Libye : pourquoi l’après-Kadhafi fait peur aux pays du Sahel

Les pays de la région redoutent que les arsenaux libyens tombent entre les mains des terroristes d’Aqmi et des trafiquants de tout poil. Autre effet collatéral de la crise, le sort déplorable réservé par les rebelles aux migrants subsahariens.

La prolifération des armes dans le Sahel inquiète les pays de la région. © AFP

La prolifération des armes dans le Sahel inquiète les pays de la région. © AFP

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Publié le 16 septembre 2011 Lecture : 7 minutes.

C’est le scénario d’un film catastrophe que redoutaient, dans les colonnes de J.A., les présidents Déby Itno du Tchad et Issoufou du Niger. Comme le rapportent journalistes et enquêteurs d’ONG, des dizaines d’arsenaux et de dépôts d’armes des forces pro-Kadhafi continuent aujourd’hui encore d’être offerts, sans gardes ni précautions, libres de tout pillage. Un nombre indéterminé de caisses – voire des conteneurs entiers – de missiles sol-air portables Sam-7 se sont ainsi volatilisées, récupérées en partie par les trafiquants qui écument l’immense no man’s land saharien en quête d’acheteurs.

Cette grande peur sur le Sahel a dominé la récente réunion, à Alger, de quatre des pays concernés par les débordements de la crise libyenne (Algérie, Mali, Mauritanie, Niger), dont le but implicite était de donner corps, dans l’urgence, à un commandement militaire conjoint, le Cemoc, jusqu’ici totalement inopérant. Pour ces États parfois fragiles, la perspective de voir ce type d’armes antiaériennes tomber entre les mains de groupes terroristes – en particulier Aqmi – est un cauchemar d’autant moins irréel que, selon des informations concordantes, cette dissémination a été volontairement facilitée par le dictateur libyen déchu. Pour Mouammar Kadhafi, qui appelait encore le 7 septembre sur les ondes d’une radio proche du régime syrien à « exterminer les rats et les chiens errants », la stratégie d’« après moi le chaos » est en effet, depuis le début de la révolution, celle qu’il a choisie.

Des conteneurs entiers de missiles solair se sont volatilisés.

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Mais il est un autre effet collatéral de la guerre civile qui pourrait, s’il perdure, provoquer une cassure préjudiciable entre la nouvelle Libye et l’Afrique subsaharienne : le sort déplorable réservé par les rebelles aux migrants africains. Il est donc plus que temps de clore définitivement le chapitre Kadhafi. Pour ce faire, la cinquantaine de katibas (brigades) du Conseil national de transition (CNT) lancées dans le désordre aux trousses du tyran et de ses derniers fidèles ont en tête une date limite, fixée par leurs alliés occidentaux : le 27 septembre, fin du mandat d’intervention accordé par l’ONU aux « protecteurs unifiés » de l’Otan.

Quatre États en première ligne

Déjà directement menacés par le terrorisme d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, quatre États du Sahel redoutent aujourd’hui les retombées du conflit libyen. L’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger, surnommés « les pays du champ », dotés d’un Comité d’état-major opérationnel conjoint, le Cemoc, basé à Tamanrasset, avaient donné rendez-vous à leurs partenaires extrarégionaux les 7 et 8 septembre à Alger. La conférence a réuni une quarantaine de pays : un succès pour son organisateur, Abdelkader Messahel, le ministre algérien des Affaires africaines et maghrébines, puisque y ont participé des représentants des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, de l’Union européenne, des agences onusiennes, des organisations militaires régionales (Otan et Africom) ainsi que des bailleurs de fonds.

Si l’objectif des quatre États sahéliens était de convaincre leurs partenaires du sérieux de leur lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière, les débats ont été dominés par la crise libyenne, qui accroît l’instabilité dans la zone. Même si le CNT, l’organe politique de la rébellion, n’est reconnu que par un seul des pays du champ (le Niger), tous les quatre ont été formels : il incombe « aux nouvelles autorités libyennes » d’empêcher le pillage des arsenaux de Kadhafi. Et ils se montrent unanimement hostiles à toute intervention militaire dans la région. « Cette conférence d’Alger nous a permis de montrer à nos partenaires extrarégionaux que nous avons une stratégie et une vision unifiées dans la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et la pauvreté, explique Messahel. Nos interlocuteurs ont compris que la sécurité et le développement dans le Sahel sont l’affaire des seuls États de la région. » Des propos que confirme Soumeylou Boubèye Maïga, le chef de la diplomatie malienne : « Nous attendons de nos partenaires qu’ils nous accompagnent dans notre lutte en renforçant nos capacités militaires, en nous assistant en matière de renseignement et de formation. » Partenaires et pays du champ sont convenus de se retrouver dans six mois, sans doute à Nouakchott, pour faire un bilan d’étape.

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Les Touaregs entre deux feux

Le 8 septembre, Ishaq Ag al-Husseini, coordinateur du Mouvement touareg pour la Libye, a lancé un cri d’alarme. « Pris entre deux feux, c’est-à-dire entre les rebelles qui les soupçonnent d’allégeance au Guide déchu et les troupes de Kadhafi qui les accusent de complicité avec les insurgés, les 600 000 Touaregs libyens subissent un véritable pogrom », a-t-il avancé. Si ce chiffre paraît exagéré (on compte moins de 400 000 Touaregs en Libye, dont une partie ont été naturalisés grâce à la célèbre Légion verte), les malheurs de cette communauté concentrée dans la région de Ghadamès (Ouest) et de Ghat (Sud-Ouest) et dans l’Erg Marzouk, au cœur du pays Fezzan (Sud), n’en sont pas moins réels.

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Ag al-Husseini invoque « un génocide » pour contraindre le gouvernement algérien à rouvrir sa frontière, fermée depuis l’arrivée, le 29 août, de l’épouse et d’une partie de la famille de Kadhafi. Quelque 500 Touaregs, essentiellement des femmes et des enfants, fuyant Ghadamès s’étaient réfugiés quelques jours plus tôt en Algérie et se sont installés dans un camp de fortune au poste frontalier algérien de Debdeb. Depuis, quelque 25 000 autres attendent de l’autre côté de la frontière. Seule issue possible : une fuite vers le Niger, distant de un millier de kilomètres des régions touarègues libyennes.

La prudence de l’Union africaine

Depuis le début de la crise, l’UA s’en remet à un panel de cinq chefs d’État représentant les cinq régions qui composent l’organisation panafricaine : le Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz (Afrique du Nord), qui le dirige, le Malien Amadou Toumani Touré (Afrique de l’Ouest), l’Ougandais Yoweri Museveni (Afrique de l’Est), le Congolais Denis Sassou Nguesso (Afrique centrale) et le Sud-Africain Jacob Zuma (Afrique australe).

Le 26 août, au lendemain de la prise de Tripoli, Jean Ping, le président de la Commission de l’UA, a convoqué à Addis-Abeba une réunion extraordinaire de son Conseil de paix et de sécurité (CPS). Opposé à l’intervention de l’Otan, et, par voie de conséquence, au CNT, le panel n’a pas varié d’un iota malgré la déroute des troupes loyalistes et la fuite de Kadhafi. « Tant qu’il y aura poursuite des hostilités, il n’est pas question de reconnaître un changement de régime », a affirmé Jacob Zuma. Depuis, une vingtaine de pays membres, dont le Tchad, le Niger, le Burkina ou l’Éthiopie, qui abrite le siège de l’organisation panafricaine, ont reconnu le CNT (voir carte). Mais ni l’UA ni aucun des membres du panel n’ont franchi le pas. Si la traque de Kadhafi demeure infructueuse, il y a peu de chances que les positions évoluent lors de la prochaine session ordinaire du CPS, prévue à la fin de septembre.

Les Noirs, souffre-douleur

Dans les campements de fortune, à la frontière égypto-tunisienne, dans les fermes et les bases militaires abandonnées à la périphérie de Tripoli, Bamako ou Niamey, où ils ont parfois réussi à rentrer, tous racontent la même histoire : parce qu’ils sont noirs, on les accuse d’être des mortazaka, des mercenaires à la solde de Kadhafi. Pris au piège d’une guerre à laquelle ils n’ont pas participé, ils ont été arrêtés, battus, spoliés – et parfois tués. L’Union africaine s’en est émue. Au début du mois de septembre, Jean Ping a appelé le Conseil national de transition libyen « à se désolidariser des tortures et des assassinats contre les Noirs ».

Dès la fin de juin, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) s’inquiétait de « l’amalgame funeste “Noir = mercenaire”, prétexte d’insultes, de licenciements sans indemnités, de passages à tabac et d’attaques de la part de groupes armés non identifiés ». Depuis la chute de Tripoli, le 23 août, le harcèlement s’est intensifié, prenant pour cibles, dans une moindre mesure, les Libyens noirs (un tiers de la population, selon les estimations), et surtout les dizaines de milliers de Subsahariens qui travaillaient depuis des années en Libye, occupant bien souvent des emplois subalternes dans le bâtiment ou la restauration, ainsi que les très nombreux migrants refoulés aux portes de l’Europe. Soudanais, Éthiopiens, Tchadiens, Nigériens, Maliens, Sénégalais… Ils étaient 1,5 million aux premières heures du conflit.

Soupçonnés d’être à la solde de Kadhafi, ils sont arrêtés, battus, spoliés et parfois tués.

Dès le mois de mai, le CNT a pourtant diffusé des consignes incitant au respect du droit international. Ces derniers jours, il a envoyé des SMS à ses sympathisants pour les exhorter à traiter les captifs avec dignité. Il n’empêche : sur le terrain, les combattants rebelles pourchassent toujours les Noirs. Le CNT lui-même joue un jeu trouble, parce qu’il abrite des ralliés de la dernière heure, qu’il a besoin de boucs émissaires et qu’il essaie de négocier avec les pro-Kadhafi que leur couleur de peau ne désigne pas à la vindicte populaire.

Il y a, il est vrai, des mercenaires noirs que Kadhafi avait appâtés par des promesses d’argent (500 euros par mois) et sommairement formés avant de les envoyer sur le front. En février, ils étaient 6 000, selon la FIDH. Plusieurs centaines d’autres sont venus les rejoindre au fil des combats, mais leur nombre précis est impossible à établir. Leur présence a nourri un racisme anti-Noirs préexistant (en témoignent les pogroms des années 2000, tolérés par le régime Kadhafiste), alimenté aussi par le rejet des frasques d’un « Guide » tourné vers le Sud, qui s’était autoproclamé « roi des rois d’Afrique », et qui, pendant des années, avait généreusement distribué les pétrodinars libyens.

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François Soudan, Anne Kappès-Grangé et Cherif Ouazani, à Bamako

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