État observateur. La partie est encore loin d’être gagnée.

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Maxime Perez, envoyé spécial à Ramallah

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