La mode africaine, toutes griffes dehors

On les connaît, mais on ne les achète pas – ou pas assez. Les stylistes africains voudraient bien convaincre la clientèle locale. Et prouver qu’en Afrique aussi la création peut être rentable.

Mannequin sud-africain. © Gianluigi Guercia/AFP

Mannequin sud-africain. © Gianluigi Guercia/AFP

Publié le 15 juin 2012 Lecture : 4 minutes.

Sa réussite, Pathé Ouédraogo en est fier. « Après un défilé, je ne rentre jamais avec mes créations, insiste le créateur ivoiro-burkinabè. Elles sont toutes vendues dans la foulée. » En une trentaine d’années, il a fait de sa marque, Pathé’O, une valeur sûre, appréciée des connaisseurs aussi bien à Johannesburg et à Paris qu’à New York. Mais comme beaucoup de ses confrères africains, il a du mal à se faire une place auprès du grand public sur le marché international de la mode. « Les marchés occidentaux nous intéressent, mais il faut être honnête : nous ne sommes pas encore prêts, déclare-­t-il. Ceux qui ont tenté l’aventure se sont cassé les dents. »

Mauvaise préparation ?

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Erreurs de jugement ? Entre les méventes et les charges fiscales, les rares créateurs africains qui ont ouvert des enseignes à Paris se sont retrouvés incapables d’honorer leurs créances. Et trouver des distributeurs relevait de la gageure. « Leurs moyens de production sont limités, et les grandes enseignes parisiennes ou new-yorkaises hésitent à travailler avec des fournisseurs dont ils ne sont pas sûrs des capacités de production », explique Khady Diallo, ancienne secrétaire générale de la Fédération africaine des créateurs (FAC). Des obstacles qui ont convaincu la Sénégalaise Collé Sow Ardo qu’il valait mieux concentrer ses efforts sur le continent. « Le vrai défi, aujourd’hui, c’est de s’imposer sur nos marchés, martèle-t-elle. Nous devons montrer aux Africains ce dont nous sommes capables et les amener à consommer local. »

C’est loin d’être gagné. Sur les marchés subsahariens, des kilomètres d’étals de vêtements made in China. Et quand il faut débourser au moins 35 000 F CFA (53 euros) pour une chemise sortie des ateliers de Pathé Ouédraogo, 1 000 F CFA suffisent pour acheter une chemise chinoise. Il ne faut pas non plus oublier les petits tailleurs de quartier. « Rien qu’en Côte d’Ivoire, où les chiffres les plus récents datent de 2006-2007, on en dénombrait 50 000 », explique Patrick Liversain, directeur de Woodin, la première marque de prêt-à-porter grand public en Afrique francophone, et le chiffre augmente de façon exponentielle si l’on prend en compte toutes les capitales ouest-africaines. Des petits tailleurs qui reproduisent, avec un talent parfois discutable, les modèles qu’ils voient dans les grands magazines ou lors des défilés des créateurs.

Contrefaçon

Les faibles revenus des populations et la profusion d’étoffes sur les marchés contribuent au succès de ces tailleurs. « Au début des années 2000 et rien qu’en Afrique de l’Ouest, on estimait que, chaque année, 1,5 million de mètres de pagnes wax étaient disponibles sur les marchés. Aujourd’hui, chaque année, 1,5 milliard de mètres de pagnes en provenance d’Asie sont distribués sur les marchés », ajoute Patrick Liversain. Wax et basins de contrefaçon ont fait chuter les prix des tissus : 45 000 F CFA en moyenne pour une pièce originale de pagne wax, 7 000 F CFA pour une version asiatique.

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Des rendez-vous à ne pas manquer !

La Dakar Fashion Week, du 11 au 17 juin – L’Africa Fashion Week à New York, du 12 au 18 juillet – La Swahili Fashion Week, le 30 août à Nairobi et le 1er septembre à Arusha – La South Africa Fashion Week, du 27 au 30 septembre à Jo’burg.

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Quant à la clientèle aisée, elle est parfois difficile à convaincre. « Des femmes peuvent acheter une robe de marque française à plus de 1 million de F CFA, mais elles réfléchiront à deux fois avant de mettre le même montant dans une robe de créateur local. Les Africains sont encore persuadés que la qualité vient toujours de l’étranger », témoigne Sylvie Konan, propriétaire d’une boutique de vêtements de luxe aux Deux-Plateaux, quartier huppé d’Abidjan.

Pagne tissé

Pour changer les mentalités, les créateurs ont fait des efforts sur la qualité, tablant sur des finitions plus soignées et sur des coupes qui s’adaptent aux besoins de la vie urbaine. Après, à chacun sa stratégie. À Dakar, Collé Sow Ardo emploie une centaine de tisseuses, de modélistes et de tailleurs, et elle s’est spécialisée dans le pagne tissé de luxe, fait main, où elle mêle le coton au lin ou à la soie. Écharpes, sacs, chaussures sont des pièces uniques. Pour une robe longue en pagne tissé, comptez 230 000 F CFA ; pour une chemise, 90 000 F CFA. Le Nigérien Alphadi a préféré se tourner vers le Maghreb, où il fait produire de la soie imprimée de motifs africains et de la maroquinerie de luxe. Quant à Pathé Ouédraogo, il doit sa notoriété à ses chemises en voile de coton, teintes à la main et personnalisables, dont les prix varient entre 35 000 et 250 000 F CFA. Le créateur (dont Laurent Gbagbo, Nelson Mandela, Paul Kagamé ou Teodoro Obiang Nguema ont tous été clients) a ouvert une quinzaine de boutiques dans les capitales ouest-africaines. Son atelier de couture de Treichville, un quartier populaire d’Abidjan, s’est transformé en une petite usine qui tourne à plein régime et produit environ 5 000 pièces par an.

Tous pourtant sont confrontés à un problème de taille : le manque de financements. « Pour les banques, la mode n’est toujours pas un investissement sûr », explique Khady Diallo. « À force de me battre sur tous les fronts, je n’arrive plus à me concentrer sur la création », se désole Collé Sow Ardo, qui porte – financièrement – sa marque à bout de bras depuis 1983. À la fois commerciale, communicante et femme d’affaires, elle conclut que la seule chose qui la fait tenir, c’est de voir que les Africains commencent « à prendre leur mode au sérieux. Et peut-être qu’un jour des investisseurs privés finiront par s’y intéresser ».

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