Jean-Pierre Ndiaye, militant à vie

Depuis un demi-siècle, cet ancien collaborateur mythique de J.A. s’engage en faveur des opprimés et réfléchit au destin des peuples africains. Portrait d’un sociologue toujours aussi vigilant et confiant.

Jean-Pierre Ndiaye, chez lui à Paris, en décembre 2013. © Vincent Fournier / JA

Jean-Pierre Ndiaye, chez lui à Paris, en décembre 2013. © Vincent Fournier / JA

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Publié le 12 février 2014 Lecture : 4 minutes.

Fin décembre 2013, Jean-Pierre Ndiaye s’est rendu à Dakar pour recevoir le Prix du rayonnement international du Sénégal que lui a attribué l’association Re-Source/Sununet, dont le rôle est de favoriser la compréhension et la solidarité entre Sénégalais de l’étranger. Juste récompense pour cet homme dont la vie a été consacrée à la défense et à l’illustration de l’Afrique subsaharienne. À près de 79 ans, il n’a rien perdu de sa vivacité ni de sa combativité. Idéaliste, loin du clinquant et de l’accumulation, Jean-Pierre Ndiaye est un oiseau rare à une époque où les compromissions, les fanfaronnades et la soumission ne cessent de prendre le pas sur les convictions. Le besoin de partager parole et idées est comme un feu intérieur qui le consume, rendant ses gestes vifs, déterminés.

Jean-Pierre Ndiaye est au courant de tout ce qui se passe sur le continent et dans le monde. Son engagement, qui remonte aux années 1950, n’a pas pris une ride. Évidemment, sa célèbre casquette, celle que les lecteurs de Jeune Afrique ont connue il y a quelques décennies, à l’époque où il signait des chroniques, est toujours vissée sur sa tête, où trônent d’éternelles dreadlocks couleur ivoire. Dans un dossier que J.A. lui avait consacré en juillet 1977 sous le titre "Le cas Jean-Pierre Ndiaye", il se définissait ainsi : "Je suis un chercheur, un élève de la vie qui doit lutter et témoigner. C’est ma vocation. […] Pour moi, jamais il ne doit y avoir de temps perdu. Je romps totalement avec les rapports alourdissants, le conformisme des loisirs et des habitudes organisées. Plus d’interruption dans la recherche d’une information sur le monde, sur l’évolution de l’Afrique, l’évolution des idées, l’avenir de l’homme." Il ne s’est jamais dédit. Au confort d’une carrière, il a préféré l’insouciance de l’électron libre.

Les chefs d’État doivent comprendre qu’aucune force au monde ne peut arrêter l’accélération de l’Histoire.

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"L’aspiration à la démocratie, aux droits de l’homme fait partie des besoins vitaux"

Le septuagénaire décortique le présent. Il scrute l’horizon, convaincu que "l’Afrique est en train de renaître malgré toutes les difficultés. Elle compte des individualités d’une qualité extraordinaire. Les chefs d’État doivent comprendre qu’aucune force au monde ne peut arrêter l’accélération de l’Histoire. Les jeunes ont besoin de dignité et de progrès". Et d’ajouter : "L’aspiration à la démocratie, aux droits de l’homme fait partie des besoins vitaux. Ce n’est pas un don, c’est dans l’essence humaine. La parole crée. En priver un être humain, c’est vouloir le transformer en bête."

Le parcours de Jean-Pierre Ndiaye n’est pas banal. Né au Sénégal, il poursuit sa scolarité en Guinée, où son père a été muté. Encore enfant, il est révolté par les mesquineries de l’ordre colonial tel qu’il fonctionne à Conakry. Et puis, un jour de 1951, l’adolescent a la bougeotte. Il se rend au port de la capitale, embarque clandestinement à bord d’un navire pour débarquer quelques jours plus tard à… Bordeaux ! Mais c’est à Toulouse (sud-ouest de la France) qu’il se fixe, sous la protection d’un de ses oncles. Esprit ouvert, il rencontre des gens d’horizons divers qui forgent sa conscience militante : anciens combattants africains, exilés espagnols opposés au franquisme et, plus tard, militants algériens. Jean-Pierre Ndiaye finit par monter à Paris, où il choisit d’étudier la sociologie. Il embrasse le marxisme ou, plus précisément, le maoïsme. Il rencontrera ainsi tous ceux qui comptent dans les milieux de la gauche française et tiers-mondiste. Et il fait un choix : défendre les opprimés, les exploités, témoigner pour eux. C’est dans cet esprit qu’il publie en 1962, chez Réalités africaines, son premier livre : Enquête sur les étudiants noirs en France.

La dénonciation de la guerre menée par Khartoum contre le sud du Soudan

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Politiquement, Jean-Pierre Ndiaye croisera le fer avec Léopold Sédar Senghor, dont il critique la politique, avant d’engager un dialogue avec lui, sans se renier. Il reconnaît que l’ancien président du Sénégal avait, contrairement à ses successeurs – en particulier Abdoulaye Wade, "qui a déçu tous les hommes de gauche qui avaient misé sur lui pour faire évoluer le pays" -, créé des institutions solides. L’intellectuel se retrouvera aux États-Unis pour mener des recherches et y rencontrera, entre autres, Malcolm X. Parmi ses autres combats, il y a la dénonciation de la guerre menée par Khartoum contre le sud du Soudan, qu’il révélera dans les colonnes de J.A., après avoir été sur le terrain rencontrer John Garang, leader de la rébellion. "L’indépendance du Soudan du Sud était inévitable, dit-il aujourd’hui. C’était un problème fondamental dans la mesure où les Noirs du Sud étaient l’objet de préjugés de la part du Nord."

La Françafrique ? Selon lui, elle vit malgré la disparition de Jacques Foccart : "Je ne pense pas que le patronat français et la classe politique, gauche ou droite, puissent changer leur vision de l’Afrique. Il faudra une révolution ou une rupture épistémologique. La condescendance et le paternalisme sont toujours là. Le changement ne proviendra que de l’Afrique, à travers une conscientisation accélérée des citoyens, qui doivent se décomplexer." Aux dirigeants du continent, il lance un appel : "Vous devez avoir conscience que vous appartenez à la fois à vos pays et à l’Afrique. Défendez donc ses ressources humaines et matérielles."

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