Sénégal : Macky Sall, président équilibriste
À l’approche des législatives du 1er juillet, le nouveau président sénégalais Macky Sall sait qu’il doit faire très vite ses preuves. Il lui faut satisfaire les attentes de ses électeurs malgré des finances publiques en mauvais état et montrer qu’il est en mesure d’appliquer la rupture alors qu’il a lui-même été aux affaires.
La cinquantaine, un physique plutôt banal, mais un caractère plus tranché qu’il n’y paraît. Macky Sall et François Hollande ont cela en commun, mais pas seulement. Élus à la tête de leur pays autant par rejet du président sortant que par adhésion à leur propre programme, invités par leurs concitoyens à tenir rapidement leurs promesses de campagne malgré un contexte financier délicat, les deux hommes connaissent un début de mandat similaire. S’il ne s’était pas empressé de rendre visite à Nicolas Sarkozy, le 18 avril à Paris, trois semaines seulement après son élection à la tête du Sénégal et quelques jours avant que son hôte soit contraint de quitter l’Élysée (« son premier faux pas », estime l’opposition), Sall aurait eu tout le loisir de s’en amuser avec Hollande. Ce n’est que partie remise.
Les deux hommes bénéficient certes d’une douce euphorie après leurs victoires respectives sur Abdoulaye Wade et Nicolas Sarkozy, mais en aucun cas d’un état de grâce. Nul doute qu’ils se posent chaque jour la même question à l’approche d’un scrutin législatif crucial (les 10 et 17 juin en France, le 1er juillet au Sénégal) : comment, après avoir multiplié les promesses de changement durant la campagne, ne pas décevoir ?
Deux mois après son élection, Macky Sall s’en sort plutôt bien. Lorsqu’il a pris les clés du palais présidentiel, le 2 avril, il a découvert l’ampleur du désastre. À vrai dire, il s’y était préparé. « Nous étions informés de ce qui se passait », soutient le directeur adjoint de son cabinet, Moubarack Lô. La diplomatie était isolée, voire boudée, le spectre d’une année blanche dans l’éducation se faisait de plus en plus menaçant, les caisses de l’État restaient vides, les emplois fictifs étaient pléthoriques et la liste des agences budgétivores aux dénominations les plus improbables s’est révélée plus fournie encore que les prévisions ne le laissaient entendre.
Ses services ont ainsi appris l’existence d’une Agence nationale des nouveaux ports du Sénégal, alors même qu’aucun nouveau port n’est envisageable dans le pays ; d’une Direction de la construction de petits aéronefs, qualifiée par l’Inspection générale d’État (IGE) d’« inopportune » ; ou encore d’une Agence nationale de la haute autorité du désert, « sans objet »… Ils ont aussi découvert que l’équipe précédente avait mis en place un Office sénégalais pour la propriété industrielle et l’innovation technologique, dont le doublon avec l’Agence sénégalaise pour la propriété industrielle et l’innovation technologique est évident.
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"Père la rigueur"
Il a donc fallu faire le ménage afin de réduire le train de vie de l’État. C’était une promesse du candidat, une exigence du Fonds monétaire international (FMI) et « une attente forte de la population », rappelle le politologue Abdou Lô. Dans ce domaine, Macky Sall ne fait pas dans la demi-mesure et c’est ce qui lui permet de bénéficier, selon Abdou Lô, d’une période d’observation bienveillante de la part des Sénégalais.
Le 21 mai, le président a annoncé la suppression de 59 structures étatiques parmi lesquelles des agences ou des directions générales (telles que celles citées plus haut) qui, selon l’IGE, « ne répondaient pas aux critères d’efficacité et de rigueur d’une administration générale ». Pour la gestion de certaines d’entre elles, des audits sont en cours. Le même jour, il a officialisé la réactivation de la Cour de répression de l’enrichissement illicite – créée par Abdou Diouf il y a trente ans, mais en sommeil depuis des années. Elle devrait être rebaptisée Cour de répression des crimes économiques et financiers. Il a également promis la mise sur pied d’un Office national anticorruption, « chargé de promouvoir l’intégrité et la probité dans la gouvernance publique », et d’une Commission nationale de restitution des biens et de recouvrement des avoirs mal acquis. Le message a le mérite d’être clair, ce sera « impunité zéro ».
Diplomatie : retour aux fondamentaux
La politique étrangère figure en bonne place des principaux chantiers lancés par Macky Sall. Objectif annoncé par son fidèle bras droit, Alioune Badara Cissé (ABC), dès sa prise de fonctions au ministère des Affaires étrangères : revenir aux fondamentaux. Il s’agit de « casser l’enfermement dans lequel nous avait menés Wade, restaurer le leadership du Sénégal sur le continent en menant une diplomatie de consensus, et renouer avec nos alliés traditionnels que sont le Maroc, la Mauritanie et la Gambie », explique un conseiller du président. « À force de donner des leçons à ses homologues africains et de la jouer en solo, Wade avait fini par isoler le Sénégal. Il était urgent de rompre avec l’ancien régime. » Outre un rappel massif d’ambassadeurs, dont Maïmouna Sourang Ndir, en poste à Paris, le ministre a entrepris une tournée dans toutes les capitales qui comptent. Depuis deux mois, ABC a passé plus de temps à l’étranger que dans son pays. R.C.
Mais le président n’a pas l’intention de s’arrêter là. En bon « père la rigueur », il a édicté un certain nombre de règles auxquelles devront se soumettre les ministres : fin des voyages en première classe, limitation des missions à l’extérieur, rationalisation des lignes téléphoniques… Il a restreint son gouvernement à 25 ministres, comme promis durant la campagne (contre 45 dans le dernier gouvernement de Wade). Ses détracteurs notent tout de même que pas une semaine ne passe sans qu’il nomme un nouveau ministre-conseiller… Il a aussi cassé plusieurs dizaines de contrats de travail à la présidence, et fixé le salaire mensuel maximal des directeurs d’agence à 5 millions de F CFA (7 622 euros), quand certains d’entre eux émargeaient à 14 millions de F CFA sous Wade. Il a enfin dénoncé des décrets pris par l’ancien président, et il est même revenu sur des contrats opaques passés avec certaines sociétés les mois précédant l’élection.
« Le peuple, outre l’amélioration de ses conditions de vie, attache beaucoup d’importance aux questions de gouvernance », répète-t-il à longueur de Conseils des ministres. Sall veut imposer « un nouveau style fondé sur la sobriété, la rigueur et la transparence », indique un proche collaborateur. C’est pour cela (et aussi pour se plier à la loi) qu’il a fait état de son patrimoine – chose inédite pour un président au Sénégal – et qu’il a demandé à ses collaborateurs, parmi lesquels son Premier ministre Abdoul Mbaye, de l’imiter.
Cela lui a valu bien des critiques. Comment un simple haut fonctionnaire a-t-il pu amasser une telle fortune, estimée au bas mot à 1,3 milliard de F CFA ? s’interrogent certains de ses concitoyens. Ils notent que Sall a acquis la plupart de ses biens (terrains et maisons) lorsqu’il était le Premier ministre de Wade, entre 2004 et 2007. « C’est la rançon de la transparence », soupire l’un de ses proches, qui rappelle que Sall a été ministre et Premier ministre, et que, sous Wade, cela valait bien des privilèges…
"On reste sur notre faim"
Prôner la rupture quand on a été soi-même aux affaires réclame un certain talent d’équilibriste. Il lui faudra en faire preuve lorsqu’il lâchera les chiens de la justice aux trousses des voleurs en col blanc, et que les audits des agences paraétatiques et des ministères seront rendus publics. Pour Abdou Lô, le véritable test de la bonne gouvernance promise par le nouveau président se situe à ce niveau. « Pour le moment, on reste sur notre faim. Il y a eu des gestes. Il y a une volonté manifeste d’en finir avec les pratiques du passé. Mais il n’y a rien de concret. Reste à savoir quand les audits commenceront », lâche-t-il. Moubarack Lô affirme qu’ils seront « menés à terme » et que « les sanctions seront appliquées sans réserve ».
Deux épines judiciaires
D’un côté, le maire d’un arrondissement de la capitale, Barthélémy Dias : un socialiste très populaire qui figure sur la liste de Benno Bokk Yakaar pour les législatives, et qui est soupçonné depuis six mois du meurtre d’un nervi du Parti démocratique sénégalais. Après une longue détention, il a été placé en liberté provisoire le 22 mai. De l’autre, l’influent marabout Cheikh Bethio Thioune : un dignitaire mouride qui avait activement soutenu Abdoulaye Wade lors de la présidentielle, et qui est soupçonné de complicité dans le meurtre de deux de ses disciples en avril dernier. Il croupit depuis en prison. Dans les deux cas, la promesse d’une justice indépendante faite par Macky Sall est mise à rude épreuve. La présence de Dias sur la liste de sa coalition est perçue, dans certaines sphères judiciaires, comme un moyen de pression sur les magistrats. L’incarcération de Thioune, elle, est assimilée par des proches du marabout à des représailles après sa prise de position en faveur de Wade. Pour l’heure, le président laisse la justice faire son travail. R.C.
Mais « Macky » était un homme de consensus avant d’arriver au pouvoir, ce n’est pas maintenant qu’il va changer. Selon le représentant d’une institution européenne en poste à Dakar, qui participe à de nombreuses réunions, « s’il y a bien une volonté de faire le ménage et de récupérer les biens mal acquis, il n’y aura pas de chasse aux sorcières ». Le président et son équipe savent qu’ils risqueraient de s’y brûler les ailes. La nouvelle opposition a beau jeu, en effet, de rappeler que le président a été aux affaires pendant huit des douze années que dura l’ère Wade. Toutefois, si personne n’est condamné, « la population ne comprendra pas », affirme un cadre du Parti socialiste.
Il est un autre chantier sur lequel la nouvelle équipe est attendue : la baisse du coût de la vie. Là aussi, Sall a tenu ses engagements. Quelques semaines après avoir pris le commandement du pays, son gouvernement, dirigé par le banquier Abdoul Mbaye, a annoncé la baisse des prix de l’huile, du riz et du sucre. C’était la promesse phare du candidat et c’est la priorité de la plupart des Sénégalais. La hausse vertigineuse des prix durant la campagne a été l’une des causes de la déroute électorale du président sortant. Pour tenir parole, il a fallu mettre de l’argent sur la table, mais Sall a surtout pu compter sur le soutien des commerçants, qui ont accepté assez facilement de jouer le jeu en réduisant leurs marges. Pour combien de temps ? Au Palais, on est conscient que cette solution n’est pas pérenne. On cherche déjà d’autres moyens de stabiliser les prix.
Sur le plan social, le gouvernement a également annoncé la revalorisation des pensions de retraite. Il a débloqué une aide d’urgence de 34 milliards de F CFA pour les paysans et a annoncé une enveloppe de 30 milliards de F CFA en vue de la prochaine campagne agricole. Une autre mesure populaire a été l’annulation des 29 permis que l’ancien gouvernement avait octroyés à des chalutiers étrangers pratiquant la pêche pélagique, et qui alimentaient la polémique et le mécontentement des milliers de pêcheurs sénégalais depuis plusieurs mois. Enfin, il a obtenu, par le dialogue et en promettant des assises nationales sur l’éducation, la levée de la grève des enseignants, éloignant le spectre d’une nouvelle année blanche.
Toutes ces mesures jurent néanmoins avec la situation financière du pays. L’entourage du président en convient. « Le temps des annonces moins populaires viendra après », prédit-on déjà. Après, car le président ne peut pas se permettre de perdre les législatives du 1er juillet au cours desquelles les Sénégalais éliront leurs 150 députés. S’il échouait, il devrait cohabiter avec l’opposition durant les cinq prochaines années.
Liste unique
Selon l’un de ses conseillers, qui dispose d’un certain nombre d’études d’opinion, l’hypothèse n’est pas envisagée. « Nous allons l’emporter assez largement », croit-il savoir. Jusqu’à présent, Sall a réussi à bien manoeuvrer. La coalition Benno Bokk Yakaar, qui l’avait soutenu au second tour face à Wade, est restée unie. Elle présentera une seule et même liste aux législatives. Outre l’Alliance pour la République (APR), qu’il préside toujours, on y trouve les principaux partis de l’ancienne opposition : l’Alliance des forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse, le Parti socialiste (PS) d’Ousmane Tanor Dieng et Rewmi (« le pays » en wolof) d’Idrissa Seck.
La constitution de cette liste unique, basée sur les résultats de chaque parti au premier tour de la présidentielle, n’a toutefois pas été de tout repos. Le mouvement du président s’y taillant la part du lion, les dents ont grincé dans les autres partis. Même à l’APR, les mécontents sont nombreux depuis qu’ils savent que le perchoir est promis à Niasse, que Macky Sall tient en grande estime. Un des principaux lieutenants de ce dernier, le très volubile Moustapha Cissé Lô, s’en est offusqué de manière peu mesurée ces dernières semaines, avant de se faire rappeler à l’ordre par le boss lui-même.
« Ces vaguelettes n’ont rien à voir avec la tempête que vit l’opposition », qui part aux élections en rangs dispersés, veut se rassurer un collaborateur du président. Rien à voir, non plus, avec les obstacles qui attendent le gouvernement dans les prochains mois. Dans un contexte financier tendu, il faudra bientôt préparer le budget 2013 – et donc arbitrer, un exercice dans lequel le président n’excelle pas – et résorber les retards des paiements au secteur privé accumulés avant les élections. Il faudra aussi résoudre la question énergétique (le plan Takkal mis en place par l’ancien gouvernement pour mettre fin aux délestages coûte très cher au pays), faire face aux premières inondations dans les banlieues, ouvrir le dialogue avec les indépendantistes casamançais, annoncer des mesures concrètes pour la jeunesse… « L’épreuve du pouvoir ne commencera qu’à la rentrée », reconnaît-on au Palais. La parenthèse enchantée des élections sera refermée. La patience des Sénégalais ne sera plus qu’un lointain souvenir.
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