Le défi d’Air Algérie
Après le crash d’un de ses Boeing, la compagnie aérienne algérienne doit faire face à la disparition de Khalifa Airways et d’Air Lib, et au retour d’Air France, annoncé pour juin prochain.
Tamanrasset, le 6 mars 2003. La ville vient d’être le théatre de la première catastrophe aérienne de l’histoire d’Air Algérie. Un Boeing 737-200, propriété de la compagnie publique depuis 1985, s’est crashé en bout de piste, quelques secondes après son décollage. À bord : cent quatre personnes (passagers et personnel navigant), dont un seul aura la vie sauve. Il avait oublié d’attacher sa ceinture de sécurité. Éjecté lors du crash, il s’en sort avec quelques brûlures et des membres fracturés. L’accident provoque une énorme émotion dans tout le pays, meurtri par une décennie de violence armée et de crise politique. Il annonce également une zone de turbulences pour le transport aérien en général, et pour la compagnie Air Algérie en particulier. Si le premier se remet à peine des suites du 11 septembre 2001, la seconde vit une série de traumatismes depuis décembre 1994, date du détournement d’un Airbus d’Air France à Alger par un commando suicide des Groupes islamiques armés (GIA). Cette prise d’otages se terminera par un assaut des troupes d’élites de la gendarmerie française sur le tarmac de l’aéroport de Marignane à Marseille. Conséquence : le gouvernement d’Édouard Balladur gèle les dessertes algériennes d’Air France. Une décision catastrophique pour le pays, puisque toutes les compagnies européennes lui emboîtent le pas. Air Algérie, avec une flotte de trente-neuf aéronefs (d’une moyenne d’âge de 18 ans) se retrouve dans une situation de quasi-monopole.
En 1998, le ciel algérien se libéralise, et pas moins de six compagnies privées voient le jour. Une seule se fait une place au soleil : Khalifa Airways, propriété d’Abdelmoumen Rafik Khalifa, jeune tycoon à l’ascension fulgurante. Très vite, ce dernier fait de l’ombre à Air Algérie et lui arrache des parts de marché : sur le réseau domestique, Khalifa Airways assure 52 % du trafic. Les avions d’Air Algérie prennent un coup de vieux face à la flotte d’Airbus acquis en leasing par Khalifa. Le personnel formé par la compagnie publique est débauché par le milliardaire, qui propose de doubler les salaires. Ceux qui restent chez Air Algérie exigent de son directeur général M’hamed Tayeb Benouis des augmentations. Conflit et grèves à répétition. Benouis cède et aligne sa grille de salaires sur la concurrence.
En 2000, un plan de renouvellement de la flotte est adopté par le conseil d’administration de la compagnie. L’avionneur américain Boeing décroche le contrat et fournit, en vingt-quatre mois, douze appareils 737-800. L’opération est financée sur fonds propres à hauteur de 30 %, le reste grâce à un crédit bancaire garanti par Eximbank. Parallèlement, l’entreprise retire du circuit trois gros-porteurs 727-200, trois moyen-courriers 737-200, trois Fokker et deux Bombardier B27. Les Boeing sont vendus le 14 janvier 2002. Le plan de renouvellement envisage également le retrait, jusqu’en 2007, du reste de l’ancienne flotte, soit près d’une trentaine d’appareils. Il était urgent qu’Air Algérie se décide à se débarrasser d’une partie de sa flotte, car les frais de maintenance plombaient lourdement les coûts d’exploitation, qui ont augmenté de 25 % par an entre 1999 et 2001. Les mises aux normes dans l’espace européen ont en effet imposé une coûteuse mise à niveau des appareils les plus âgés.
Le montage financier ne semble pas aisé, d’autant que, selon le directeur général d’Air Algérie, « l’État n’a jamais contribué à l’acquisition d’un seul avion ». Une seule solution est envisagée par Benouis : l’ouverture du capital, qui permettrait, si le choix du partenaire est judicieux, d’y faire entrer une compagnie expérimentée (Lufthansa avait été pressentie) et de financer une partie des nouvelles acquisitions. Le cabinet américain Booz Allen & Hamilton se charge alors de procéder aux études préliminaires en vue de l’opération. Son rapport est remis en février 2002. Depuis, aucune décision n’a été prise par les pouvoirs publics. Benouis tente de relancer à plusieurs reprises la machine, mais le dossier reste enfoui dans les tiroirs du Conseil des participations de l’État (CPE), organe décisionnel en matière de privatisations.
Jusqu’au crash du 6 mars 2003 à Tamanrasset, suivi quelques jours plus tard par la disparition de Khalifa Airways, due aux soucis financiers du groupe éponyme. Le Premier ministre Ali Benflis réunit le Conseil des ministres. Un plan de renouvellement urgent est mis sur pied, qui prévoit une enveloppe de 800 millions de dollars pour l’acquisition de dix-sept avions, répartis comme suit : neufs modules de cinquante à soixante-dix places destinés au réseau domestique pour combler le vide laissé par la compagnie privée ; cinq modules long- et moyen-courriers de deux cent cinquante places ; et trois modules de cent cinquante places.
Il va sans dire que l’avis d’appel d’offres lancé par Air Algérie, le 7 avril, a déclenché une véritable course entre les deux plus gros avionneurs : Airbus et Boeing. Le constructeur européen bénéficie d’un léger avantage sur son concurrent de Seattle, fournisseur traditionnel d’Air Algérie : depuis quelques années, la compagnie publique tente de se lancer dans l’industrie aéronautique grâce à un grand site de maintenance mis sur pied en 2000. La direction d’Air Algérie a choisi pour partenaire la Sogerma, filiale de… EADS, groupe majoritaire au sein d’Airbus. L’ouverture des plis est prévue le 7 mai, mais certains médias français ont d’ores et déjà annoncé qu’Airbus a toutes les chances de décrocher le contrat. Manoeuvre commerciale ? Conclusions hâtives motivées par le net réchauffement des relations politiques avec Paris ? Benouis a apporté un démenti : rien ne sera tranché, selon lui, avant la date fixée, et le choix n’obéira à aucune autre considération que les préoccupations techniques et de rentabilité pour la compagnie.
D’ici là, Air Algérie devra se préparer à faire face à d’autres difficultés, dues à l’arrivée de la haute saison. Durant treize semaines, généralement entre le 30 juin et le 30 septembre, la compagnie publique est chaque année confrontés à une croissance très forte de la demande sur les dessertes entre la France et l’Algérie. Cette année, la direction de la compagnie a prévu de mettre sur le marché près de 1,5 million de sièges durant cette seule période. Air Algérie devrait assurer, pour le réseau France, une capacité globale de 752 832 sièges, soit 53 770 sièges en plus des 699 062 que comprennent ses vols réguliers. Paris se taille la part du lion avec 391 600 sièges disponibles, correspondant à 52 % des capacités globales destinées au réseau France. Les dessertes entre l’Hexagone et les aéroports algériens se feront au rythme de cent soixante-douze vols hebdomadaires. Ce programme est toutefois tributaire de l’accord de la direction française de l’aviation civile, qui n’avait toujours pas donné de réponse définitive à Air Algérie au moment de la rédaction de ces lignes. Autre souci : la réalisation de ce programme ne pourra compter sur les nouvelles acquisitions d’aéronefs, qui seront fournis, au mieux, courant octobre. La compagnie devra affréter, pour les vols internationaux, au moins trois gros-porteurs pour pouvoir assumer cette augmentation de l’offre. De même qu’elle envisage de louer les deux ATR de Khalifa Airways, cloués au sol car sous-séquestre judiciaire. Ces deux appareils, unique propriété de la défunte compagnie privée, devraient être consacrés aux vols domestiques, non rentables mais de service public. Une concession qu’a bien voulu faire Benouis.
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