Amadou Alpha Sall : « Aucun pays n’est suffisamment éloigné pour être protégé d’Ebola »
Le virus Ebola continue de se propager en Afrique de l’Ouest. Parti de Guinée, il a notamment atteint le Liberia et des cas sont suspectés en Sierra Leone et au Mali. Interview du docteur Amadou Alpha Sall, directeur scientifique de l’Institut Pasteur à Dakar.
Le virus Ebola touche de plus en plus de personnes en Afrique de l’Ouest. La fièvre hémorragique serait à l’origine de 10 morts au Liberia et de 101 en Guinée, dont 66 officiellement confirmées en laboratoire comme étant dues à Ebola. L’ONG Médecins sans frontière a annoncé la guérison de certains patients atteints du virus mais la propagation se poursuit, même si la maladie reste circonscrite à certaines zones. Le docteur Amadou Alpha Sall, directeur scientifique de l’Institut Pasteur de Dakar, qui revient de Guinée, fait le point sur la situation pour Jeune Afrique.
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Jeune Afrique : Quel est le bilan actuel de l’épidémie d’Ebola qui est partie de Guinée ?
Cela change tout le temps. La dernière fois que j’ai eu un briefing avec les autorités, on était à 154 cas, 101 décès dont 66 confirmés par Ebola. Quand on parle de cas, ce sont des gens qu’on suspecte d’avoir le virus, mais il faut encore le confirmer en laboratoire. Donc cela évolue constamment. Ce n’est pas parce que quelqu’un décède qu’il était porteur d’Ebola, il a pu mourir dans un contexte qui était seulement évocateur du virus.
Y a-t-il des pays particulièrement à risque dans le voisinage de la Guinée ?
Il y a beaucoup de cas suspectés mais, à ce jour, les cas confirmés sont au Liberia et en Guinée. Au niveau du Mali, il y a eu des suspicions mais qui n’ont pas été confirmées. On ne peut pas dire s’il y a des pays particulièrement à risque ou non. Il y a une série de facteurs aléatoires, comme la notion de distance qui est devenue très relative avec le réseau aérien. Aujourd’hui, il n’y a aucun pays qui est suffisamment éloigné pour être protégé. Il faut être extrêmement prudent au niveau des prédictions.
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Les autorités africaines sont-elles suffisamment préparées pour contrôler cette épidémie ?
Ce n’est pas la première fois que le virus touche l’Afrique, les pays ont précédemment pu y faire face et les capacités de lutte se mettent en place au fil du temps. Bien sûr, les États où il y a déjà eu une épidémie auparavant savent mieux réagir que ceux dans lesquels c’est la première fois, comme la Guinée qui, appuyée par la communauté internationale, essaye de maîtriser la situation. L’institut Pasteur de Dakar a pu apporter son appui sur le terrain avec des laboratoires, notamment pour confirmer les cas. Cela permet d’identifier les personnes à risques, qui a été en contact avec elles et donc mettre en place une stratégie. C’est la première fois qu’une équipe africaine a été la première sur place. Globalement, la réaction s’est améliorée.
Quels sont les obstacles au travail sur le terrain ?
Il n’y a pas d’obstacles en tant que tels. Des équipes travaillent ensemble afin de contrôler la maladie et il y a, comme toujours, quelques difficultés. Ce sont des situations où on connaît une très forte mortalité, ce qui est assez nouveau pour les systèmes de santé public. Assez souvent, le personnel de santé qui s’est occupé des malades d’Ebola est lui-même touché. Les médecins sont en première ligne. C’est quelque chose qu’il faut gérer, notamment en leur fournissant les équipements de protection quand ils n’en ont pas.
À ce stade, nous n’avons pas encore d’informations qui permettent de localiser et caractériser spécifiquement le "patient zéro".
Comment se passent les contacts avec les populations locales ?
Il est important de communiquer correctement afin d’éviter les situations de peur chez elles. On sensibilise, on fait venir des experts qui mettent en place des stratégies pour informer les locaux qui ne sont pas touchés : il s’agit de donner les explications par rapport au mode de transmission du virus et aux situations de risque, notamment les rites funéraires. Il y a des enterrements qui sont effectués par des équipes spécialisées notamment. L’idée, c’est d’abord d’éviter la propagation du virus.
Le mode de transmission du virus a-t-il évolué depuis sa découverte ?
Je n’ai aucune information permettant de dire qu’il y a une évolution.
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Les épidémies d’Ebola sont plutôt localisées en Afrique centrale. Cette fois, il frappe en Afrique de l’Ouest. De nouvelles souches apparaissent-elles ?
À ma connaissance, il n’y en a pas de nouvelles qui ont été découvertes. La souche qui a été trouvée en Guinée ressemble beaucoup à celle découverte au Zaïre (1976-1977). Il y a en Afrique de l’Ouest une deuxième souche qui a été isolée en Côte d’Ivoire et d’autres, au Soudan notamment. Ce sont celles qui circulent.
Dans une épidémie, la découverte du "patient zéro" est souvent primordiale. Où en sont les investigations à ce sujet ?
Elles sont en cours. À ce stade, nous n’avons pas encore d’informations qui permettent de localiser et caractériser spécifiquement ce cas. On cherche toujours à comprendre comment ça a commencé mais la priorité est d’abord donnée, dans un contexte de propagation, au contrôle de l’épidémie. Par la suite, on se pose les questions plus scientifiques pour gérer les pistes de recherche. Il y a en ce moment-même des équipes sur place qui travaillent sur ce point.
Où en-est la recherche au sujet d’un éventuel traitement du virus Ebola ?
On en est au niveau de la recherche. Il y a un certain nombre d’équipes qui travaillent sur des vaccins expérimentaux, avec des niveaux d’avancée différents. Mais à ce stade, il est prématuré de parler de traitement qui irait à l’homme. Des équipes s’intéressent aux réservoirs du virus, qui lui permet de survivre entre deux épidémies. La piste qui a le plus été démontrée est celle de la chauve-souris frugivore mais certains travaillent notamment sur les singes, parce que c’est un porteur relativement proche de l’homme. On en est au stade vraiment expérimental.
Les patients qui ont survécu sont très intéressants à étudier.
Certains patients ont survécu. Ces cas peuvent-ils aider à la découverte d’un traitement ?
Il y a effectivement des patients sur lesquels on avait diagnostiqué le virus et qui, à la suite d’une prise en charge, ont pu survivre. Bien évidemment, ils sont très intéressants à étudier. On analyse leurs prélèvements et on étudie les phénomènes qui ont pu se dérouler durant leur rétablissement.
Que peuvent faire les équipes médicales aujourd’hui pour les personnes infectées ?
Tout ce qui existe, c’est un traitement symptomatique, c’est-à-dire qu’on va essayer de soulager le malade en contrôlant et soulageant certains des effets du virus Ebola. C’est cette prise en charge qui a permis à certains patients de survivre.
Les épidémies d’Ebola durent généralement quelques semaines. Celle-ci peut-elle sévir plus longtemps ?
Il serait très imprudent de faire des prédictions. Jusqu’à présent, on est dans les limites de ce qu’on a pu observer auparavant. L’épidémie, par définition, c’est aléatoire. Personne n’aurait prédit l’Ebola en Guinée à cette période de l’année. Il faut continuer les recherches pour comprendre ce phénomène et avancer lors des prochains épisodes. À ce jour, il n’est pas possible de prédire un quelconque lieu ou une durée. Il y a des réflexions en cours mais nous n’avons pas encore de réponses.
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Propos recueillis par Mathieu OLIVIER
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