Abdelwahid Bouabdallah
Le nouveau patron d’Air Algérie a pour mission de relancer la compagnie nationale. Un objectif qui passe par une bien meilleure qualité des services, des avions ponctuels et l’ouverture de nouvelles destinations, notamment sur le continent.
Jeune Afrique : Vous avez pris vos fonctions le 1er mars. Comment passe-t-on de député à PDG ?
Abdelwahid Bouabdallah : Après mon mandat de député, qui s’est achevé en mai 2007, j’ai fait part de ma disponibilité pour diriger une entreprise publique en écrivant un courrier dans ce sens au chef du gouvernement algérien. Si je suis toujours membre du comité exécutif du FLN, je suis plutôt un individualiste, et le jeu de la majorité, sans une véritable opposition, ne m’intéresse pas.
Est-ce le hasard qui vous amène à ce poste ?
En effet, je visais plutôt une banque, une grande entreprise dans les barrages, les travaux publics ou les télécoms.
Vous arrivez avec une réputation de redresseur d’entreprises en difficulté. Air Algérie est-elle dans ce cas ?
J’ai toujours été appelé dans des entreprises qui perdaient leur souffle, qui tombaient dans la routine. Elles avaient besoin d’un meneur d’hommes pour changer leur état d’esprit. Et si je dois avouer que j’étais pessimiste avant d’arriver à Air Algérie, je suis rassuré. Il y a de nombreux talents.
Comment se porte l’entreprise ?
Sans faire de langue de bois, je ne le sais pas encore. Je fais réaliser un audit sur les bilans des trois dernières années pour avoir une vraie vision de l’entreprise.
Pourquoi, dès le lendemain de votre nomination, le 27 février, êtes-vous parti incognito à la rencontre des salariés ?
Je voulais discuter directement avec le personnel. Je me suis présenté à l’aéroport en tant que client insatisfait par les retards, la lenteur dans la remise des bagages ainsi qu’en tant que demandeur d’informations techniques sur l’organisation, comme les conditions d’accueil des commandants de bord. J’ai vu immédiatement des chantiers à lancer. Améliorer la ponctualité en est un. Nous avons pris l’habitude des retards. Je sens que tout le monde en est conscient. Mais il est encore trop tôt pour détailler une stratégie. J’ai décelé beaucoup d’énergies dormantes, j’espère les réveiller.
Qu’entendez-vous par énergies dormantes ?
J’ai rencontré des salariés en forte attente, pour qui tout se décidait d’en haut. C’est une entreprise très cloisonnée. Chacun est jaloux de ses prérogatives. Il faut réapprendre aux services à travailler ensemble. Il faut décentraliser les décisions. Les procédures sont complexes. L’information doit circuler plus vite et les décisions doivent être prises plus rapidement avec un contrôle a posteriori. Aujourd’hui, tout remonte au PDG. Ce n’est plus possible. Mais j’ai aussi décelé une grande disponibilité du personnel, qu’il faut fédérer autour d’un projet. Je ne suis pas venu en sauveur d’Air Algérie, mais pour dynamiser l’entreprise.
Avez-vous des pistes ?
J’ai beaucoup occupé mes premières semaines à me mettre à niveau car il y a tellement de chantiers à rouvrir et de dossiers techniques à maîtriser pour moderniser l’entreprise, comme le système d’information, la billetterie électronique. Et sans encore parler de stratégie très arrêtée, j’ai identifié des priorités comme le commercial, la technique et la programmation.
Que devient Abdenaceur Hadj Rabia, qui a assuré l’intérim depuis le décès de M’hamed Tayeb Benouis, en août 2007 ?
Il a fait un très bon travail. Il était directeur financier avant l’intérim et il va diriger l’une des trois directions stratégiques de coordination.
Songez-vous à une réorganisation ?
L’organigramme est en effet l’une de mes priorités. Je veux créer une équipe de jeunes talents autour de moi. Il y a beaucoup de diplômés qui ne sont pas exploités à la mesure de leurs capacités. J’essaie de les détecter en regardant les dossiers que je leur demande. J’ai aussi envoyé un questionnaire aux quarante-deux directeurs et chefs de structures d’Air Algérie. Ils ont eu jusqu’à la mi-mars pour le remplir. Depuis, je les reçois un à un.
Que contient ce questionnaire ?
La définition de leur poste, les problèmes qu’ils rencontrent, leurs suggestions, les perspectives qu’ils proposent C’est un moyen de mesurer leur capacité d’initiative, leur réactivité, leur disponibilité, et de vérifier s’ils connaissent bien leur métier. Car je serai intraitable sur les questions techniques. La force d’Air Algérie, c’est la technique (maintenance, assistance au solÂ) et l’opérationnel (traitement des vols, programmation des pilotesÂ).
Des réajustements sont-ils en vue ?
Air Algérie sait très bien faire voler des avions mais a de grandes lacunes en matière de prestations et de qualité de services. Je veux faire émerger des métiers manquants comme le contrôle de gestion, la prospective, la qualité de service, les sondages auprès des utilisateurs Je suis surpris que, malgré tous nos concurrents, les Algériens nous soient restés fidèles.
Justement, comment vous adapterez-vous à la libéralisation du ciel algérien ?
La concurrence ne nous fait pas peur. Je pensais le contraire avant d’arriver mais il est impossible d’être aussi performant que nous en Algérie. Pour nous adapter, l’acquisition d’avions navettes est imminente pour relier entre elles des villes comme Alger, Oran, Constantine et Annaba.
Êtes-vous aussi serein à l’international ?
Ce sera bien plus rude. Mais nous avons une force : le passager algérien. Pour peu que l’on augmente la qualité de services et la ponctualité, nous ferons peur à nos concurrents. Nous mettrons le « paquet » dans la formation commerciale. Et en 2008, nous ouvrirons une fréquence vers la Chine et une troisième liaison vers le Canada. Elles nous permettront de nous préparer à la concurrence.
Pourtant la concurrence vers la France vous a fait mal ?
Le gisement de la compagnie, c’est la France. Sur les trente-huit escales que nous assurons, vingt et une se font en Europe, dont onze en France. Nos parts de marché vers la France sont de 52 %. Ensemble, Air France et Aigle Azur font 48 %.
Ce n’est pas ce que disent vos concurrentsÂ
Ces dernières années, nos parts de marché sur la France sont passées de 60 % à 52 %. Aigle Azur est une compagnie très active. Mais si nous améliorons nos prestations, l’Algérien voyagera sur Air Algérie. Ce sera difficile, mais nous reprendrons nos parts de marché. Pour cela, nous avons un plan d’augmentation de notre flotte. Nous allons acheter plus de onze appareils d’ici au début de 2009. Nous avons l’accord des pouvoirs publics et nous lancerons bientôt les appels d’offres.
En avez-vous les moyens ?
Nous avons remboursé par anticipation les douze avions que nous avions achetés en 2004.
Air Algérie serait donc rentable ?
Très rentable. Mais pas en l’état actuel. Elle peut l’être à très court terme grâce à son personnel. Ma force, ce sont les ressources humaines.
Avez-vous une stratégie africaine ?
Nous disposons déjà d’une plate-forme au Burkina. Il y a beaucoup de destinations à développer en Afrique mais l’idée est de bénéficier d’abord de subventions de l’Union européenne pour désenclaver le continent. Car nous ne voulons pas créer un fonds de commerce à perte pour que d’autres en profitent après comme cela a été le cas sur Alger-Moscou avec Aeroflot.
Quelles sont vos priorités sur le continent ?
L’Afrique du Sud, le Nigeria et plus généralement la Corne et l’ouest de l’Afrique. Des compagnies aériennes africaines existent sur ces destinations et nous allons voir comment entrer dans leur capital.
Ce qui ne ravira pas vos voisins de Royal Air Maroc ?
Nous voulons évoluer dans un cadre de concurrence loyale.
Comment voyez-vous Air Algérie dans cinq ans ? Serez-vous l’homme de la privatisation ?
Ce sera une entreprise phare du Bassin méditerranéen. C’est jouable. Le chef de l’État considère que la compagnie nationale a fait un travail merveilleux pendant les années difficiles, lorsque le ciel était fermé, et qu’elle a été la seule à forcer le passage. Il s’est rendu compte qu’il fallait garder un outil stratégique de cette importance dans le giron de l’État.
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