(Més)entente cordiale franco-américaine en Afrique
Français et Américains sont-ils partenaires ou rivaux en Afrique ? Éléments de réponses.
La presse et les milieux diplomatiques se répandent, depuis l’indépendance du continent africain, en analyses et fantasmes sur la relation entre les deux membres permanents du conseil de sécurité que sont les États-Unis et la France. "Nos rapports sont bons, affirme un des proches conseillers de François Hollande. Ils nous ont aidé à faire la guerre au Mali et on espère qu’ils nous appuieront demain dans nos actions en Centrafrique et dans la lutte contre piraterie dans le Golfe de Guinée." Les diplomates du Département d’État ne disent pas autre chose en louant l’implication de leur allié dans le combat contre le terrorisme, les vertus de l’intervention française au Mali ou de celle qui a permis la chute de Laurent Gbagbo, préservant au passage les intérêts des multinationales américaines du cacao.
Au niveau militaire, les deux armées ont coopéré à de nombreuses reprises dans le passé (première guerre du Golfe, Afghanistan, Libye…). Sans l’assistance logistique américaine, les Français n’auraient pu mener l’opération Serval au Mali. Des exercices conjoints ont encore eu lieu en Méditerranée à la fin août, entre les frégates française Aconit et américaines USS Gravely et USS Barry, pour simuler des réponses à des actes de piraterie.
Obsession
Contrairement à la France, l’Afrique est loin d’être la priorité de la politique étrangère américaine. Toutefois, la Maison Blanche possède un impressionnant dispositif d’intervenants sur tous les dossiers (Mali, deux Soudan, Grands Lacs, Somalie, Afrique du Nord). "Le processus de décision est un peu plus long que chez nous, explique un diplomate français. Mais quand ils disent oui, ils tiennent leurs paroles et mettent des moyens conséquents sur la table." À New York, la coopération est bonne au sein du conseil de sécurité. La France appuie généralement, à l’exception notable de la deuxième guerre d’Irak, les résolutions américaines et vice versa. Mais chacun à ses intérêts et ses zones d’influence. Ainsi sur la question des Grands Lacs, Gérard Araud, ambassadeur auprès de l’ONU, et Susan Rice, son ex-collègue américaine, ont souvent croisé le fer. Les Américains, qui entretiennent une importante coopération militaire avec les Rwanda, sont sur une ligne Pro-Kagamé quand la France soutient plus généralement les positions de la RDC.
Historiquement, les décideurs français nourrissent une sorte d’obsession à l’égard du géant américain qui viendrait chasser sur leur son pré-carré francophone. Pour en comprendre les ressorts psychologiques, il convient de remonter à la décolonisation et à la période de la Guerre froide. Pierre-Michel Durand, auteur de L’Afrique et les relations franco-américaines des années 1960, raconte que Paris a mal vécu l’intervention de l’ONU au Congo en 1960 appuyée par les États-Unis et a soupçonné une participation américaine au coup d’État avorté de 1964 au Gabon. Les archives de Jacques Foccart, ancien tout puissant secrétaire général pour les affaires africaines et malgaches de De Gaulle, montre également à quel point la France a surveillé les menées américaines et des visées soviétiques sur le continent.
Cette obsession reviendra sur le devant de la scène lors du génocide au Rwanda et la chute du maréchal Mobutu en RDC. Deux évènements derrière lesquels certains ont vu un complot anglo-saxon. Des entrepreneurs français ont également vu la main des Américains derrière les injonctions des institutions de Bretton Woods (les États-Unis y ont la plus grosse quote part) pour le démantèlement des Caisse de stabilisation des matières premières en Afrique et la libéralisation de la filière cotonnière. Ces réformes ont nui aux intérêts de l’hexagone. En réalité, certains diplomates ou militaires français ont tendance à stigmatiser trop facilement l’impérialisme yankee, leur méconnaissance du continent et le mercantilisme derrière leur aide économique.
Seules certitudes : les Américains ont eu un regain d’intérêt pour l’Afrique, notamment le Golfe de Guinée et ses hydrocarbures, à partir du début des années 2000. Et quand les intérêts pétroliers sont en jeu, c’est chacun pour soi à moins, bien sûr, que les compagnies nationales des deux pays coopèrent dans la recherche et l’exploitation. Par ailleurs, les évènements du 11 septembre 2001 se sont traduits par un renforcement des actions militaires et de la coopération américaine en matière de sécurité, notamment dans les pays sahéliens où la France souhaite conserver des piliers sécuritaires.
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