La ruée vers l’Ouest africain

En investissant autour de 10 milliards d’euros dans la région, grands producteurs mondiaux mais aussi juniors minières et sidérurgistes veulent sécuriser leurs approvisionnements face à une demande internationale toujours en hausse.

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 3 août 2010 Lecture : 4 minutes.

Ils sont partis à la conquête de l’Ouest : les trois premiers producteurs de fer mondiaux, le brésilien Vale et les australiens BHP Billiton et Rio Tinto (70 % de la production mondiale à eux trois), mais aussi leurs clients sidérurgistes, les chinois Chinalco et Shandong Iron and Steel, le franco-indien ArcelorMittal ou encore l’indien Tata Steel, sont bien décidés à faire des gisements de fer de l’Afrique occidentale une nouvelle source d’approvisionnements.

Et ils sont prêts à braver tous les dangers pour cela : s’associer avec des juniors minières à la réputation sulfureuse et opérer dans des zones reculées et politiquement instables. En moins de six mois, pas moins de cinq méga-accords miniers ont été annoncés, totalisant près de 10 milliards d’euros, dans trois pays jugés jusqu’alors risqués par les miniers : la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone.

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C’est la conjoncture qui a replacé l’Afrique au centre du jeu mondial : la demande a considérablement augmenté depuis dix ans, dopée par la voracité de la Chine, qui développe son industrie. Les augmentations de production des deux pays leaders, l’Australie et le Brésil, ne sont pas suffisantes pour faire face. La Chine accroît sa production nationale, mais son minerai reste pauvre en fer (à peine 20 %).

Les prix ont explosé, passant, pour le minerai à 62 %, d’environ 60 dollars la tonne au début des années 2000 à 180 dollars fin avril sur les marchés à court terme. Depuis, un report stratégique des commandes chinoises a fait retomber ce prix autour de 115 dollars (environ 89 euros), mais la tendance de fond reste orientée à la hausse et pousse les miniers à investir.

De leur côté, les sidérurgistes tablent sur l’intégration verticale. Ils veulent acquérir leurs propres mines pour gagner en indépendance et surtout se prémunir contre la volatilité des cours, qui va s’aggraver avec le nouveau système de fixation des prix du fer, validé en mars : pour les gros volumes, il n’y a plus de prix fixes sur une année entière (long terme), tous les achats sont désormais négociés sur le marché (court terme).

La Guinée continue d’attirer

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Dans ce contexte, les gisements ouest-africains aiguisent les appétits de tous : avec des réserves estimées entre 250 millions et 500 millions de tonnes, dont une bonne partie à 65 % de teneur en métal (soit le niveau des meilleures mines australiennes), ils ont de quoi séduire.

À Conakry, alors que se termine la phase délicate de la transition politique, on assiste à une véritable ruée vers le fer. Le 19 mars, Rio Tinto et Chinalco annonçaient un investissement de 2,2 milliards d’euros pour l’exploitation des lots nord du massif du Simandou, la troisième réserve mondiale de fer, isolée au cœur de la région de la Guinée forestière. Le 1er mai, c’était au tour de Vale de révéler son intention d’exploiter les lots sud de la même montagne. Pour 1,9 milliard d’euros, le numéro un mondial s’est offert 51 % de la filiale guinéenne de BSGR, la major minière de l’Israélien Benny Steinmetz, controversée pour avoir obtenu cette concession sous Lansana Conté alors qu’elle n’avait aucune expérience dans l’extraction de fer. Enfin, le 24 mai, la junior australienne Bellzone, dirigée par le Russe Nikolais Zuks, nouait un accord avec le China International Fund (CIF) pour l’exploitation du fer de Kalya, au centre du pays : 2,1 milliards d’euros d’investissements prévus.

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Au Liberia voisin, c’est le géant BHP Billiton qui mène la danse : le 15 juin, il a noué un accord avec le gouvernement pour le développement de quatre mines de fer dans le pays, pour un investissement prévu de 2,3 milliards d’euros. De son côté, ArcelorMittal réactive son projet de redémarrage de l’ancienne mine joyau du pays, la Liberian American Mining Company (Lamco), obtenu en 2006.

Juste à côté, la Sierra Leone n’est pas épargnée : Shandong Iron and Steel a annoncé le 13 juillet un investissement de 1,2 milliard d’euros en vue de sécuriser 10 millions de tonnes par an à prix préférentiel, issues du gisement de Tonkolili d’African Minerals. Cette junior minière est dirigée par l’Australo-Roumain Frank Timis, personnage haut en couleur critiqué pour ses exagérations sur les ressources minérales de ses concessions.

Eviter la monoactivité

Jusqu’à présent, l’Afrique ne fournissait que 4 % du fer mondial, mais les experts prévoient que le continent représentera plus de 15 % de la production d’ici dix ans. La Mauritanie, pays leader du continent avec sa Société nationale minière (Snim), ne sera donc plus isolée. La Guinée affiche même l’ambition de devenir le troisième producteur mondial. Le Sénégal n’est pas oublié : il attend la création d’une coentreprise entre l’indien NMDC et ArcelorMittal pour l’exploitation du gisement de Falémé. Dans d’autres régions du continent, des pays riches en fer comme Madagascar (en négociation avec le sidérurgiste chinois Wisco) et le Gabon sont aussi courtisés.

Les gouvernements des pays ouest-africains à fort potentiel sont évidemment enthousiastes : « Cela faisait cinquante ans que nous étions assis sur des gisements sans rien en faire ! Demain, on pourra comparer le fer guinéen au pétrole nigérian, en termes d’apport à l’économie nationale », s’exclamait fin juin Mahmoud Thiam, le ministre guinéen des Mines. Reste à savoir si tous ces mégaprojets annoncés à grand renfort de publicité verront bien tous le jour, survivront aux aléas politiques et profiteront au plus grand nombre. Et si les pays concernés par cette aubaine sauront éviter l’écueil de la monoactivité.

(source : JA. Cliquer pour agrandir.)

 

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