Présidentielle française : Mélenchon l’imprécateur

Il n’en finit pas de grimper dans les sondages. Ses attaques féroces contre François Hollande ou Marine Le Pen font mouche. Le candidat du Front de gauche est l’attraction de la campagne présidentielle.

Pendant le grand rassemblement organisé par le Front de gauche, le 18 mars, place de la Bastille. © Kenzo Tribouillard/AFP

Pendant le grand rassemblement organisé par le Front de gauche, le 18 mars, place de la Bastille. © Kenzo Tribouillard/AFP

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Publié le 28 mars 2012 Lecture : 6 minutes.

Sera-t-il le troisième homme de la présidentielle ? Devancera-t-il au soir du premier tour, le 22 avril, le centriste François Bayrou, voire Marine Le Pen ? Meetings bondés, rassemblement monstre place de la Bastille, popularité en hausse dans les sondages… Depuis quelques semaines, Jean-Luc Mélenchon y croit dur comme fer. Lui qui, non sans humour, se décrivait comme « un diplodocus du Parti socialiste » quand il était sénateur à 35 ans deviendrait-il furieusement à la mode, à près de 61 printemps, sous l’étiquette du Front de gauche ?

Laïcard défroqué du PS, dont il a claqué la porte en 2008 pour fonder le Parti de gauche (PG), qui compte 8 000 adhérents, il est aujourd’hui le champion d’une coalition qui regroupe le PG, le Parti communiste et la Gauche unitaire (issue d’une scission du Nouveau Parti anticapitaliste). Ce Front de gauche a fait ses premières armes lors des élections européennes de juin 2009 (6 % des voix). À l’approche de la présidentielle, Mélenchon le tacticien s’en sert comme d’une machine de guerre pour accompagner « l’effondrement d’un type de modèle capitaliste » et l’avènement d’une société où l’État reprendra tous ses droits, mettant un terme à la dictature des marchés financiers.

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Ce discours dont il revendique crânement le caractère populiste fait mouche. Lui qui stagnait depuis des mois à 5 % ou 6 % des intentions de vote a franchi la barre des 10 % au début de mars. Depuis, c’est l’envolée. Il revient comme un boulet sur Bayrou et Le Pen, à qui il dispute son électorat ouvrier, et prend des voix au socialiste François Hollande. Où s’arrêtera-t-il ?

« La droite se droitise, l’extrême droite est forte et le PS est flou. Je suis le seul à parler clair à la classe ouvrière », note-t-il avec délectation. Il séduit aussi les classes moyennes et tous les électeurs de gauche qui, voyant se confirmer la perspective d’un duel Sarkozy-Hollande et donc s’éloigner le spectre d’un nouveau 21 avril 2002 (quand Jean-Marie Le Pen s’était retrouvé au second tour de la présidentielle), ne se sentent plus obligés de « voter utile » au premier tour pour barrer la route au Front national.

Je suis impérieux, je l’ai toujours été. Je ne suis pas un homme à qui l’on fait baisser les yeux.

Face à un Hollande dont la campagne s’essouffle, Mélenchon marque des points. Sa ligne ? « À gauche toute ! » Son slogan (qui est aussi le titre de son livre) ? « Qu’ils s’en aillent tous ! » – en référence au « ¡Que se vayan todos! », ce cri de colère des Argentins ruinés par la crise de 2001. Son credo ? Un rejet viscéral des plans d’austérité que les marchés financiers, les patrons du CAC 40 (« ces grosses bouches à fric insatiables »), les agences de notation (« ces vampires ») et l’Union européenne (« antidémocratique et autoritaire ») veulent imposer aux citoyens, au risque de les plonger davantage encore dans la récession. Citant les exemples « catastrophiques » de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, Mélenchon fustige le pacte de discipline budgétaire, dont la fameuse règle d’or, adopté le 2 mars par vingt-cinq pays européens pour rééquilibrer leurs comptes publics. Il veut renégocier le traité de Lisbonne de 2007 en imposant aux frontières de l’Union européenne des visas environnementaux et sociaux sur les marchandises.

Ses éructations tous azimuts flattent l’esprit du temps. Orateur talentueux, il s’en prend pêle-mêle « aux belles personnes, aux importants, aux satisfaits, aux griots et à tous les donneurs de leçons, aux ultrariches gavés de fric, contaminés jusqu’à la moelle par la finance, aux bonnes consciences, à la caste médiatico-politique ». « Je suis impérieux, je l’ai toujours été, souligne-t-il. Je ne suis pas un homme à qui l’on fait baisser les yeux. » On en oublierait presque que cet ancien apparatchik réputé conscient de sa valeur tance des élites dont il n’a pas toujours été à des années-lumière…

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De gré ou de force

Son idée de base est simple, et vieille comme le socialisme : pour remplir les caisses vides, il faut partager les richesses « de gré ou de force » et taxer le capital. Imposer à 100 % les revenus supérieurs à 360 000 euros par an, augmenter le smic de 21,6 % en le portant à 1 700 euros bruts par mois, créer un écart maximal des salaires dans les entreprises, de 1 à 20. Puis interdire les licenciements boursiers et rendre le financement des dettes publiques indépendant des pressions des marchés. « On ne fait pas la guerre à la finance avec un pistolet à bouchon », lance-t-il à l’adresse de Hollande, qu’il avait traité de « capitaine de pédalo » au début de la campagne et qui peine à se remettre de ce trait assassin.

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Ah ! François Hollande… Bien plus que Sarkozy, c’est lui l’adversaire numéro un de Mélenchon. Depuis le temps où le premier secrétaire du PS l’humiliait en se moquant de son indulgence à l’égard de l’Union soviétique, de Chávez ou de Castro, ou (dit-il) en truquant les votes internes à ses dépens, il méprise cet « homme plastique » qui a donné une orientation libérale au parti. Le chef du Front de gauche, que ses proches décrivent comme un affectif invétéré, n’a jamais supporté la rouerie et les compromissions de Hollande et consorts. « J’ai souffert de les voir traiter les gens par-dessus la jambe, manquer de parole à tout le monde, résume-t-il. On marche au combat avec moi ou pas. Mais on ne marche pas à l’intrigue. » C’est ce refus de transiger qui a conduit l’enfant terrible du PS à la rupture avec la maison mère, il y a quatre ans.

Virulent mais galant, soupe au lait mais calculateur, tribun plébéien mais cultivé…

Deuxième cible, Marine Le Pen, à qui Mélenchon tente de ravir son électorat populaire. « Je vais lui lancer un Exocet dans la cabine », avait-il crâné avant leur premier débat. « Le problème, ce n’est pas l’immigré, c’est le financier », poursuit-il en dénonçant la stigmatisation des étrangers à laquelle s’adonne la présidente du Front national et la récente polémique que « cette semi-démente » a lancée au sujet de la viande halal. Avant ces assauts gaillards, il s’était montré plus amène avec la blonde candidate, la saluant très courtoisement dans les couloirs du Parlement européen. Mais l’heure n’est plus à la chanson de geste…

L’anecdote en dit long sur un Mélenchon tout en paradoxe. Virulent mais galant, soupe au lait mais calculateur, écorché vif mais duplice, tribun aux accents plébéiens mais cultivé, détestant les États-Unis mais grand lecteur de Faulkner et de Caldwell, taiseux sur sa vie privée mais confiant au magazine people Gala qu’il rêve d’écrire un roman d’amour… « Je suis un pied-noir qui rentre dans sa case où il y a de la douceur, mais qui met son armure quand il ouvre sa porte », a un jour confié ce natif de Tanger qui a quitté le Maroc en 1962 (il avait 11 ans) pour la Normandie, puis le Jura. Un père receveur des PTT, une mère institutrice (et catholique pratiquante), une soeur décoratrice d’intérieur, une fille de 37 ans prénommée Maryline… On n’en sait guère plus sur la vie intime de cet athée et franc-maçon dont nul ne conteste les convictions républicaines.

Trotskiste

Après une licence de philosophie, il entre à l’âge de 20 ans dans l’Organisation communiste internationaliste (OCI), cette officine trotskiste également fréquentée par Lionel Jospin, où il acquiert le sens de l’organisation et le goût du secret. Il est déjà un homme d’appareil chevronné lorsqu’il rejoint le Parti socialiste en 1977.

Repéré par le maire de Massy (Essonne), il gravit les échelons : conseiller municipal, adjoint au maire, conseiller général, sénateur (1986-2010), ministre délégué à l’Enseignement professionnel dans le gouvernement Jospin (2000-2002). Au lendemain de sa rupture avec le PS, il devient député européen en 2009, et ne se montre pas très assidu aux séances du Parlement de Strasbourg.

L’avenir s’annonce à la fois prometteur et compliqué. Mélenchon a déjà annoncé qu’il n’accepterait pas de portefeuille si Hollande remportait la présidentielle. Dans la perspective des législatives de juin, il lui faudra pourtant négocier des sièges de députés pour ses proches et pour lui-même : pas facile d’arriver après les chevènementistes, radicaux ou autres écologistes qui ont déjà passé des accords avec les socialistes. À moins, comme le soupçonnent certains de ses ex-amis du PS, qu’il n’ait intérêt à la victoire de Sarkozy pour s’imposer ensuite comme le leader naturel d’une gauche à reconstruire. Un rêve inavoué, mais tellement agréable…

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