Bangladesh : la révolte des petites mains du textile
Salaires de misère, conditions de travail exécrables… Dans le textile et l’habillement, les mouvements sociaux se multiplient. Et suscitent l’inquiétude des grands distributeurs occidentaux.
Plusieurs dizaines de milliers de travailleurs du textile et de l’habillement manifestent au Bangladesh depuis le 21 septembre pour obtenir des augmentations de salaires. Dans la banlieue industrielle de Dacca, la capitale, trois usines de textile ont été incendiées, une gendarmerie a été vandalisée et les exportations sont bloquées, près de trois cents usines ayant préféré stopper toute production.
La colère a éclaté lorsque les salariés du secteur ont appris que le syndicat patronal, la Bangladesh Garment Manufacturers and Exporters Association (BGMEA), refusait de relever le salaire mensuel minimum de 3 000 à 8 114 takas (28 à 76 euros), arguant qu’une telle augmentation porterait tort à la compétitivité de leurs produits auprès des consommateurs américains et européens, n’acceptant de porter ledit salaire qu’à 3 600 takas.
Les syndicats, et notamment la Bangladesh National Garment Workers Employers League, ont rejeté cette offre "inhumaine et humiliante" dans un contexte d’inflation des prix alimentaires. Quatre millions de salariés particulièrement mal rémunérés ont fait du Bangladesh le deuxième exportateur mondial de vêtements, derrière la Chine. Les grands noms du commerce, comme l’américain Walmart, le français Carrefour ou le suédois H&M, s’y fournissent.
Le gouvernement est tiraillé entre des intérêts contradictoires. D’une part, il redoute qu’une hausse des prix de ses textiles (qui représentent 80 % du commerce extérieur, 15 % du PIB et 45 % de l’emploi industriel) ne fasse fuir Européens et Américains. De l’autre, il doit s’efforcer de redorer l’image du pays, souvent assimilé à un bagne en raison de l’extrême modicité de la rémunération des salariés (un tiers du salaire moyen chinois) et du caractère déplorable de leurs conditions de travail. L’effondrement d’un atelier, le Rana Plaza, le 24 avril, avait fait 1 129 morts et mis en lumière les comportements de négriers de certains entrepreneurs. Certaines firmes étrangères, comme Walmart, ont refusé de participer à l’indemnisation des victimes et de leurs familles.
Des conditions de travail exécrables
La course folle au "moins-disant salarial" dans laquelle les importateurs occidentaux sont engagés en Asie arrive-t-elle à son terme ? En Chine, la multiplication des mouvements sociaux a contraint les employeurs à accepter des augmentations salariales comprises entre 30 % et 50 %. De nombreuses productions ont alors été délocalisées dans des pays où le coût du travail est encore plus bas, comme le Vietnam, le Cambodge ou, bien sûr, le Bangladesh. Mais même là, la situation se détériore. Depuis cinq ans, les fournisseurs des marques Nike ou Puma sont, au Vietnam comme au Cambodge, confrontés à d’importants mouvements sociaux. Dans ce dernier pays, 134 grèves ont eu lieu en 2012 dans le secteur de l’habillement (130 000 salariés). Soit quatre fois plus qu’en 2011. Et on en a recensé 48 au cours du premier semestre de cette année, bien que le salaire mensuel minimum ait été, en mars, porté à 61 euros. Violation des libertés syndicales, temps de travail excessif, nourriture insuffisante, sécurité incendie médiocre… Les entreprises cambodgiennes ne sont pas épargnées par le rapport que l’International Human Rights and Conflict Resolution Clinic de la Stanford Law School a publié en février.
Les marques aussi se trouvent au pied du mur : "Si elles ne font pas pression sur leurs fournisseurs cambodgiens pour qu’ils améliorent leur management, estime David Welsh, responsable du Solidarity Center à Phnom Penh, les choses ne s’amélioreront pas, parce que tout le monde cherche à faire le plus d’argent possible dans ce secteur." Le pronostic est identique pour toute l’Asie du Sud-Est.
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