Mode : l’Afrique, c’est chic !

Multiplication des fashion weeks africaines en Occident, émergence des créateurs venus du continent, métissage des matériaux et des créations, apparition des défilés dans les grandes villes, le stylisme a de beaux jours devant lui.

La Black Fashion week, le 4 octobre 2014 à Paris © Bruno Levy/Pour J.A.

La Black Fashion week, le 4 octobre 2014 à Paris © Bruno Levy/Pour J.A.

Publié le 7 novembre 2014 Lecture : 6 minutes.

Dès 1967, l’Afrique a inspiré à Yves Saint Laurent un défilé devenu culte, la collection Bambara, qui comportait raphia, coquillages et autres matières non précieuses. Toujours dans les années 1960, Yves Saint Laurent, Paco Rabanne, Courrèges et Givenchy firent appel, pour la première fois dans l’histoire de la mode, à des mannequins noirs. À la même époque, le jeune couturier Azzedine Alaïa quittait Tunis pour Paris : il allait révolutionner la haute couture féminine avec ses lignes près du corps dans les années 1980.

Autre génie aux origines à la fois tunisiennes et italiennes, Hedi Slimane, qui à ses débuts, en 1996, chez Yves Saint Laurent, puis chez Dior et de nouveau chez Saint Laurent Paris, a redéfini la silhouette masculine de ce début de XXIe siècle… Les années 1990 virent également émerger le tailleur anglo-ghanéen Ozwald Boateng, qui, grâce au succès de son défilé lors de la Fashion Week parisienne, put ouvrir sa propre boutique à Londres, à l’extrémité sud de Savile Row, la rue des tailleurs.

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Plus tard, entre 2003 et 2007, il travaillera sur le vestiaire masculin de Givenchy. Enfin, récemment, en janvier de cette année, c’est la styliste Bouchra Jarrar, dont les parents sont originaires de Fès, qui a accédé au titre envié de membre permanent de la chambre syndicale de la haute couture.

Cette nouvelle génération de créateur revandique son héritage africain

Du côté des stylistes africains, il y a eu des pionniers, comme l’explique Lamine Kouyaté, créateur de Xuli Bët et révélation de la mode africaine des années 1990 : "Chris Seydou, Alphadi, Gilles Touré, Pathé O. ont ouvert la voie et marqué toute une génération. Aujourd’hui, l’Afrique retient toutes les attentions et offre davantage d’opportunités pour les créateurs. Ce qui est frappant, à propos de la génération qui émerge, c’est la diversité des univers qu’ils expriment et le niveau de modernité qui les anime. Ils me semblent plus en phase avec les aspirations qui grondent sur le continent."

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Inventive, la nouvelle génération formée dans les plus prestigieuses écoles de mode du monde, comme le tailleur Omar Asim à la Central Saint Martins de Londres, développe une vision globale de la mode tout en revendiquant son héritage africain. À l’instar de la Comorienne Hayati Chayehoi, qui crée des modèles amples, à rebours d’une mode où le vêtement colle au corps, ou du tailleur Daniel Tohou, créateur du label Nefer, qui propose des vestes classiques avec des doublures en wax.

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Le dynamisme est bien réel sur le continent, où de solides talents sud-africains, comme David Tlale ou Khothatso Tsotetsi, et nigérians, comme Amaka Osakwe et Duro Olowu, réussissent à conquérir le marché américain en signant des collections plébiscitées par les célébrités, de Beyoncé à Michelle Obama. Les stylistes africains de la nouvelle génération comme l’Ougandaise Gloria Wavamunno, la Sénégalaise Adama Paris, le Camerounais Martial Tapolo ou le Marocain Karim Tassi ne se sentent plus dans l’obligation de créer des collections avec des coupes traditionnelles et évitent soigneusement de tomber dans le cliché.

À l’inverse, les marques de luxe comme Dolce & Gabbana, Proenza Schouler, Barbara Bui, Burberry, Gucci ou Dries Van Noten ne se privent pas d’utiliser des imprimés panthère ou ethniques, séduisant les fashionistas, mais réduisant pour le commun des mortels la mode africaine aux animaux de la brousse et au wax, qui n’est qu’un des nombreux tissus offerts par le continent. "Il n’y a pas que le wax en Afrique, tout de même !" s’exclame le styliste Imane Ayissi, qui ne cesse de mélanger les textiles, de la soie au kita.

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"La mode africaine doit s’appuyer sur le développement durable"

À travers toute l’Afrique, la volonté des créateurs africains est de mettre en valeur les techniques et savoirs locaux sans ignorer les consommateurs sur place. Ils s’attachent à fabriquer des vêtements qui puissent s’exporter mais aussi se porter à Bamako et à Abuja. Bien des difficultés restent néanmoins à surmonter, en particulier du côté francophone : "Au Burkina Faso et au Mali, beaucoup de projets de coopération sur le coton bio existaient, mais sans aucun lien avec le marché. On se retrouvait avec la possibilité de faire, mais sans client !" raconte l’Italien Simone Cipriani, directeur de l’Ethical Fashion Initiative (EFI).

Le créateur de Xuli Bët, quant à lui, explique qu’au Mali "il y a une vitalité certaine qui progresse et qui se professionnalise de plus en plus, notamment chez les créatrices comme Awa Maïté ou Mariah Bocoum". Et d’ajouter : "Il faudrait redynamiser le secteur industriel, qui aujourd’hui perd du terrain, faute de prendre la mesure des nouveaux enjeux et défis de la globalisation.

Le secteur artisanal est plus dynamique, plus proche du marché, mais manque cruellement de considération et d’espaces adaptés à certaines activités fortement polluantes comme la teinture et la tannerie. À terme, cela risque de générer de graves dégradations de l’environnement." La multiplication des marques, parfois créées pour surfer sur la vague du bio et du commerce équitable, a permis le développement de l’artisanat et de la production industrielle locale, avec dans les deux cas une création d’emplois.

"La mode africaine doit s’appuyer sur le développement durable pour accroître son industrie textile. C’est un facteur de réussite, dans de nombreux cas", affirme la styliste et consultante Jacqueline Shaw, créatrice de l’Africa Fashion Guide. Certains créateurs, de la Sénégalaise Sophie Zinga à la Nigériane Lisa Folawiyo, ont choisi, tout comme Vivienne Westwood, Stella McCartney ou Stella Jean, de collaborer avec l’EFI.

Face à un marché en plein essor, on assiste à une structuration lente, mais bien réelle, de l’industrie de la mode en Afrique.

Présent en Afrique au Burkina Faso, au Ghana, au Kenya et au Mali, ce programme de lutte contre la pauvreté par l’industrie de la mode a été imaginé par Simone Cipriani. À partir de la demande des clients, le travail des coopératives, composées essentiellement de femmes, est organisé pour ne plus être seulement sporadique.

Des fashion weeks africaines

Face à un marché en plein essor, on assiste à une structuration lente, mais bien réelle, de l’industrie de la mode en Afrique. Des événements comme le Festival international de la mode africaine (Fima) créé par Alphadi dès 1998 au Niger, tout comme les fashion weeks, offrent une précieuse visibilité aux créateurs africains. Dakar, Johannesburg, Lagos, Nairobi… Chaque capitale africaine veut désormais son défilé, avec plus ou moins de succès à la clé ! Sans compter le développement, dans les capitales occidentales, de fashion weeks dites africaines.

"Le souci, c’est qu’il y a encore trop peu d’acheteurs lors de ces événements. Or, un grand nombre de stylistes africains ne parviennent pas à vivre de leur talent. Il faudrait commencer par mettre en place des syndicats de couture", propose Imane Ayissi. "Il ne faut pas simplement créer de beaux vêtements pour les défilés, mais multiplier les stratégies de vente et s’ancrer dans le tissu local. L’Afrique a besoin du rôle que peut jouer la mode dans l’économie du développement", précise Sakina M’sa. À condition toutefois que "les autorités et les investisseurs comprennent que le secteur de la mode est bien une économie à part entière", comme le dit Alphadi.

Résultat de cette effervescence ? Une émulation positive dans toute l’Afrique avec des pays locomotives comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya, le Sénégal et le Ghana qui entraînent leurs voisins dans leur sillage. Signe des temps qui changent, les marques occidentales comme Mango, Zara, Topshop ou Asos ouvrent des franchises sur le continent tandis que le plus grand multimarque de luxe d’Afrique, Temple Muse, connaît à Lagos un succès continu depuis 2008.

On assiste également à une multiplication des marques africaines qui s’alignent sur des standards de qualité plus élevés, voire de luxe, afin de rivaliser avec leurs concurrents américains ou européens, à l’instar des labels Kiki Clothing, Lanre Da Silva-Ajayi, Christie Brown ou Jewel by Lisa.

"Je suis ravie de la tendance actuelle où l’art et l’artisanat traditionnels rencontrent la mode internationale et permettent de créer des modèles originaux", souligne la styliste marocaine Fadila El Gadi. Définir la mode africaine devient du coup de plus en plus complexe. "Cela prouve la grande variété des propositions et offre une image renouvelée de l’Afrique, très contemporaine", conclut Simone Cipriani. Riche de ressources, l’Afrique commence à peine sa conquête du marché de la mode.

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