Relation Chine-Afrique : chemin de fer Tanzanie-Zambie et aide chinoise

La ligne ferroviaire entre la Zambie et la Tanzanie symbolise la longévité de la coopération entre la Chine et l’Afrique. Retour sur cette aide historique chinoise.

© La construction du chemin de fer Tanzanie-Zambie avec l’aide chinoise (photo : People.cn)

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Le chemin de fer Tanzanie-Zambie : une aide historique chinoise face aux conceptions occidentales

Construite dans les années 1970, la ligne ferroviaire entre la Zambie et la Tanzanie est entrée dans l’histoire des chemins de fer mondiaux. Elle symbolise à la fois la longévité de la coopération entre la Chine et l’Afrique, les différences avec les conceptions occidentales de l’aide au développement, les défis des transports au sein du continent africain. Un livre passionnant de l’universitaire Chen Xiaochen retrace cette histoire.

« À la recherche de l’Afrique – La mémoire de la Chine sur les rails » de Chen Xiaochen[1] est un livre appuyé à la fois sur des archives et de précieux matériaux historiques et sur des enquêtes de terrain de première main qui permettent de comprendre la grande aventure économique et humaine que fut la construction de cette ligne légendaire[2].

Il offre un point d’entrée tout à fait unique : quel rôle direct ou indirect ont joué les pays occidentaux pour aider ou contrecarrer la construction et l’exploitation de ce chemin de fer destiné à ouvrir au commerce mondial, via le littoral de la Tanzanie, un pays enclavé comme la Zambie.

 © À la recherche de l’Afrique – La mémoire de la Chine sur les rails de Chen Xiaochen (photo : People.cn)

© À la recherche de l’Afrique – La mémoire de la Chine sur les rails de Chen Xiaochen (photo : People.cn)

Image 1 : À la recherche de l’Afrique – La mémoire de la Chine sur les rails de Chen Xiaochen (photo : People.cn)

La Southern line des Britanniques, un prétexte pour ne rien faire

Au nord de la Zambie, il existe une « ceinture de cuivre » d’une longueur de 220 km et d’une largeur de 65 km, qui est le plus grand gisement de cuivre sédimentaire au monde. Cette « ceinture de cuivre » a donné son nom à la province de Copperbelt. Les réserves locales s’élèvent à 1,2 milliard de tonnes, soit 25 % du total mondial. Les mines de cuivre ne sont pas seulement riches, mais aussi de haute qualité.

Dans les années 1960, l’Afrique du Sud et la Rhodésie du Sud (aujourd’hui le Zimbabwe) étaient toutes deux des régimes d’apartheid, dominés par les minorités blanches, en opposition déclarée à la Zambie. De ce fait, la route d’exportation des minerais de cuivre vers le sud était bloquée. En outre, l’Angola et le Mozambique, qui bordent la Zambie des deux côtés est et ouest, étaient encore à l’époque des colonies portugaises. Du côté atlantique, l’Afrique du Sud-Ouest (aujourd’hui la Namibie) était sous le contrôle du régime ségrégationniste sud-africain.

Ainsi entourée de colons occidentaux hostiles, la Zambie était alors connue comme un « pays frontière » avec toute l’Afrique australe. La Rhodésie du Sud lui imposait un blocus complet, en interdisant l’entrée de carburants et de matériaux et en imposant des péages élevés sur les marchandises entrantes et sortantes.

Comment casser ce difficile jeu géopolitique ? Kenneth Kaunda, président de la Zambie à partir de 1964, se tourna alors vers son seul voisin ami, la Tanzanie, sur sa frontière nord-est. Si un chemin de fer pouvait être construit entre les mines de cuivre du nord de la Zambie et le port de Dar es Salaam en Tanzanie, le problème de l’exportation pourrait être résolu. En outre, le renforcement des liens stratégiques avec la Tanzanie et l’accès à l’océan Indien confortait la position politique de la Zambie.

C’est ainsi que la Tanzanie et la Zambie envisagèrent ensemble la construction du chemin de fer. Cependant, les deux pays manquaient de fonds et de technologie, ce qui rendait impossible de le faire par eux-mêmes. Les deux présidents, le tanzanien Julius Nyerere et Kaunda, ont donc demandé l’aide de l’Occident, puis de l’Union soviétique. Mais Ils se sont heurtés à un mur. Les Britanniques faisaient valoir que, puisque le « Southern Line Railway » construit par eux existait déjà, il n’était pas nécessaire de construire la ligne Tanzanie-Zambie. Les Américains se méfiaient de Nyerere, craignant qu’il ne soit « un agent du camp communiste en Afrique ». Les Soviétiques, de leur côté, avaient une rhétorique encourageante mais sans accorder des aides concrètes. La Tanzanie et la Zambie se sont alors tournées vers la Chine.

La construction de la ligne Tanzanie-Zambie (TAZARA railroad en anglais[3]) commence en 1970 et la ligne est ouverte en 1976. Des dizaines de milliers d’ouvriers chinois et africains réalisent un travail colossal, dans des zones largement inhabitées. Le coût total atteint 500 millions de dollars (3 milliards d’euros actuels), largement assuré par la Chine.

La « Great North Road » des Américains

Dans les années 1980, la scène internationale et la configuration de la région africaine ont subi des changements majeurs. Les économies de la Tanzanie et de la Zambie étaient dans une situation désespérée, l’aura des « Pères de la Nation » s’était estompé et des appels au changement politique ont émergé. Les deux présidents fondateurs du chemin de fer Tanzanie-Zambie vont bientôt céder le pouvoir politique successivement.

La production des mines de cuivre de la Zambie a diminué de manière significative au cours de cette période. La production annuelle est passée de centaines de milliers de tonnes pendant la période d’indépendance à des dizaines de milliers de tonnes. Le chemin de fer Tanzanie-Zambie, dont la vitalité dépendait de la production de cuivre de la Zambie, a perdu son rôle.

En 1980, le régime blanc en Rhodésie du Sud est tombé, et Robert Mugabe devient le nouveau Premier ministre. Le pays indépendant est rebaptisé Zimbabwe. À la fin des années 1980, l’apartheid en Afrique du Sud a également commencé à se relâcher. En 1989, le chemin de fer Zambie-Afrique du Sud (le « Southern Line Railway » des Britanniques) a été rouvert, ce qui a permis aux minerais de cuivre de la Zambie de voyager vers le sud jusqu’au port de Durban ou d’autres ports sud-africains. L’émergence de concurrents a donc réorienté l’exportation de marchandises de la Zambie, ce qui est un coup dur pour le chemin de fer Tanzanie-Zambie.

En plus, il existe également des concurrents dans le sens de l’importation. Afin d’étendre leur influence en Afrique, tout en cherchant à gagner la Guerre froide, les États-Unis construisent la « Great North Road » en Tanzanie, de Dar es Salaam à la ville méridionale de Makambako, presque en même temps que la Chine aidait à la construction du chemin de fer Tanzanie-Zambie. Bien que le volume de trafic routier soit faible, ce mode de transport est plus flexible. Le Japon, lui aussi, élargissait activement son marché en Afrique, en vendant de nombreuses voitures d’occasion de fabrication japonaise, y compris en Tanzanie. En conséquence, les voitures japonaises circulaient sur des routes construites par les Américains, détournant ainsi une grande partie de la demande de fret de Dar es Sam.

 © La construction du chemin de fer Tanzanie-Zambie avec l’aide chinoise (photo : People.cn)

© La construction du chemin de fer Tanzanie-Zambie avec l’aide chinoise (photo : People.cn)

« L’économie de marché ferroviaire » de Jamie Monson

L’auteur de À la recherche de l’Afrique – La mémoire de la Chine sur les rails a rencontré de nombreux obstacles lors de ses entretiens le long du chemin de fer Tanzanie-Zambie, et beaucoup d’interlocuteurs n’étaient pas disposées à coopérer. L’auteur a donc présenté son amie : Jamie Monson. En apprenant que l’auteur était un ami de Jamie Monson, de nombreux Tanzaniens ont commencé à discuter avec lui.

Il est important de consacrer quelques lignes à cette personnalité « magique »[4], qui est indissociable de la saga de la ligne Zambie-Tanzanie. Cette professeure américaine a travaillé sur la TAZARA depuis près de 30 ans. A l’époque, Jamie Monzon préparait une thèse de doctorat à l’Université de Stanford et voulait étudier l’impact de l’Allemagne (qui a colonisé la Tanzanie) sur le développement économique du sud de la Tanzanie. Elle a vite découvert que, depuis l’indépendance de la Tanzanie, ce ne sont pas les Allemands ou les Britanniques qui ont stimulé l’économie locale, mais les Chinois et le chemin de fer Tanzanie-Zambie. Après des années d’enquêtes sur le terrain, elle a énoncé un concept original : « l’économie de marché ferroviaire », c’est-à-dire des transactions de produits de base de faible valeur sur de courtes distances réalisées de façon créative par les populations locales le long du chemin de fer. Ces activités ont aidé des gens ordinaires à sortir de l’extrême pauvreté. Elle a également étudié les changements d’utilisation des terres avant et après l’ouverture du chemin de fer, en constatant que de 1975 (l’année précédant l’ouverture de la TAZARA à la circulation) à 2001, la superficie des terres arables dans la région de Kirombero est passée d’environ 350 kilomètres carrés à environ 1 250 kilomètres carrés, avec un taux d’utilisation passant de 8% à 27 %. Cela montre que l’augmentation des terres arables est plus rapide que l’augmentation de la population, ce qui assure la nourriture et l’habitation des habitants locaux le long du chemin de fer.

 © La construction du chemin de fer Tanzanie-Zambie avec l’aide chinoise (photo : People.cn)

© La construction du chemin de fer Tanzanie-Zambie avec l’aide chinoise (photo : People.cn)

La « prescription » inefficace des pays occidentaux

Lorsque la Tanzanie a ouvert ses portes, les pays occidentaux sont revenus dans le pays en tant qu’acteurs d’« aide au développement », et sont intervenus dans la gestion du chemin de fer Tanzanie-Zambie. En 1990, les bailleurs de fonds occidentaux, représentés par les États-Unis et la Communauté européenne, ont envoyé une lettre à la TAZARA, avertissant : « Si le chemin de fer Tanzanie-Zambie souhaite survivre, il doit subir des réformes substantielles dès que possible, sinon nous ne pourrons pas prévoir son plan de financement dans l’avenir. » Pour les pays occidentaux, la « réforme » consistait à la commercialisation et à la réduction des coûts.

En 1992, le « Rapport de recherche sur la commercialisation du chemin de fer Tanzanie-Zambie » a été publié en tant que « prescription » pour la TAZARA dans le but d’des aides occidentales. L’un des éléments essentiels de cette « prescription » est le contrôle des coûts. Pour ce faire, le rapport propose un plan pour que deux succursales deviennent des centres de profits semi-automatiques. En 1995, le programme de commercialisation est officiellement lancé. Le principe de commercialisation est sans doute une bonne idée pour sortir la TAZARA de sa situation difficile. Cependant, pour diverses raisons complexes, les mesures n’ont pas été pleinement mises en œuvre.

En fait, le programme de commercialisation dirigé par l’Occident a ses propres problèmes : l’idée d’avoir deux succursales comme centres de coûts distincts renforce plutôt qu’il n’affaiblit le rôle des deux bureaux. En conséquence, jusqu’à aujourd’hui, les deux succursales ont un grand nombre de personnel redondant. Lors du déclenchement de la commercialisation, le système de transport a été divisé en trois secteurs : passagers, fret et opérations. Les trois départements ont tous le pouvoir de donner des instructions aux chefs de gares. Du coup, pour les chefs de gares, il y a trois autorités supérieures qu’il faut écouter, ce qui sème souvent la confusion dans le commandement.

En réponse à la commercialisation proposée par l’Occident, le China Railway Expert Group a proposé un ensemble d’idées de réforme complètement différentes : l’important consiste à se concentrer sur l’amélioration des services et l’augmentation des revenus, plutôt que de réfléchir « désespérément » à la manière de réduire les coûts. En termes de plans spécifiques, les Chinois se sont inspirés des réformes nationales de l’époque en adoptant un système de responsabilité contractuelle, établissant un système solide de récompenses et de sanctions, tout en mobilisant l’enthousiasme des managers. Cependant, l’avis des experts chinois n’a pas été retenu.

La « prescription » de la Banque mondiale

Comme le plan de commercialisation n’a pas été mis en œuvre et que le plan de réformes a des problèmes, la TAZARA n’a pas pu se sortir de sa situation difficile. En 2004, la Banque mondiale a chargé PricewaterhouseCoopers (PWC) de fournir des conseils. En 2005, PwC a soumis un rapport de consultation qui est essentiellement financier. Les solutions apportées peuvent se résumer en une phrase : la franchise, pour économiser les coûts. En fait, le franchisage signifie la privatisation, ce qui donne des opportunités au capital étranger. Cependant, cette solution impliquerait beaucoup de négociation politique et prendrait énorme de temps. En plus, d’un point de vue bureaucratique, les fonctionnaires à tous les niveaux ne veulent pas être écartés pour faire des économies. Seule l’abolition de gares peut se faire dans la période actuelle en économisant de l’argent immédiatement. Ainsi, dans la mise en œuvre du plan de PwC, la réduction des coûts est devenue synonyme de « suppression de gares ».

Après tout, la Chine « a bien joué » ?

Aka Lewanika, l’ancien chef de l’administration des chemins de fer de Tanzanie, a déclaré à l’auteur que lorsque la TAZARA a été construit, les Occidentaux se sont moqués du projet, disant que le chemin de fer avait été construit dans la mauvaise direction et devrait être construit vers l’Ouest, menant à l’Europe et aux États-Unis. Il semble maintenant que le chemin de fer vers l’Est, qui mène à l’océan Indien, soit pertinent, car il répond aux besoins de développement rapide de l’Asie de l’Est. L’aide chinoise à la construction du chemin de fer Tanzanie-Zambie reflétait bien la vision diplomatique de l’ancien Premier ministre chinois Zhou Enlai tournée vers l’avenir.

La TAZARA aide l’économie chinoise, non seulement dans le transport du minerai de cuivre, mais aussi dans l’effet de communication. Depuis les années 2010, les entreprises chinoises ont accéléré le rythme de l’internationalisation, dont l’Afrique est une destination importante. L’investissement en Afrique repose souvent sur de bonnes relations politiques. On peut dire que le chemin de fer Tanzanie-Zambie, en tant que symbole de l’aide de la Chine à l’Afrique, a ouvert la porte aux entreprises chinoises pour investir dans le continent africain.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions de People.cn.

[1] CHEN Xiaochen (陈晓晨),  À la recherche de l’Afrique – La mémoire de la Chine sur les rails (《寻路非洲:铁轨上的中国记忆》), Maison d’éditions de l’Université du Zhejiang, 2014. Chen Xiaochen a été journaliste principal du China Business News Daily, au cours duquel il a cofondé le China Business News China Strategic Think Tank. Il est actuellement directeur adjoint exécutif du Centre de recherche sur l’Asie et le Pacifique de l’Université normale de Chine orientale et vice-président de la branche des études sur les îles du Pacifique de la China Pacific Society.

[2] Cet article est basé sur la note de lecture de YU Jia (于佳) « Notes de lecture : Le chemin de fer de Tanzanie-Zambie, le plus grand projet d’aide de la Chine à l’Afrique, qu’a fait l’Occident ? » (《读书笔记:中国援非最大项目坦赞铁路,西方做了些什么?》), publié le 1e mai 2022, disponible sur : https://mp.weixin.qq.com/s/lhPE9AsctCUGB7bufFn6yw.

[3] Ou encore Uhuru Railway (Liberté en Swahili) ou Tanzam Railway

[4] Pour connaître les écrits de Jamie Monson sur la TAZARA, voir ce lien #0000ff" href="https://www.jstor.org/stable/26264836" target="_blank" rel="noopener noreferrer">https://www.jstor.org/stable/26264836.

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