Sénégal – Mohamed Mbougar Sarr : « Lire apporte un surplus de vision politique »

Le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, 24 ans, est le lauréat du prix Ahmadou-Kourouma, décerné le 1er mai à Genève, pour son roman « Terre Ceinte ». Interview.

L’écrivain Mohamed Mbougar Sarr. © Vincent Fournier pour J.A.

L’écrivain Mohamed Mbougar Sarr. © Vincent Fournier pour J.A.

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Publié le 7 mai 2015 Lecture : 4 minutes.

Mohamed Mbougar Sarr à Paris, en septembre 2021 © JOEL SAGET/AFP
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Prix Goncourt 2021 : Mohamed Mbougar Sarr, la littérature et la vie

« La Plus Secrète Mémoire des hommes » a été récompensée le 3 novembre. C’est la première fois que le plus prestigieux prix littéraire français est décerné à un écrivain subsaharien. Mohamed Mbougar Sarr est auteur de romans mais aussi de tribunes pour « Jeune Afrique ». Nous vous proposons de découvrir son œuvre à travers une sélection d’articles.

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"Je suis très ému de ce prix, que d’autres auraient tout autant mérité", a-t-il confié à Jeune Afrique. Nous l’avions rencontré une quinzaine de jours avant son sacre. Ce qui a changé depuis ? “Cela met la pression pour la suite : personne ne m’attendait, mais désormais les gens seront sûrement moins indulgents… le plus dur commence.” Voici l’interview du jeune auteur, recueillie dans un café parisien, situé en face de son éditeur, Présence africaine, dans le légendaire quartier latin, où de nombreux écrivains aimaient, et aiment toujours, trouver l’inspiration.

Jeune Afrique : Votre livre, Terre Ceinte, se déroule dans un pays inconnu que l’on devine dans le Sahel… En tant que Sénégalais, êtes-vous inquiet pour l’avenir de la région ?

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Mohamed Mbougar Sarr : Cela me préoccupe, naturellement. Bien sûr le Mali, frontalier de mon pays, occupé en 2012 et qui, de façon assez transparente, est le pays que je mets en scène dans Terre Ceinte. J’ai toujours eu peur des frontières poreuses au Sahel. C’est, selon moi, un problème majeur pour la stabilité en l’Afrique de l’Ouest.

Le livre s’ouvre sur une exécution, celle d’un très jeune couple coupable de s’être aimé sans être marié, devant une foule passive. C’est d’une violence inouïe, très réaliste…

Il est très difficile, incongru même, de faire de la poésie sur un acte aussi rapide, sec et barbare qu’une lapidation ou une exécution. Il ne s’agit pas d’exagérer le minimalisme, mais de rendre les choses telles qu’elles sont, ou telles qu’elles peuvent être.

Dans votre récit, la population semble résignée face à la terreur islamiste. Manque-t-elle de courage ?

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Une lecture possible est de la considérer comme faible. Mais le récit est en grande partie basé aussi, et surtout, sur l’histoire d’un journal clandestin et d’une résistance qui gagne la connivence d’une partie de la population. Je pense tout simplement que ces gens ont peur. Comment peut-on survivre dans une situation où la seule composante est la terreur ? J’essaie de démontrer que la peur n’est pas une fatalité et qu’on peut en faire plusieurs choses. Comme l’a écrit Montaigne avant moi, la peur est quelque chose de très ambivalent. La peur peut être à l’origine d’une action. On peut aussi la laisser nous submerger. Sartre a écrit : “Nous n’avons jamais été aussi libre que sous l’occupation allemande.” C’est paradoxalement en situation d’occupation que la liberté peut vraiment s’exprimer.

La résistance française pendant la Seconde guerre mondiale a-t-elle été une source majeure de ton inspiration ?

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L’occupation allemande de la France et la résistance est une période qui m’a véritablement intéressée. Il y a beaucoup de romans, de textes, de témoignages sur cette période. Les romans de Joseph Kessel – L’armée des Ombres, par exemple, est un très beau roman de résistance -, les récits de la résistance au quotidien, le journal Combat, dans lequel ont écrit Camus et Malraux… sont des images et des atmosphères que j’ai eu à l’esprit au moment d’écrire.

On remarque en Afrique un sérieux recul de la lecture des livres. Vous avez lu cependant. Énormément et jeune. Comment expliquez-vous cela ?

Je suis de ceux qui croient que la lecture est d’abord une culture. Cette culture part d’un environnement familial : les parents doivent pousser légèrement l’enfant vers la lecture et l’habituer à la solitude de l’exercice, à son côté aride. Au Sénégal, le recul de la lecture est aussi lié à des raisons économiques. Beaucoup de familles n’ont pas les moyens de s’acheter des livres, qui restent très chers. À cela s’ajoute l’absence de structures éditoriales. Il y a cependant toujours moyen de lire. Encore faut-il avoir envie d’être émerveillé.

La démocratie, c’est d’abord pouvoir réfléchir et critiquer le choix qu’on nous propose.

L’avènement des nouvelles technologies ne devrait-il pas régler ce problème d’accès aux livres ?

Sur les progrès technologiques qui facilitent l’accès, je n’ai pas d’avis péjoratif. Je remarque tout de même qu’avec les écrans, la tentation de la distraction est beaucoup plus présente. La lecture est constamment interrompue, avec des hyperliens, des fenêtres qui s’ouvrent, de la lumière, l’état de la batterie… Je n’oppose pas livres et écrans, mais je préfère le livre. C’est la position typique pour se faire traiter de réactionnaire, de nostalgique ou d’élitiste. J’assume. J’ai écrit un long texte intitulé “Lecture numérique et sinéité” dans lequel j’essaie de démontrer que la lecture numérique est une lecture qui expose à beaucoup de manques.

Vous préparez un doctorat et l’éducation semble au coeur de vos préoccupations, notamment comme rempart à la radicalité…

L’école est la clé dans la mesure où le fanatisme religieux a pour lit l’ignorance. Nous ne pourrons nous en prémunir qu’en renforçant le rapport au savoir et à l’intelligence, le rapport à l’esprit critique sur soi, et sur ce que fait l’autre. Sans instruction il n’est pas possible de s’apercevoir qu’on est soi-même dans une forme d’acceptation béate de tout ce qui est proposé par la culture, l’héritage culturel ou par une religion.

Pour les processus démocratiques aussi, c’est important. La démocratie, c’est d’abord pouvoir réfléchir et critiquer le choix qu’on nous propose. Je ne crois pas que la démocratie se résume au multipartisme. Il faut de l’éducation profonde, à grande échelle.

Les leaders politiques actuels vous semblent-ils à la hauteur des enjeux?

Il manque aujourd’hui chez nos hommes politiques une vision. Il manque surtout des hommes de culture, cela se ressent dans leurs discours. Les points communs, selon moi, entre des Sankara ou des Lumumba, ce n’est pas tant qu’ils étaient des révolutionnaires avec un projet panafricain. C’est plutôt qu’ils étaient des hommes qui avaient beaucoup lu et avaient une solide culture. Je ne le sens plus chez beaucoup d’hommes politiques africains. Lire apporte pourtant un surplus de vision politique.

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