La Chine face aux dettes africaines : une approche équilibrée et respectueuse
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© En novembre 2020, Sinohydro a terminé la construction du projet hydroélectrique de Kafue Gorge dans sa partie stockage d’eau (Crédits : Powerchina-intl)
Non, les pays africains ne sont pas « piégés » par les prêts chinois. Un type de discours très fréquemment entendu dans les milieux politiques occidentaux est que la Chine, en assurant des financements aux grands projets africains, imposerait des rapports de force qui lui confèrent à terme une domination. La Chine obtiendrait des avantages politiques, économiques et stratégiques par le biais de prêts insoutenables qui constitueraient une sorte de « piège » dont les pays auraient du mal à sortir. Ce discours n’est pas fondé[1]. Plusieurs études internationales indépendantes, comme celles du Rhodium Group ou de China-Africa Research Initiative (CARI) de l’Université Johns Hopkins le confirment et peuvent être consultées à ce sujet.
Les pays africains peuvent choisir parmi plusieurs sources potentielles de financement. Aujourd’hui, ils disposent principalement de quatre canaux : les institutions financières multilatérales internationales, les marchés obligataires européens, les institutions financières privées (notamment les banques commerciales) et le financement bilatéral. Depuis 2006, la croissance des émissions de dette européenne, de dette privée et de dette des banques commerciales a été rapide.
Le marché de la dette européenne est devenu un attrait pour les pays africains en raison des conditions de financement plus avantageuses. Néanmoins, les pays africains ont également été de plus en plus disposés à rechercher des prêts auprès des pays émergents, comme la Chine, en raison de la flexibilité des offres et du pragmatisme des négociateurs.
La Chine manifeste une grande modération tout au long de la gestion des prêts. Par exemple, le changement de régime des pays emprunteurs africains s’accompagne de la révision des règles de la dette, et la Chine choisit souvent d’accepter de nouvelles conditions pour protéger ses prêts et ses relations diplomatiques.
Même s’il s’agit d’un prêt hypothécaire pour des ressources ou des produits de base, la Chine s’abstient d’avoir recours à des moyens coercitifs. Elle demande souvent une intervention d’arbitrage international limitée. Il faut d’ailleurs remarquer que les moyens coercitifs datent plutôt de l’époque coloniale, pratiqués par les puissances occidentales comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France.
© En novembre 2020, Sinohydro a terminé la construction du projet hydroélectrique de Kafue Gorge dans sa partie stockage d’eau (Crédits : Powerchina-intl)
L’étude de Rhodium Group
Un élément intéressant est l’étude systématique sur les prêts chinois conduite par Rhodium Group, la grande société de conseil basée à New York, qui a depuis vingt ans une expertise reconnue sur la Chine, mais aussi l’Inde, les questions énergétiques et climatiques et généralement les grands équilibres mondiaux. Rhodium Group a constaté que malgré sa taille de grande puissance, la Chine fait preuve de modération dans ses négociations[2]
L’agence a étudié près de 40 cas dans 24 pays (dont 13 sont des pays africains) et a constaté que les pays emprunteurs peuvent souvent obtenir des résultats bénéfiques pour eux face aux négociateurs chinois. Parmi les solutions retenues en cas de difficultés, l’allégement de la dette est le recours principal (16 cas), suivi de l’extension de la dette (11 cas), du refinancement (4 cas), de la restructuration de la dette (4 cas) et de la suspension de l’octroi de prêts (4 cas). Les quatre premières catégories (35 cas, soit 90 %) sont évidemment plus avantageuses pour les pays emprunteurs.
En revanche, les quatre cas qui concernaient la suspension de nouveaux prêts étaient concentrés au Venezuela et au Zimbabwe. Cette décision était prise principalement à cause des troubles politiques et des problèmes de mise en œuvre des projets dans les pays hôtes, et non pas parce que la Chine espérait faire pression sur son partenaire en suspendant les prêts. La suspension de l’octroi de nouveaux prêts est l’option la plus contraignante que la Chine puisse prendre, et ce n’est qu’un choix passif dans des conditions extrêmes.
De leur côté, les pays africains peuvent négocier les prix entre différents bailleurs de fonds, et ils peuvent suspendre des projets et même utiliser les relations diplomatiques comme enjeu pour faire pression.
Un exemple : le projet hydroélectrique de Kafue Gorge
Il peut être intéressant d’étudier un exemple : le projet hydroélectrique de Kafue Gorge en Zambie. Il s’agit d’une centrale hydroélectrique à grande échelle qui aura une capacité installée de 750 MW.
Les négociations de financement entre la Zambie et la Chine sur ce projet sont riches d’enseignements[3]. Le gouvernement zambien a lancé le projet au milieu des années 1990. Au début, il espérait utiliser la Banque mondiale et lever des capitaux privés. Cependant, après plusieurs années de négociations, il parvenait à un mémorandum de coopération avec l’Export-Import Bank of China et Sinohydro en 2003.
Dans les années suivantes, pour des raisons internes à la ZESCO (Zambia Electricity Supply Corporation Limited), ce projet a été mis de côté par le gouvernement zambien. Pendant cette période, la ZESCO a également contacté le Japon, l’Inde et des pays occidentaux en vue d’un financement. À partir de 2011, le gouvernement du président Rupiah Banda a de nouveau conclu un protocole d’accord avec la Chine. Le Fonds de développement Chine-Afrique a été retenu pour tous les financements et Sinohydro désigné comme responsable de la construction.
En septembre 2011, après les élections en Zambie, le nouveau gouvernement a immédiatement déclaré qu’il réévaluerait les conditions de financement, les avantages et la gestion du projet, ainsi que les procédures d’exécution. Puis, il a annoncé que le mémorandum signé avec Sinohydro était invalide, et a invité des agences norvégiennes à réévaluer le projet.
Après une série de négociations, le gouvernement zambien a finalement décidé de mettre en œuvre un nouveau modèle de financement de type « construction-exploitation-transfert » (CET) par lequel un propriétaire accepte de construire, financer et exploiter une infrastructure avant de la transférer aux autorités publiques. En tant que propriétaire du projet, la ZESCO a décidé de fournir une partie du financement par le biais de prêts européens, tandis que 85% était assuré par le Fonds de développement Chine-Afrique. Dans le même temps, la ZESCO invitait une société privée norvégienne en tant que consultant technique pour superviser et contrôler le projet. En octobre 2015, la ZESCO et Sinohydro ont signé un contrat d’approvisionnement et de construction (EPC). En 2016, la construction a officiellement commencé. En novembre 2020, Sinohydro a terminé la construction dans sa partie stockage d’eau.
Le cas du projet hydroélectrique de Kafue Gorge est un bon exemple de la façon dont la Chine accepte sans s’opposer les évolutions que peuvent souhaiter les pays africains.
L’étude de la CARI de l’Université John Hopkins
Nombre de discours occidentaux accusent les banques et les entreprises chinoises d’inciter les pays à emprunter pour des projets non rentables afin que la Chine puisse tirer parti de ces dettes pour obtenir des concessions. Deborah Brautigam, directrice de l’Initiative de recherches Chine-Afrique (China-Africa Research Initiative – CARI) de l’Université John Hopkins aux États-Unis, a examiné plus de 3 000 projets d’infrastructure chinois à travers le monde. Elle n’a trouvé aucune preuve à l’appui de ces accusations contre la Chine[4].
Le 23 février 2021, le porte-parole du Ministère chinois des affaires étrangères Wang Wenbin a déclaré[5] : « Si nous décomposons la dette extérieure des pays africains, les institutions financières multilatérales et les créanciers commerciaux détiennent plus des trois quarts du total et assument donc une plus grande responsabilité en matière d’allégement de la dette. Pas un seul pays africain n’avait de difficultés d’endettement en raison de sa coopération avec la Chine. »
Il a poursuivi : « La question de la dette des pays en développement est ancienne et complexe, et la solution fondamentale consiste à aider ces pays à renforcer leurs capacités de développement afin de réaliser une meilleure croissance. La Chine s’est engagée à favoriser un environnement international favorable pour les pays en développement et à réaliser un développement commun grâce à la coopération. » La Chine est aussi prête à continuer de travailler avec la communauté internationale pour la suspension et l’allègement de la dette en Afrique. Il a regretté que « certains sèment la discorde entre la Chine et l’Afrique avec de mauvaises intentions ».
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[1] Zhou Yuyuan, « La théorie du piège de la dette chinoise est non fondée », le 28 février 2021, http://www.china.com.cn/opinion2020/2021-02/28/content_77256496.shtml.
[2] Agatha Kratz, Allen Feng & Logan Wright, « New Data on the “Data Trap” Question », Rhodium Group, April 29, 2019, https://rhg.com/research/new-data-on-the-debt-trap-question, 2019-10-20.
[3] Peter Bossshard. « Zambia: From the World Bank to China and Back », International Rivers, March 11, 2008, https://www.internationalrivers.org/blogs/227/zambia-from-the-world-bank-to-china-and-back, 2019-10-25. Arve Ofstad & Elling Tjonneland, « Zambia’s Looming Debt Crisis – Is China to Blame? », CMI Insight, June 2019.
[4] Deborah Brautigam, « Misdiagnosing the Chinese Infrastructure Push », The American Interest, le 4 avril 2019, https://www.the-american-interest.com/2019/04/04/misdiagnosing-the-chinese-infrastructure-push/.
[5] Ministère chinois des affaires étrangères : #0000ff" href="https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/xwfw_665399/s2510_665401/t1856125.shtml/">https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/xwfw_665399/s2510_665401/t1856125.shtml/.