Bachar vainqueur par chaos
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 17 mars 2014 Lecture : 2 minutes.
Ce sont les victimes indifférenciées d’une tragédie multiforme qui, au troisième anniversaire de son prologue, n’en finit plus de dérouler ses actes répétitifs sous le regard las des spectateurs que nous sommes. Deux millions et demi de Syriens ont pris les chemins de l’exil depuis le début de la guerre civile, et leur errance anonyme est semée d’humiliations, de honte et de tous les stigmates de la détresse. Ils sont ainsi quelques milliers à échouer chaque mois au Maghreb, rejetés d’un pays à l’autre, interdits de mosquées s’ils sont alaouites, réduits parfois à la mendicité dans les rues de Casablanca, d’Alger ou de Tunis, comme le rappel muet de nos propres impuissances. Rarement, en effet, on se sera autant trompé sur un conflit, sur ses protagonistes, sur ses conséquences humaines – près de 140 000 morts à ce jour – et sans doute aussi sur son issue.
Souvenons-nous : lorsqu’en mars et avril 2011, de Deraa à Damas, le pouvoir vacille sous les coups des "vendredis de la dignité" réprimés dans le sang, puis quand des attentats frappent le cœur même du système de sécurité baasiste, tous les experts annoncent la fin imminente du régime. À Bachar, Assad le petit, celui qui, selon Laurent Fabius, "ne mériterait pas d’être sur terre", on prédit alors un scénario à la Kadhafi ou, version charitable, une bunkérisation dans le réduit alaouite, sous la protection de la flotte russe de Tartous. Grossière erreur : non seulement la lecture purement confessionnelle, tribale, voire familiale de ce conflit, en vogue dans les chancelleries, est vite apparue comme réductrice, mais l’élite sécuritaire du pouvoir, alaouite et aussi en partie sunnite, soudée autour de Bachar et de son frère Maher, ne s’est pas délitée. Face à une rébellion sans vision stratégique, incapable de mener une offensive militaire coordonnée et dont la branche démocratique s’est effondrée au profit de mouvances jihadistes scissipares, le régime de Damas a donc fait ce que son ADN lui commandait de faire : la guerre à outrance.
Tout en surestimant les capacités d’une rébellion qui, même convenablement armée, aurait bien du mal à l’emporter tant sont vives ses dissensions internes, les Occidentaux ont également sous-estimé la détermination de la Russie et de l’Iran à aller jusqu’au bout pour défendre leur affidé syrien. L’axe Moscou-Téhéran-Hezbollah s’est révélé à cet égard redoutable. Tout comme le fut, en août 2013, la pusillanimité du président Obama. En bombardant au gaz sarin la banlieue de sa propre capitale, sans que les Américains et leurs alliés ne réagissent, Bachar al-Assad a certainement joué sa survie sur un coup de poker démentiel, mais aussi, peut-être, gagné la guerre.
Qui ne voit en effet que le dictateur syrien est plus fort aujourd’hui qu’il y a trois ans et que, s’il ne pourra jamais l’emporter définitivement sur le terrain, il ne pourra jamais perdre ? Une chose paraît sûre dans cet équilibre de la terreur. Ce n’est pas du front éclaté de ce pays en ruine que viendra l’issue, mais de la conclusion hypothétique d’un accord russo-américain. Comme pendant la guerre froide. Heureusement, si l’on peut dire, les experts sont unanimes à nous promettre le retour de l’hivernage entre Washington et Moscou.
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