Italie : Matteo Renzi, vite !
Plus jeune Premier ministre de l’histoire du pays – il a 39 ans -, cet homme pressé ne manque ni d’audace ni d’idées. Son plan pour sortir la politique et l’économie du marasme dans lequel elles sont plongées peut-il réussir ?
Les Italiens ont connu trois présidents du Conseil en tout juste deux ans : Silvio Berlusconi, Mario Monti et Enrico Letta. Le quatrième est en place depuis le 22 février, et les Italiens commencent à peine à s’habituer à lui. Il se nomme Matteo Renzi, est âgé de 39 ans et bénéficie d’un état de grâce assez inattendu.
Pour l’instant, une majorité de ses compatriotes lui accordent leur confiance. Pour prendre le pouvoir, le maire de Florence, qui dirigeait parallèlement le Parti démocrate (PD), n’a eu qu’à retirer sa confiance à Enrico Letta, pourtant également membre du PD. Une ascension "quasi miraculeuse", commente un diplomate. Selon les sondages, 67 % des Italiens se déclarent satisfaits de l’impulsion qu’il veut donner à l’économie italienne au cours de ses cent premiers jours au Palazzo Chigi. Il faut dire que la situation pourrait difficilement être plus mauvaise. La récession a été brutale, un million d’emplois ont été perdus, le PIB a baissé de 9 % et la production industrielle de 25 %. Jamais depuis la fin des années 1980 le pouvoir d’achat des ménages n’a été aussi faible. Plus de la moitié des jeunes vivant dans les régions déshéritées du Sud sont au chômage et contraints de s’expatrier pour trouver un emploi.
Mais Renzi est un homme pressé. Il a promis des changements "radicaux" dans ce pays longtemps paralysé par les lobbies, la bureaucratie et l’incurie de la classe politique. Ingénument, il admet que son fameux plan de cent jours a pour objectif essentiel de lui faire gagner des voix lors des européennes du mois de mai – son premier vrai test électoral. Quoi qu’il en soit, les 10 millions d’Italiens gagnant moins de 1 500 euros par mois vont bénéficier d’une exonération fiscale de 1 000 euros par an. Les entreprises devront se contenter d’un abattement de 10 % de leurs charges (soit presque 3 milliards d’euros) et, pour les plus petites d’entre elles, d’une baisse des prix de l’énergie. Dès le mois de juillet, le secteur privé va même récupérer plus de 60 milliards d’euros qui lui sont dus par les pouvoirs publics.
Creuser un peu plus le déficit budgétaire
Reste à savoir comment Renzi va financer ses réformes. Il a promis de diminuer les dépenses publiques de 7 milliards d’euros au cours des douze prochains mois et d’instaurer une taxe sur les gains financiers. L’Italie espère en outre retrouver une certaine liberté d’action en remboursant à des taux inférieurs sa vertigineuse dette publique (2 100 milliards d’euros), ce qui reviendra à creuser un peu plus son déficit budgétaire : 3 %, contre 2,6 % actuellement. "Vous n’êtes pas crédible. Ces chiffres ne s’additionnent pas", lui a répondu l’économiste Renato Brunetta, chef du groupe parlementaire de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, qui rappelle que toute modification du niveau de l’endettement et des déficits nécessite l’accord préalable de la Commission européenne. Or celui-ci pourra difficilement être obtenu avant le mois de mai. Bruxelles a certes accueilli favorablement l’annonce de certaines décisions, mais a rappelé que l’Italie devait respecter ses objectifs d’endettement et de déficits. L’avertissement a eu pour principal effet d’accroître un peu plus la popularité de Renzi dans son électorat. "Il a très bien compris le sentiment antieuropéen qui prévaut actuellement dans le pays", estime l’un de ses proches.
Mais la principale décision prise par Renzi n’a pour l’instant guère retenu l’attention des observateurs. Résolu à assouplir le marché du travail, il a en effet autorisé par décret les entreprises (94 % d’entre elles comptent moins de dix salariés) à conserver leurs intérimaires pendant trois ans, au lieu d’un an actuellement, ce qui leur permet de licencier plus aisément en fonction de l’évolution de la situation économique et d’accroître leur compétitivité sur les marchés internationaux.
Sans surprise, Susanna Camusso, la secrétaire générale de la CGIL, l’un des principaux syndicats du pays, souhaite l’abrogation du décret – ce qu’elle n’a aucune chance d’obtenir dans l’immédiat. Elle accuse aussi Renzi de céder au charme douteux du culte de la personnalité, parce qu’il refuse de se lancer dans d’interminables discussions avec les organisations syndicales et patronales. En fait, ce refus traduit surtout la perte d’influence desdites organisations.
Des sentiments mitigés, entre doute et espoir
Matteo Renzi est-il, comme il le prétend, un révolutionnaire ? Sociologue et éditorialiste au quotidien La Stampa, Luca Ricolfi se montre dubitatif. Il lui reproche de minorer les difficultés qui attendent l’Italie, notamment en matière de réduction des dépenses publiques, et de refuser de "payer le prix de l’impopularité" induite par ces changements. "Nombre d’entre nous nourrissons à son égard des sentiments mitigés, entre doute et espoir, incertitude et surprise, perplexité et confiance", explique-t-il. Ces doutes sont évidemment confortés par la jeunesse et l’inexpérience de la plupart des membres de son équipe, davantage choisis pour des raisons politiciennes que pour leur connaissance des dossiers.
Certains diplomates s’inquiètent de la décision de Renzi de se passer de ministre des Affaires européennes, alors que son pays prendra en juillet la présidence tournante de l’Union européenne. Ancien président du Conseil (2006-2008), Romano Prodi se montre pour sa part confiant : "Jusqu’à présent, il montre beaucoup de détermination et n’hésite pas à prendre des risques. L’enjeu est énorme, mais ses chances de succès ne sont pas minces. Il va être difficile de maintenir une direction claire dans une situation aussi volatile, mais il dispose d’un atout : tout le monde comprend bien que c’est peut-être notre dernière chance de changer la politique et l’économie de ce pays." Au moins Renzi peut-il s’appuyer sur une coalition moins fragile que celle de Prodi en son temps…
La vérité est qu’il fait le grand écart entre deux coalitions. Sur le front économique, il est soutenu par une nouvelle alliance de centre droit dirigée par Angelino Alfano, le ministre de l’Intérieur, qui a rompu avec Berlusconi en novembre 2013. Pour la mise en oeuvre de son ambitieux programme politique et constitutionnel, il compte en revanche sur… ce même Berlusconi, au grand dam de la fraction gauchisante du Parti démocrate. Son objectif ? Abolir le Sénat et renforcer le pouvoir central au détriment des régions dans des secteurs stratégiques comme l’énergie et les transports. Imprudemment, il s’est engagé à renoncer à la politique dans l’hypothèse où il n’y parviendrait pas.
Le chômage devrait remonter jusqu’à cet été
Pour l’instant, il s’emploie à mettre en place un nouveau système électoral qui limitera la représentation parlementaire des petits partis afin de rendre le pays plus aisément gouvernable. Un projet de loi en ce sens vient d’être adopté par l’Assemblée et sera prochainement soumis aux sénateurs. Entre la durée des négociations, qui ne s’annoncent pas faciles, et le temps nécessaire à la réécriture de la Constitution, la coalition qui soutient Matteo Renzi a de fortes chances de survivre jusqu’aux prochaines élections. À ce moment-là, Berlusconi aura purgé les différentes peines auxquelles il a été condamné et pourrait être en mesure de mener son parti à la bataille.
"La coalition n’a aucun intérêt à faire sauter le gouvernement avant que des résultats tangibles aient été obtenus. Mais ensuite, tout est possible", analyse Filippo Taddei, le conseiller économique de Renzi, qui estime que son patron fait "un pari sur l’avenir" en réduisant les dépenses publiques pour financer ses abattements fiscaux. "L’Italie, c’est deux pays", reprend-il. Le premier a perdu tout espoir. Il vit de situations de rente par le biais de quasi-monopoles et de privilèges divers. L’autre se lance dans la révolution technologique et joue la carte de l’exportation.
Matteo Renzi va devoir maintenant tenir ses promesses. Fin 2013, l’Italie est sortie de la récession, mais le chômage devrait augmenter au moins jusqu’à cet été. "La lune de miel ne devrait pas durer plus de trois ou quatre mois", pronostique Romano Prodi. Beaucoup de jeunes Italiens, qui, faute de salaire, ne bénéficieront pas des réductions d’impôts, restent, au mieux, sceptiques. Mais tout espoir n’est pas perdu. Une nouvelle génération arrive, à qui il reviendra de remettre le pays sur les rails. Y parviendra-t-elle ? La tâche qui l’attend est gigantesque.
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