Tunisie : comment le pays fait face au chaos postrévolutionnaire

Malgré la multiplication des mouvements de protestation et la pression des islamistes radicaux en Tunisie, le pays résiste et parvient tant bien que mal à échapper au chaos postrévolutionnaire. Grand reportage.

L’avenue Habib Bourguiba débarassée des militaires, à Tunis. © AFP

L’avenue Habib Bourguiba débarassée des militaires, à Tunis. © AFP

Publié le 21 février 2012 Lecture : 14 minutes.

Le 25 janvier, un communiqué du ministère tunisien de l’Intérieur diffusé par les chaînes de télévision locales surprend les téléspectateurs : « Compte tenu de l’amélioration notable des conditions de sécurité, décision a été prise de lever le dispositif policier et militaire établi sur l’avenue Habib-Bourguiba. » Depuis la révolution du 14 janvier 2011, la circulation dans l’artère centrale de la capitale était interdite aux voitures et aux piétons du côté du siège du ministère de l’Intérieur, devenu la cible privilégiée des contestataires de tous bords. Le dispositif mis en place pour protéger ce site « sensible » se prolongeait jusqu’au bout de l’avenue afin de sécuriser la cathédrale de Tunis et, en face, le siège de l’ambassade de France. Fils barbelés, blindés et uniformes de toutes les couleurs (policiers, militaires et forces antiémeutes de la Brigade de l’ordre public, BOP) avaient porté un sacré coup au charme de l’avenue commerçante, espace convivial par excellence avec ses multiples terrasses à l’ombre des ficus, son théâtre et ses nombreuses enseignes de marques prestigieuses.

Le communiqué des services d’Ali Larayedh, grande figure du parti islamiste Ennahdha et titulaire du portefeuille de l’Intérieur, a surpris, au moment où la sécurité constitue le premier motif d’inquiétude des Tunisiens. Multiplication des mouvements de protestation et des revendications socioéconomiques sur l’ensemble des vingt-quatre gouvernorats du pays – accompagnés le plus souvent d’actes de violence, de coupures d’axes routiers et de voies ferrées -, paralysie de l’administration locale, opérations coup-de-poing du courant salafiste, effets collatéraux de la crise libyenne avec la dissémination d’armes légères en provenance des arsenaux de feu Mouammar Kadhafi… Autant de facteurs qui ont favorisé un inquiétant développement de la criminalité. « Ce n’est pas obsessionnel, témoigne Souad, étudiante à la fac de médecine, mais depuis que j’ai été agressée en plein jour à bord d’une rame de métro [en fait, le tramway de Tunis, NDLR], pourtant bondé, pour une chaîne en or, je suis tombée dans une totale paranoïa. Je me surprends à trouver aux personnes que je croisais tous les jours auparavant des mines patibulaires. Une peur tenace m’a assaillie. »

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600 000 jours de grève

Auditionné le 24 janvier par l’Assemblée constituante dans le cadre d’un débat général sur la situation sécuritaire, le Premier ministre, Hamadi Jebali, a dévoilé quelques chiffres qui font froid dans le dos. Au cours des douze mois qui ont suivi la fuite du dictateur, on a comptabilisé plus de 22 000 mouvements de protestation, avec à la clé plus de 600 000 jours de grève (en chiffres cumulés). Une catastrophe pour l’économie, qui a enregistré des pertes de l’ordre de 2,5 milliards de dinars (1,25 milliard d’euros) et une croissance négative de 1,8 %. « C’est un record absolu, assure Mansour Moalla, ex-gouverneur de la Banque centrale. Nous n’avons connu que deux précédents. En 1966, l’économie s’était rétractée de 1 % et de 0,8 % l’année suivante. C’était dû à la politique "coopérativiste" du socialisant Ahmed Ben Salah. Mais l’économie tunisienne a alors montré – comme aujourd’hui – ses capacités de résistance, puisque après cette période délicate le pays a connu pendant trois années consécutives une croissance à deux chiffres. »

Après l’euphorie…

Ces appréhensions n’ont pas empêché les Tunisois de savourer, ce 26 janvier, le plaisir de voir leur avenue Bourguiba débarrassée de toute présence militaire. Ils peuvent à nouveau siroter un thé à la menthe sur la terrasse du Café de Paris, attenant au ministère de l’Intérieur, et déambuler sur les larges trottoirs des Champs-Élysées locaux. Car la Tunisie ne s’est pas non plus transformée en un coupe-gorge où l’employé serait en permanence en rébellion contre son employeur, et l’État, assailli de toutes parts, en situation de faillite.

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L’euphorie révolutionnaire retombée après le premier scrutin démocratique de l’histoire du pays, la population s’est scindée en deux catégories distinctes et asymétriques. Non pas entre laïques et islamistes, comme l’actualité le laisserait à penser, ou entre nantis et pauvres, mais plutôt entre, d’une part, ceux qui sont convaincus que la révolution a pris fin avec la chute du système Ben Ali et la tenue d’élections démocratiques, et, d’autre part, les partisans de la poursuite de la révolution. Ces derniers se recrutent au sein d’une jeunesse frappée de plein fouet par un chômage endémique (800 0000 sans-emploi pour une population active de 3,5 millions de personnes), notamment en milieu rural ou semi-rural, où les disparités de développement sont particulièrement criantes. « Mes fonctions passées, témoigne, ému, Mansour Moalla, ancien ministre de Habib Bourguiba et ex-gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), m’ont permis de sillonner à plusieurs reprises le pays en long et en large. Jamais je n’ai vu la misère que je découvre aujourd’hui en regardant les reportages que consacrent les chaînes de télévision nationales au pays profond. On ne mesurera jamais assez les dégâts provoqués par le clan maffieux du règne précédent. »

Couplés à la révolution, dénuement, extrême pauvreté et retards de développement engendrent une soif de justice sociale et une impatience qui confinent parfois à l’irrationnel. Les « militants de la révolution inachevée » estiment, pour des raisons parfois divergentes, avoir été spoliés de leur victoire et ne pas avoir encore vu la couleur de ses acquis. Ils manifestent leur mécontentement, les uns, les plus nombreux, pour des revendications socioéconomiques, les autres pour leurs libertés fondamentales, que menace une minorité agissante : les salafistes.

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L’ancien Premier ministre du gouvernement provisoire, Béji Caïd Essebsi, se veut plus nuancé s’agissant de la situation économique : « Je n’en tire aucune gloire, mais je vous rappelle que les exportations ont crû de quelque 7 % en 2011. En outre, la croissance négative ne nous a pas empêchés de créer 50 000 emplois. C’est certes insuffisant, mais, au vu de la conjoncture post­révolutionnaire, la performance n’est pas banale. » Si son successeur, Hamadi Jebali, est encore plus optimiste, annonçant « une croissance de 4,5 % pour l’année en cours », son gouvernement ne tresse pas de lauriers à l’exécutif sortant. Selon Moncef Ben Salem, ministre de l’Enseignement supérieur et faucon d’Ennahdha, « le gouvernement de Béji Caïd Essebsi ne nous a pas facilité la tâche. Avant de quitter la Casbah, il a augmenté les salaires des seuls fonctionnaires du Premier ministère. Depuis, nous faisons face à une protestation des syndicats de la fonction publique, qui exigent que les salaires soient alignés sur ceux de la primature. Cela a créé un front social que nous aurions pu éviter. » Ledit front social est en ébullition permanente avec une généralisation du « tout et tout de suite ». Illustration de cette nouvelle mentalité : « la révolte des Ouled Ayar », comme l’opinion a qualifié le mouvement de désobéissance civile ponctué par une grève générale, entre le 13 et le 18 janvier, à Makthar, une ville de 30 000 âmes située à 160 km au sud-ouest de Tunis.

À Makthar, la capitale des Ouled Ayar

Héritière de l’antique Mactaris, cité de villégiature sous l’Empire romain, Makthar est la capitale des Ouled Ayar, une tribu berbère totalement arabisée. Selon Sami Tahri, tout nouveau secrétaire général adjoint de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), « près de un Tunisien sur trois est un Ayar. [Leur] vocation migratoire a fait que chaque ville et village abrite au moins une famille des Ouled Ayar ». Mal aimée de Habib Bourguiba, qui lui reprochait son alignement sur son irréductible rival, Salah Ben Youssef, Makthar n’a jamais eu les faveurs du pouvoir. « C’est pourquoi, lors du découpage territorial, raconte Ezzeddine Chelbi, animateur du mouvement de désobéissance civile, le statut de chef-lieu de la région a été accordé à une ville de moindre importance : Siliana. Si Makthar a été marginalisée par Bourguiba, le pouvoir de Ben Ali a accentué notre isolement. Résultat : un chômage rampant, un sous-développement total avec l’absence de toute activité industrielle et des ressources naturelles négligées [un important gisement de marbre est laissé à l’abandon]. »

La ville a six lycées, mais à quoi servent-ils si au bout il y a le chômage ? Les banques refusent de financer les projets des jeunes promoteurs…

La situation n’est pas plus catastrophique qu’ailleurs, mais Makthar vit très mal l’injustice historique dont elle estime avoir été victime de la part des gouvernements successifs avant la révolution. « Nous avons un formidable argument touristique avec un fabuleux site archéologique de 100 ha et pas le moindre hôtel en ville pour accueillir des touristes », déplore Ammar, 29 ans, titulaire d’un master en mathématiques et d’un diplôme d’ingénieur agronome, mais au chômage depuis 2009. L’association des diplômés-chômeurs, que préside Maher Ben Ammar, architecte sans emploi, compte près de 2 000 membres à Makthar. « La ville a six lycées, mais à quoi servent-ils si au bout il y a le chômage ? s’interroge Ammar. Un diplôme de troisième cycle ne constitue pas une garantie pour les banques, qui refusent de financer les projets des jeunes promoteurs, ici plus qu’ailleurs. »

Le sous-développement saute aux yeux dès que l’on pénètre dans la ville. Nichée à 900 m d’altitude, Makthar, où l’on enregistre en hiver des températures polaires, est cruellement dépourvue de gaz de ville, alors que le gazoduc transméditerranéen par lequel est acheminé le gaz algérien vers l’Italie et la Slovénie n’est distant que de quelques encablures. Après deux marches pacifiques, la protestation s’est durcie pour se muer, dès le début de 2012, en désobéissance civile. « Le jour où les Ouled Ayar se réveilleront… », n’a cessé de marteler le vieil Ali Ben Ammar, grande figure locale du mouvement nationaliste. Mais le feu est partout, aucune région n’est épargnée, et le pouvoir ne peut répondre à toutes les sollicitations. Le 13 janvier, le mouvement se radicalise un peu plus. La grève générale est décrétée. Tous les accès de la ville sont fermés, mais aucune action violente n’est engagée. Contrairement à ce qui s’est passé à Sidi Bouzid, Kasserine ou Le Kef, aucun bâtiment public n’est saccagé. La population soutient le mouvement. Mais au bout de cinq jours d’isolement total, sans possibilité de ravitaillement, elle est au bout du rouleau.

Barrage routier lors d’un mouvement de protestation civile à Makthar, le 17 janvier.

© Khalil/AFP

Le gouvernement prend conscience de la gravité de la situation. Grâce à l’entregent du colonel commandant de la garnison de Makthar, le président Moncef Marzouki consent, le 18 janvier, à recevoir une délégation des protestataires à Carthage. La ville frondeuse dépêche dix-huit émissaires. Trop pour le protocole. « Le président ne peut recevoir que cinq personnes », assure un préposé du Palais. « Pas question », rétorque Maher, chef de la délégation. Finalement, ce sera le président qui ira à leur rencontre, sur l’esplanade de la mosquée El-Abidine, à Carthage. Patient, le chef de l’État écoute attentivement les délégués égrener les revendications de Makthar : statut de chef-lieu de région pour la ville, constitution d’un groupe industriel public pour l’exploitation du marbre, construction d’un hôpital régional, amélioration du cadre de vie des populations à travers des projets structurants… Le président Marzouki prend note sur une feuille blanche de toutes ces revendications, la date, la signe et la remet au chef de délégation, en précisant que toutes ces demandes seront satisfaites « dans la mesure du possible », s’engageant même à apporter lui-même de bonnes nouvelles à la population. « Donnez-moi quinze jours », leur demande-t-il. Dans l’heure qui suit, les barrages routiers sont levés, les établissements scolaires rouvrent leurs portes et l’hôpital reprend ses activités. La ville attend « siyadatouhou », comme l’appellent les émissaires en rendant compte de leur mission à la population. « Si, par malheur, Marzouki ne tient pas ses engagements, prévient Ammar, il y aura forcément une dérive vers des actions violentes. » Un exemple ? « On procédera à la fermeture de tous les axes routiers menant vers l’Algérie », menace Ammar. Les échanges avec le voisin algérien sont vitaux pour la partie occidentale de la Tunisie.

Maturité

À terme échu, Moncef Marzouki n’est pas venu, mais Makthar ne s’est pas embrasée. Il faut dire que la visite était programmée pour le 2 février. Ce jour-là, près de Sfax, à 270 km au sud de Tunis, trois hommes armés sont signalés à bord d’un véhicule. Pris en chasse par les forces de sécurité, ils font feu, blessant quatre soldats, dont un grièvement. Au bout d’une course-poursuite de quelques heures, une unité de l’armée neutralise les fuyards, abattant deux d’entre eux et arrêtant le troisième. Le président Moncef Marzouki annule sa visite à Makthar et convoque les ministres de la Défense et de l’Intérieur, ainsi que le chef d’état-major, le général Rachid Ammar, et les patrons des services de renseignements et de la police nationale. Bref, un conseil de guerre. Un motif jugé recevable par les habitants de Makthar, preuve d’une maturité insoupçonnée. Cette pondération ne surprend pas Béji Caïd Essebsi : « Au plus fort des antagonismes, le Tunisien a toujours fait preuve de mesure, dit-il fièrement. Le peuple exècre les extrêmes et les positions radicales. »

Pourtant, l’extrémisme est bien là et il a pour nom salafisme. Courant minoritaire dans la mouvance islamiste, largement dominé par Ennahdha, au pouvoir depuis les élections du 23 octobre 2011, les salafistes tunisiens sont, comme ailleurs, scindés en deux groupes distincts : les quiétistes, qui prônent un islam rigoriste de type wahhabite mais n’entreprennent aucune action à l’encontre des gouvernants, et les djihadistes, adeptes de la lutte armée et de l’excommunication de quiconque refuse de les suivre dans leur ambition d’instaurer un émirat. Sévèrement réprimés sous Ben Ali, les salafistes ont bénéficié des bienfaits de la révolution, notamment de l’amnistie générale, promulguée en février 2011, qui a permis l’élargissement d’une centaine de cadres dirigeants et d’apprentis terroristes incarcérés après des séjours en Algérie ou en Irak, où ils ont subi des formations militaires et de guérilla urbaine. Proche d’Al-Qaïda, les salafistes tunisiens n’en partagent cependant pas la vision internationaliste et penchent plutôt pour les thèses du Front islamique du salut (FIS) algérien, qui préconisait, avant sa dissolution, un islam radical dans un cadre national.

Selon une étude publiée par l’hebdomadaire tunisien arabophone Al-Hadeth dans son édition du 25 janvier, les salafistes sont implantés en milieu urbain, avec une présence importante dans la région de Bizerte, à une soixantaine de kilomètres au nord de Tunis. La première proclamation d’un éphémère émirat islamique en Tunisie a eu comme cadre Sejnane, à 80 km à l’ouest de Bizerte. À quelques jours de la fin de 2011, environ deux cents salafistes en avaient pris le contrôle, établissant des tribunaux islamiques, transformant des bâtiments publics en geôles pour les citoyens pris en flagrant délit de péchés, notamment les adeptes de Bacchus, qui, en guise de dégrisement, ont reçu des coups de bâton. Le seul vendeur de boissons alcoolisées a vu son magasin saccagé et son stock de marchandises détruit, avant de se voir notifier, après quelques jours en « prison », un bannissement de la ville. Un traitement identique a été réservé au marchand de musique, qui gagnait sa vie en gravant des CD de chansons occidentales ou arabes à succès. « Cette fois, nous avons brûlé ton échoppe. Si tu reprends cette activité qui détourne le musulman de la mosquée, ce sera ta maison et tous ceux qui s’y trouvent qui brûleront », l’a menacé un "cadi" (juge islamique] autoproclamé. Mais que fait la police ? Petite bourgade, Sejnane ne dispose que d’un commissariat gardé par cinq agents des forces de l’ordre. Insuffisants pour faire face aux assaillants. Les multiples demandes de renfort sont restées lettre morte. « Le ministère de l’Intérieur reçoit quotidiennement des centaines de sollicitations de ce genre », se justifient les intéressés. « Nous n’avons plus aucun doute, rétorquent les détracteurs d’Ennahdha, le gouvernement protège les salafistes. »

Opérations coup-de-poing

Le niqab s’est généralisé à Sejnane et les jeunes chômeurs se laissent désormais pousser la barbe et adoptent la tenue de combat ou l’ensemble seroual-qamis afghan.

Toujours est-il que l’épisode de l’émirat de Sejnane n’a pris fin qu’après la médiatisation des événements de la région de Bizerte. Des militants d’ONG et de partis laïques s’y sont massivement rendus pour en avoir le coeur net. Très vite, les meneurs salafistes se sont évanouis dans la nature. Mais Sejnane a été traumatisée. Le niqab s’y est généralisé et les jeunes chômeurs se laissent désormais pousser la barbe et adoptent la tenue de combat ou l’ensemble seroual-qamis afghan. Selon le journaliste Zied Krichen, directeur du quotidien Le Maghreb, la révolution a provoqué une véritable guerre des mosquées. « Aujourd’hui, explique-t-il, le courant salafiste, à travers ses deux déclinaisons, quiétiste et djihadiste, contrôle quatre cents mosquées, soit un lieu de culte sur cinq. » Les salafistes surfent sur la vague de liberté provoquée par la révolution. C’est au nom de cette liberté qu’ils mènent des ghazoua (« raids ») pour la conquête du niqab à l’université de la Manouba, qu’ils multiplient les opérations coups-de-poing contre les lieux de débauche et les maisons closes et s’en prennent aux intellectuels et journalistes qui osent dénoncer en public leur stratégie de la terreur. Leur premier coup de force a été l’attaque, le 26 juin 2011, du cinéma Afric’Art, qui diffusait le long-métrage de la réalisatrice tunisienne Nadia el-Fani, Ni Allah, ni maître ! Quelques mois plus tard, ils s’illustrent à nouveau après la télédiffusion du film d’animation Persepolis par Nessma TV. Le 23 janvier, l’ouverture à Tunis du procès de Nabil Karoui, le patron de la chaîne, poursuivi pour avoir programmé « un film contraire aux valeurs du peuple », a fourni une nouvelle occasion aux salafistes de terroriser « les mécréants et apostats, passibles de la peine de mort ».

Lors de ce triste rassemblement, ils ont sauvagement agressé Zied Krichen et l’universitaire Hamadi Redissi. Les images de cette agression, diffusées sur le net et sur les réseaux sociaux, ont suscité un grand émoi dans l’opinion. Cinq jours plus tard, à l’appel de plusieurs partis laïques ou de gauche, près de 10 000 marcheurs ont défilé contre la montée de l’extrémisme dans les artères de Tunis et dans plusieurs villes de province. Un officier de police chargé de canaliser la foule de manifestants l’assure : « Cette fois, nous avons reçu des ordres. Si les salafistes tentent de provoquer les marcheurs, on leur rentre dedans. » L’auteur de ces instructions ? Hamadi Jebali en personne, Premier ministre et secrétaire général d’Ennahdha.

Faut-il pour autant, à la lumière de ces événements, désespérer de la Tunisie ? « Pas du tout, répond Bessam Khlef, patron de PME à Tunis. Au plus fort de la crise, les services de l’État, que l’on dit faible, n’ont pas été défaillants. Aucun délestage, aucune rupture dans l’approvisionnement en eau potable, aucune fermeture d’hôpital. La révolution a emporté un régime, et si la République a mis un genou à terre, l’État est resté debout. Vacillant mais debout. » C’est l’une des raisons pour lesquelles la Tunisie a été épargnée par la violence extrême et le chaos qui règnent en Égypte, en Libye ou au Yémen.

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