Maroc : le Rabat sépia du dernier rabbin

Menahem Dahan, 68 ans, se souvient du temps où plus de 25 000 de ses coreligionnaires peuplaient le mellah de la capitale marocaine. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une centaine. Visite guidée.

Le religieux souligne « notre première prière est pour le roi ! » © Laurent de Saint Périer pour J.A.

Le religieux souligne « notre première prière est pour le roi ! » © Laurent de Saint Périer pour J.A.

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Publié le 9 novembre 2013 Lecture : 3 minutes.

Juifs et musulmans : meilleurs ennemis
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Juifs et musulmans, meilleurs ennemis

Il suffit qu’on aborde la question d’Israël, et la brouille entre la communauté juive et la communauté musulmane semble insurmontable… Elles partagent pourtant des siècles d’histoire et de culture. Enquête sur un couple déchiré.

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"Je suis né il y a soixante-huit ans, dans un petit village de la région de Ouarzazate sans eau courante ni électricité. Comme tous les enfants du coin, j’allais pieds nus à l’école et faisais mes devoirs à la bougie. J’ai grandi et étudié au Maroc, j’y gagne ma vie et les juifs y sont respectés et appréciés comme nulle part dans la région : le Maroc restera toujours mon pays."

Dans son salon mauresque aux murs couverts d’azulejos portugais, rien, si ce n’est sa kippa en crochet, ne distingue Menahem Dahan de ses voisins musulmans. Arrivé en 1958 à Rabat, le dernier rabbin du mellah est aussi un des rares à se souvenir du temps où plus de 25 000 juifs peuplaient ce quartier enclos de remparts. Une artère longue et étroite le traverse de part en part, encombrée d’étals, parcourue de bandes de gamins, de mobylettes pétaradantes, de matrones faisant leurs courses ; un boyau embrumé par la fumée des grillades où se mêlent des odeurs d’herbes aromatiques, de bêtes équarries, de fruits et de poisson. Mais les produits kasher sont devenus rares dans le mellah, où ne logent plus que trois familles juives, environ 120 personnes.

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Menahem Dahan, qui accomplit les rites de purification dans tous les abattoirs du pays, ne peut que constater : "Dans le temps, à Casablanca, on abattait 300 boeufs par semaine. Aujourd’hui, pas plus d’une trentaine les semaines fastes." Et lorsque le rabbin conduit la prière à la grande synagogue Talmud Torah de l’avenue Moulay-Ismaïl, ils sont à peine plus de vingt à s’y rassembler. "Hélas les gens ne prient plus beaucoup, la plupart sont vieux et ne se déplacent plus, les familles ne se rendent même plus visite comme autrefois, regrette-t-il. La communauté ne fonctionne plus…" Et ce constat ne vaut pas que pour Rabat.

Une protection unique dans la région

Estimée à 250 000 personnes en 1945, la communauté juive du Maroc ne compterait plus que 3 000 membres. Arrivée dès le Ier siècle de notre ère, elle constitue pourtant l’un des plus anciens peuplements du pays. Menahem Dahan évoque le royaume d’Abraham Erfati, fondé vers Essaouira avant l’arrivée des Arabes au VIIe siècle. Aujourd’hui, les juifs du Maroc continuent de bénéficier d’une protection unique dans la région – "Notre première prière est pour le roi !" souligne le rabbin -, mais l’indépendance, les guerres israélo-arabes et les campagnes de l’Agence juive en faveur de l’Aliyah ont provoqué une hémorragie dont certains comparent les conséquences économiques, sociales et culturelles à l’exode des juifs et des musulmans d’Espagne au XVIe siècle ou à l’expulsion des protestants de France au XVIIe.

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"Les juifs d’ici ont beaucoup perdu en quittant le Maroc, et le pays a autant perdu en laissant partir ses juifs", commente le rabbin. La plupart se sont rendus en Terre promise, mais beaucoup se sont installés en Occident, comme ses deux fils, qui travaillent dans le textile à Paris. Seule sa fille est restée : elle est traiteur de plats marocains kasher à Casablanca. Le vieil homme ira-t-il passer ses derniers jours en Israël ? "Je ne serais pas contre, mais pour quelqu’un de mon âge, ce serait compliqué. La vie là-bas est trop chère… et la mienne est ici."

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"La présence d’un juif est une bénédiction"

À quelques pas de la demeure de Menahem Dahan, une petite synagogue jouxte le rempart. L’immeuble mitoyen est en ruines. "Il appartient à la famille Azuelos, comme auparavant l’ensemble du pâté de maisons. Ils n’ont pas voulu se séparer de ce bâtiment qui touche la synagogue", explique le religieux en ouvrant la porte en fer forgé qui donne sur une courette fleurie. La petite bâtisse aux murs sang de boeuf ne laisse rien deviner de ses 400 ans, ni de sa désertion par les fidèles.

"On ne célèbre plus que des veillées de prières pour l’anniversaire de Rabbi Chalom Zaoui, un grand saint vénéré depuis deux cent soixante-quinze ans. Les malades venaient autrefois dormir quelques nuits près de sa tombe, et beaucoup d’entre eux guérissaient miraculeusement, des juifs mais aussi des musulmans ! On dit ici que la présence d’un juif est une bénédiction. Qu’il parte, et la bonne fortune s’en va avec lui."

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