L’OCP se cherche un avenir

Dix-huit mois après sa prise de fonctions, le patron du conglomérat marocain veut passer à la vitesse supérieure.

Publié le 9 octobre 2007 Lecture : 6 minutes.

Son profil de manager et sa droiture sont pour beaucoup dans sa nomination à la tête de l’Office chérifien des phosphates (OCP), un groupe public connu pour son culte du secret et sa totale opacité. Voix grave et corpulence de catcheur, Mostafa Terrab, 52 ans, possède le physique de l’emploi. Ce Meknassi, qui se promène avec le Financial Times sous le bras, n’a pourtant rien du redresseur de torts. Petit-fils du théologien Mohamed Belarbi Aloui, figure emblématique de l’islam tolérant et moderniste, et d’Ahmed Terrab, mouhtasib (représentant du pouvoir central) de Meknès, le 14e directeur général de l’OCP connaît son Maroc sur le bout des doigts et sait, mieux que quiconque, respecter la tradition et ménager les hommes. Choisi pour faire entrer dans la modernité un mastodonte qui emploie plus de 17 000 personnes, le grand patron s’est lancé dans la plus ambitieuse réforme jamais réalisée. Un terme qu’il réfute, préférant parler de « restructuration », mais qui reflète, quoi qu’on en dise, la révolution qui est en marche au sein d’une entreprise bien singulière, véritable État dans l’État. Retour sur les dix-huit premiers mois du capitaine Terrab.
Sitôt nommé par le roi Mohammed VI le 15 février 2006, le directeur général s’entoure d’une équipe de choc, des quadras aux CV bien remplis dans le domaine de la finance, de la communication et du management. Il se plonge aussi dans la mémoire du groupe et confie le soin au cabinet américain Kroll de réaliser un état des lieux de l’entreprise. Au mois d’avril 2006, il part à la rencontre des hommes qui font l’OCP, créé en 1920 par le maréchal français Lyautey pour valoriser le phosphate, et visite les nombreuses installations sur tout le territoire. Les résultats de l’audit tombent en juillet et viennent confirmer le constat du DG : « L’OCP possède toujours un grand savoir-faire dans l’exploitation minière et les métiers de la chimie. Il dispose d’atouts majeurs avec trois quarts des réserves mondiales de phosphates, un port en eau profonde et des gisements proches des marchés européen, asiatique et sud-américain. Mais le groupe vieillit, les infrastructures se déprécient, la direction n’a pas de véritable stratégie industrielle et commerciale. » Dans le passé, les responsables successifs ont privilégié les augmentations de production programmées dans des plans quinquennaux aussi lourds qu’inefficaces et se sont lancés dans des partenariats hasardeux qui pèsent sur la santé financière du groupe. Bref, l’OCP est encore à l’ère soviétique.

Menace de surproduction en 2010
Sans faire de bruit, Mostafa Terrab écarte les canards boiteux de la direction et engage une réflexion sur la politique du groupe. Il sollicite alors d’autres cabinets américains, notamment Mc Kinsey, pour l’aider à définir sa stratégie. Plusieurs axes de développement sont arrêtés pour améliorer les performances et conforter le leadership mondial : arbitrer en temps réel entre les trois familles de produits (minerai, acide phosphorique et engrais), bâtir une offre sur mesure et optimiser la consommation de phosphate marocain en offrant aux investisseurs étrangers des usines d’acide phosphorique clés en main sur la plate-forme industrielle de Jorf Lasfar. En deux mots, Terrab cherche la réactivité et la flexibilité pour s’adapter au mieux aux caprices du marché mondial. Si, à long terme, les fondamentaux sont bons (ils tablent sur une insuffisance de l’offre par rapport à la demande), la surproduction guette à l’horizon 2010 en raison principalement de l’entrée en activité du complexe concurrent de Jalamid en Arabie saoudite (3 millions de tonnes de roches), et, dans une moindre mesure, de la hausse des exportations algériennes.
Dans le domaine opérationnel, Terrab modifie de A à Z le fonctionnement du groupe. Le pilotage au jour le jour sans tableaux de bord est remplacé par une gestion moderne, aux normes comptables internationales (IFRS), à l’aide de tous les outils de contrôle, de prévisions des risques et de planification. L’OCP s’ouvre enfin aux médias et se dote d’une direction de la communication pour informer le grand public et le monde économique. Cette dernière est notamment chargée de publier des résultats mensuels et d’éditer – une première dans l’histoire d’une société qualifiée de « nébuleuse » – un rapport annuel d’activité.
Mais tout n’est pas réglé, loin s’en faut. Les charges financières qui pèsent sur l’OCP rendent illusoire toute perspective de développement d’autant que les installations industrielles nécessitent une rénovation rapide. Terrab consulte les partenaires sociaux et engage les discussions avec l’État, qui aboutissent fin juillet à un protocole d’accord pour externaliser la gestion des retraites. Un boulet financier de 33 milliards de DH (3 milliards d’euros), dont l’Office n’avait provisionné que le tiers. L’administration des pensions de 17 000 actifs et 30 000 retraités a finalement été confiée, avec l’accord de l’État, à la Caisse de dépôt et de gestion (CDG). Mais cela n’est pas suffisant, il faut également chercher de l’argent frais pour financer les investissements. Le manager propose alors de faire passer l’OCP de l’entreprise publique à la société anonyme et de créer un holding. Le schéma retenu, qui doit être validé en fin d’année, prévoit l’entrée de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) aux côtés de l’État dans le holding. À terme, le capital serait ouvert aux investisseurs privés. « Le holding restera toutefois majoritairement marocain. Lors de mon passage à la Banque mondiale, j’ai pu me rendre compte des effets économiques et sociaux pervers des privatisations intempestives. Il n’est pas question de se séparer de ce fleuron de l’industrie nationale qui représente un formidable levier pour l’aménagement du territoire et la vie des populations », précise Terrab.
En changeant de statuts et en introduisant la transparence financière, l’OCP pourra capter différents types de fonds. Plusieurs scénarios sont actuellement à l’étude : recapitalisation par des sociétés privées, introduction en Bourse, emprunts Les clients naturels de l’OCP sont les premiers à être approchés même si la direction n’exclut pas des prises de participation marginale de banques ou de fonds de pension. Sur le plan opérationnel, l’OCP cherche également à renforcer ses partenariats sous la forme de joint-ventures pour sécuriser ses débouchés. Des discussions sont en cours avec le belge Prayon, le brésilien Bunge, les indiens Birla et Tata Chemicals, déjà partenaires du groupe.
L’Office prévoit d’investir 45 milliards de DH (4 milliards d’euros) d’ici à 2020. La grande mine de Ouled Fares (Khouribga), réputée pour la qualité de sa roche, verra sa capacité de production passer de 18,5 millions de tonnes à 35 millions dans les dix ans à venir. Mais plus que la qualité, les nouveaux dirigeants recherchent la valorisation de la pierre. En améliorant les infrastructures et la logistique, ils comptent faire du site de Jorf Lasfar (quelque 1 700 hectares) la plus grande plate-forme mondiale intégrée de production d’acide phosphorique en portant la production journalière à 8 500 tonnes, contre 6 000 actuellement. L’OCP proposera à ses partenaires de profiter des commodités disponibles pour installer leurs usines, la production étant facilement exportable par le port de Jorf, près d’El-Jadida.

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Incertitudes politiques
Un programme ambitieux, mais pas à l’abri des difficultés. « Nous sommes entrés dans une période d’incertitudes. L’ancien Premier ministre, l’entrepreneur Driss Jettou, et son équipe donnaient tous les gages d’assurance aux opérateurs économiques. Qu’en sera-t-il avec ce nouveau gouvernement dirigé par un istiqlalien ? s’inquiète un diplomate européen. Il existe, par ailleurs, un risque sécuritaire. Il suffit que planent, comme sur l’Algérie, de fortes menaces d’attaques des intérêts étrangers et les partenaires extérieurs hésiteront avant de venir. » Pas de quoi inquiéter le DG de l’Office, qui rappelle que les agences internationales de rating attribuent de bonnes notes au Maroc (Investment Grade pour Fitch). Et prend l’exemple des opérateurs de télécoms étrangers mille fois remboursés de leurs prises de risque « Afrique ».

Renouveler les effectifs
L’OCP devra également réussir sa politique environnementale. L’industrialisation de la plate-forme de Jorf Lasfar augmentera sensiblement la consommation d’eau dans un pays où tourisme et agriculture sont déjà en compétition pour l’utilisation d’une ressource rare. L’OCP veut remplacer l’utilisation de l’eau souterraine par l’eau de pluie. Et propose de mettre à profit le barrage d’Ait Messaoud, dans le Maroc central, pour alimenter par canalisation le site de Jorf. Dernier défi et non des moindres : renouveler près de 30 % des effectifs d’ici à 2012, pour cause de départs en retraite, et réussir l’intégration des jeunes recrues. Les dirigeants de l’OCP ont visiblement bien préparé leur réforme, il leur reste maintenant à la réussir.

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