Télécoms : Orange frôle la crise en Afrique
Bousculé par les événements ivoiriens et le Printemps arabe, France Télécom connaît des difficultés au Sénégal et au Kenya également. Mais sa filiale Orange se veut optimiste : ces épiphénomènes ne remettent pas en question son expansion africaine.
L’explication est simple. Au cours du conflit, les installations du groupe français ont été la cible de dizaines d’attaques. Les dégâts et les pertes d’exploitation s’élèveraient à 100 millions d’euros, selon les déclarations faites à l’Union nationale des entreprises de télécommunications (Unetel). Soit près de 60 % des sommes recensées pour le secteur tout entier. Une situation d’autant plus difficile à gérer que ses concurrents ont été relativement épargnés.
Orange : une présence dans 18 pays
La sanction n’a d’ailleurs pas tardé : des milliers d’abonnés sont partis – et partent encore. Du côté de Moov, filiale de l’émirati Etisalat, on estime ainsi pouvoir conquérir 800 000 nouveaux clients en 2011, deux fois plus que les années précédentes. Terrible pour Orange, qui, en plus d’une décennie, a fait de la Côte d’Ivoire son marché le plus important en Afrique subsaharienne (5,5 millions de clients au téléphone mobile fin 2010), devant le Sénégal et le Mali. « Nous avons fait le choix de remonter immédiatement notre réseau, mais nous manquons de bande passante, reconnaît un dirigeant du groupe. Tout ira mieux dans trois ou quatre mois. »
Sueurs froides
L’année 2011 n’aura pas été un long fleuve tranquille pour Orange sur le continent. Sur la rive sud de la Méditerranée, les révolutions arabes ont apporté leur lot de sueurs froides au sein de l’équipe de Marc Rennard, patron de l’opérateur pour la zone Asie, Moyen-Orient et Afrique. Des inquiétudes dont on ne parle pas encore au passé en Égypte, tant la situation politique est toujours instable à l’approche du processus électoral prévu pour s’étaler de novembre 2011 à mars 2012. Les craintes y sont proportionnelles à la taille de Mobinil, leader du marché égyptien avec plus de 30 millions d’abonnés. Son poids dans l’excédent brut d’exploitation du groupe avoisinerait les 4 %. Au deuxième trimestre 2011, ses pertes s’élevaient à 12,6 millions d’euros (contre un gain de plus de 46 millions un an plus tôt).
Au début de l’été, Orange a subi un sérieux boycott infligé par les islamistes.
Outre les effets de la récession économique, Orange a également subi, au début de l’été, un sérieux boycott infligé par les islamistes. En cause : un message relayé sur le réseau social Twitter par Naguib Sawiris, patron d’Orascom Telecom (coactionnaire de Mobinil), représentant Mickey en « barbu » et Minnie en burqa. « Naguib s’est excusé six fois à la télé, mais rien n’y a fait. Plus que Mobinil, c’est lui qui était visé parce qu’il se lance en politique et qu’il est copte. Il n’a même pas de fonction exécutive au sein de l’opérateur », déplore un dirigeant d’Orange. Discret sur les conséquences de ce mouvement, le groupe français admet néanmoins en avoir beaucoup souffert.
Des passe-droits pour Ben Ali ?
Décidément, les partenaires de France Télécom s’avèrent parfois bien encombrants. Ainsi de Marwan Mabrouk, actionnaire majoritaire de la filiale tunisienne d’Orange (51 %), qui ne contrôle plus sa part du capital. Une enquête est actuellement en cours pour déterminer si le gendre de l’ex-président Ben Ali a bénéficié de passe-droits pour obtenir sa licence. Si ce soupçon est confirmé, ses actions seront alors confisquées, sans que l’on sache pour le moment si elles seront in fine revendues sur la place financière de Tunis, cédées à France Télécom ou conservées par l’État.
Officiellement, le groupe français assure que cet imbroglio, qui pourrait être très rapidement résolu, ne nuit pas à sa filiale, dont les opérations ont débuté en mai 2010. « Nous progressons de 10 % par mois et comptons déjà plus de 1 million de clients. Compte tenu de la révolution, le retard sur le plan de marche prévu est peu significatif [entre 10 % et 15 %, NDLR] », affirme un de ses représentants. Mais en coulisses, cette situation est bien sûr jugée très inconfortable.
Loi des séries oblige, aux séismes politiques sont venues s’ajouter quelques déconvenues opérationnelles. Notamment au Kenya, où Orange a subi, comme tous les acteurs du secteur, la guerre des prix lancée en août 2010 par l’indien Bharti. Tenu à son tour de diviser par deux ses tarifs (à partir de 0,02 euro par minute) pour résister à cette offensive, Orange a enregistré un manque à gagner de près de 20 millions d’euros. Une chute du chiffre d’affaires compensée en 2011 par le licenciement de 400 personnes.
Et les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là. En Afrique de l’Ouest, Sonatel, qui pilote depuis Dakar cinq filiales d’Orange dans la région, connaît aussi une période délicate depuis que le président Wade a imposé une taxe sur les appels internationaux entrants. Selon le cabinet de conseil AfricaNext, ce prélèvement pourrait amputer ses revenus de 5 % à 10 %, avec à la clé l’hypothèse d’une année sans croissance. Appuyé par les syndicats et l’opposition – prompte à se saisir des dossiers chauds à la veille de l’élection présidentielle de 2012 -, France Télécom n’entend cependant pas en rester là et multiplie les pressions pour obtenir l’abrogation du décret.
Nouveau venu en RD Congo
Après plusieurs mois de discussions, Élie Girard, directeur de la stratégie et du développement de France Télécom, s’est rendu la semaine dernière en RDC pour finaliser l’acquisition de l’opérateur Congo Chine Télécom (CCT), jusque-là détenu à 51 % par l’équipementier chinois ZTE et à 49 % par Kinshasa. Le groupe français aura au final déboursé l’équivalent de 145 millions d’euros (auxquels il faut ajouter une somme de 52 millions, en partie payée par CCT, pour les licences 2G et 3G). En outre, France Télécom a obtenu, grâce à ZTE, le refinancement de la dette de CCT (130 millions d’euros) par China Exim Bank.
« Malgré sa faible part de marché [CCT est en quatrième position, NDLR], c’est une très bonne affaire. D’ici à deux ans, cette filiale pourrait générer du cash pour le groupe », commente une source proche du dossier. « Nous sommes très satisfaits, confirme Marc Rennard, directeur exécutif chargé de la zone Asie, Moyen-Orient et Afrique. Le pays, avec ses 66 millions d’habitants et un taux de pénétration du téléphone portable de moins de 20 %, a un gros potentiel. » J.C.
Chemin de croix
L’année 2011 ressemble décidément à un véritable chemin de croix pour Orange. À tel point que des rumeurs évoquent la cession de filiales. « Faux », déclare un membre de l’équipe africaine du groupe : « Une revue du portefeuille d’opérations est faite de manière régulière, mais rien n’a été mis en vente. » D’ailleurs, France Télécom maintient les objectifs de croissance dévoilés dans son plan de conquête 2010-2015 : doubler ses revenus dans les pays émergents, notamment en Afrique, pour atteindre 7 milliards d’euros.
Hormis en Côte d’Ivoire (- 14,3 %) et en Égypte (- 3,9 %), la croissance d’Orange dans la zone Asie, Moyen-Orient et Afrique est restée très soutenue (+ 7,8 %) au premier semestre 2011, notamment grâce aux opérations au Maroc, au Cameroun et au Mali. Un optimisme partagé par Guy Zibi, d’AfricaNext : « Certes, les résultats au Kenya ne sont pas fameux. Mais ce pays possède un gros réservoir de croissance, à l’image du Mali, devenu une véritable locomotive en Afrique subsaharienne. En dépit d’une part de marché encore faible [environ 10 %, selon France Télécom], la marque Orange commence à s’installer. » Le pays présente en outre un véritable intérêt en tant que plateforme de distribution des communications internationales vers les pays voisins. Cette activité pourrait y représenter jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires.
Pas question pour France Télécom de ralentir son expansion sur le continent. Le groupe vient d’annoncer l’acquisition de Congo Chine Télécom en RD Congo. Certes, le pays occupe le 178e rang sur 183 dans le classement Doing Business 2012 dressé par la Banque mondiale. Mais pour Orange, la croissance est à ce prix.
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