Relations internationales : la 5G en Ethiopie, Huawei gagne l’appel d’offres

L’équipementier du futur service 5G en Ethiopie est Huawei qui a été la cible d’attaques ouvertes des États-Unis. Une longue bataille. Retour sur cette saga.

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La filiale éthiopienne du Centre d’études sur le commerce Chine-Afrique (photo : People.cn)

L’appel d’offres 5G de l’Éthiopie : Huawei a le dernier mot !

Le 9 mai, Ethio Telecom, l’opérateur public de télécommunications en Éthiopie, a annoncé qu’il lancerait le test de service pré-commercial du réseau 5G[1], d’abord dans 6 zones de la capitale Addis-Abeba, puis plus largement dans le pays. L’équipementier du futur service 5G est Huawei, qui a été la cible d’attaques ouvertes des États-Unis. Cela a été une longue bataille, de plus d’un an, après des appels d’offres aux multiples rebondissements. Retour sur cette saga[2].

Bien que Huawei soit un acteur du marché éthiopien des télécommunications depuis plus de 20 ans, le processus de participation à la construction de la 5G en Éthiopie n’a pas été sans heurts pour le groupe chinois. Il y a un an, Huawei était presque « isolé » parce que les capitaux occidentaux avaient remporté l’appel d’offres : un consortium anglo-américano-japonais avait battu une société sud-africaine qui coopérait avec le Silk Road Fund de Chine. L’agence gouvernementale américaine derrière ce consortium avait spécifiquement appelé à ce que Huawei ou ZTE (tous les deux opérateurs chinois) soient écartés dans le choix des équipements.

L’histoire commence le 20 avril 2021. Le média spécialisé de l’industrie des télécommunications Capacity Media a rapporté ce jour-là que Huawei avait remporté le contrat de promotion des services 4G d’Ethio Telecom[3]. Dans cet article, deux éléments étaient très importants :

  1. Ethio Telecom, selon son PDG cité par le journal Ethiopian Herald, prévoyait de lancer des services 5G en 2022.
  2. Le monopole d’Ethio Telecom devrait être rompu dans les prochains mois : le régulateur avait même fixé à quelques jours la date limite de dépôt des demandes de deux nouvelles licences télécoms.

Selon Capacity Media, deux groupes avaient l’intention de demander de nouvelles licences de télécommunications. L’un était un groupe de sociétés de télécommunications dirigé par le consortium britannique Vodafone, dont les partenaires sont deux membres du consortium en Afrique : l’opérateur de télécommunications kenyan Safaricom et l’opérateur de télécommunications sud-africain Vodacom. L’autre groupe est le plus grand opérateur de télécommunications sud-africain MTN qui est un client de longue date de Huawei et de ZTE.

Cependant, cette procédure commerciale apparemment ordinaire est rapidement entrée dans des turbulences politiques.

La vente de la première licence

En mai 2021, la première nouvelle licence de télécommunications éthiopienne a été remportée par le consortium Vodafone. « Un consortium soutenu par les États-Unis a gagné la nouvelle licence, en battant un groupe financé par la Chine »[4], commentait le Wall Street Journal. Il s’est avéré qu’outre Safaricom et Vodacom, les partenaires du groupe Vodafone Consortium comprenaient également le fonds de capital-risque du gouvernement britannique CDC Group, la société japonaise Sumitomo Corporation et la United States International Development Finance Corporation (DFC). La dernière, agence créée en décembre 2019 et financée par le gouvernement américain, a apparemment comme objectif de fournir une « alternative » à la Chine dans les grands projets d’infrastructure étrangers.

La DFC était prête à fournir au consortium Vodafone des milliards de dollars de financement et à les aider à acheter des équipements auprès de fournisseurs non chinois et plus chers, tels qu’Ericsson, Nokia ou Samsung à des taux bien inférieurs aux banques commerciales. Bien sûr, la DFC a également précisé que les fonds ne peuvent pas être utilisés pour acheter l’équipement de télécommunications de Huawei ou de ZTE. L’article du Wall Street Journal estime qu’il s’agit d’une tentative des États-Unis d’utiliser de nouveaux outils financiers pour gagner en influence et s’assurer que les actifs stratégiques dans les pays étrangers soient entre les mains d’alliés.

De plus, l’Éthiopie confiera au consortium Vodafone la construction d’un réseau sans fil compatible 5G à travers le pays. Bloomberg a rapporté qu’avec le soutien solide de DFC, le consortium Vodafone s’est engagé à investir 8,5 milliards de dollars américains dans les réseaux éthiopiens au cours des 10 prochaines années, dont 850 millions de dollars américains en frais de licence[5]. En même temps, le sud-africain MTN a soumis, en coopération avec le chinois Silk Road Fund, une offre de 600 millions de dollars.

Selon Capacty media, le gouvernement éthiopien avait l’intention de vendre une autre licence de télécommunications, la mise en vente devant commencer après l’ajustement de la procédure.

Cependant, avant que le gouvernement éthiopien ne vende la nouvelle licence de télécommunications, quelque chose s’est passé au sein du consortium Vodafone.

Le retour en arrière des promesses de l’agence américaine DFC

Bloomberg a rapporté, deux jours après la « bonne nouvelle » du Wall Street Journal, que la DFC avait décidé de suspendre ses investissements en Éthiopie en raison de l’escalade du conflit armé dans le pays[6].

Rappelons qu’en novembre 2020, Abiy Ahmed, lauréat du prix Nobel de la paix et Premier ministre éthiopien, avait envoyé des troupes dans la région du Tigré, la plus septentrionale du pays, pour renverser le Front de libération du peuple (FLPT). Bien que les forces gouvernementales aient d’abord annoncé des succès et la prise de la capitale de la région, Merkel, leur situation s’est rapidement détériorée. En mai 2021, Al Jazeera a déclaré que le FLPT avait repris le contrôle de Merkel avant d’avancer vers les régions voisines de l’Amhara et de l’Afar, à environ 300 km de la capitale Addis-Abeba[7]. Les forces du FLPT se sont également alliées aux rebelles de l’Armée de libération de l’État régional d’Oromo, qui menace Addis-Abeba depuis le sud et l’ouest. En novembre 2021, la situation a commencé à s’inverser, et le FLPT a annoncé un retrait le mois suivant. Actuellement, les deux parties ont suspendu les combats.

Bloomberg a rapporté que les États-Unis allaient imposer des sanctions économiques en Éthiopie afin de mettre fin au conflit armé[8]. Dans ce contexte, les milliards de dollars de la DFC devenaient des « inconvénients ». Même les fonds de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international allaient être affectés, et une personne de la DFC proche du dossier a déclaré que l’agence américaine attendait des instructions de l’administration Biden. Le consortium Vodafone avait prévu un prêt de 500 millions de dollars de la DFC pour aider à couvrir les coûts d’acquisition et de développement du réseau de télécommunications. Une fois que la DFC aura retiré ses fonds, le consortium Vodafone devrait trouver de l’argent ailleurs à un coût plus élevé.

Ainsi, un an après le démarrage de l’affaire, la situation a complètement changé : Safaricom Ethiopia, filiale du consortium Vodafone en Éthiopie, gênée par les restrictions des capitaux occidentaux, a choisi Huawei et Nokia comme fournisseurs d’équipements de réseau mobile en Éthiopie.

Un double succès pour Huawei

Selon un article de Capacity Media du 7 mars 2022[9], Nokia fournira des services de couverture réseau dans la capitale Addis-Abeba, et Huawei fournira des services pour le reste du pays. Le directeur des affaires extérieures de Safaricom Ethiopia a déclaré que la sélection de Huawei avait été approuvée par le gouvernement éthiopien et les actionnaires de Safaricom Ethiopia. L’article souligne que le principal actionnaire de Safaricom Ethiopia est Safaricom Kenya, qui détient 55,7 % des actions. Viennent ensuite la Sumitomo Corporation (27,2 %), le CDC Group au Royaume-Uni (10,9 %) et Vodacom en Afrique du Sud (6,2 %). Parmi eux, Safaricom Kenya a annoncé en mars 2021 qu’il coopérerait avec Nokia et Huawei.

Mais un mois plus tard, Safaricom Ethiopia a raté le délai pour lancer son service web, sans donner de nouvelles dates. Selon l’article de Capacity Media du 12 avril 2022[10], Safaricom Ethiopia avait initialement prévu de lancer son service réseau le 9 avril, mais rien ne s’est passé ce jour-là. En plus, le site Web de l’entreprise est également tombé en panne, et ses comptes de médias sociaux n’ont pas mentionné la nouvelle date de lancement du service.

Jusqu’à présent, Safaricom Ethiopia a dépensé 1 milliard de dollars sur son plan de 8,5 milliards de dollars sur 10 ans, pour couvrir 25% de la population éthiopienne un an après la mise en service de son service. Mais la stagnation de Safaricom Ethiopia a sans aucun doute donné au concurrent, Ethio Telecom, l’opportunité de continuer à se développer. En tant qu’entreprise publique, Ethio Telecom compte plus de 60 millions d’utilisateurs et détient toujours le monopole de l’industrie éthiopienne des télécommunications. L’article a également indiqué qu’Ethio Telecom a lancé son propre service de paiement mobile, Telebirr, qui compte actuellement 13 millions d’utilisateurs avec la valeur de transaction totale de 103 millions de dollars.

Selon un article de Reuters du 9 mai 2022[11], le gouvernement éthiopien a initialement lancé en juin 2021 le processus d’appel d’offres pour vendre une participation de 40 % dans Ethio Telecom à des investisseurs privés. Mais en mars 2022, le gouvernement a déclaré que la privatisation partielle prévue avait été retardée en raison de l’environnement économique intérieur et extérieur. En outre, le gouvernement éthiopien avait suspendu l’appel d’offres prévu en décembre 2021 pour la deuxième licence de télécommunications, en déclarant qu’un nouveau tour d’appel d’offres serait relancé dans un « avenir proche ».

Jusqu’à présent, que ce soit l’entreprise publique Ethio Telecom qui a remporté la première place et annoncé son test de service pré-commercial du réseau 5G, ou la société privée éthiopienne Safaricom qui a raté la date de lancement, tous ont choisi l’équipement Huawei pour promouvoir leur activité 5G.

La mise en cause par la sous-secrétaire d’État américaine

Le 5 mai 2022, la sous-secrétaire d’État américaine Wendy Sherman a rendu visite à Africell, une société de télécommunications financée par les États-Unis, lors de sa visite en Angola. Elle a tweeté : « Today in Luanda, I visited @AfricellAo, an innovative, state-of-the-art U.S. company expanding 5G access in Angola with trusted technology components. » Pendant la conférence de presse, comme on lui demandait si son tweet visait Huawei, Sherman a déclaré : « It’s not about throwing shade on Huawei.  We’ve been very direct.  We believe that when countries choose Huawei, they are potentially giving up their sovereignty.  They are turning over their data to another country.  They may find themselves bringing in a surveillance capability they didn’t even know was there.[12]»

 © Tweet de la sous-secrétaire d’État américain Sherman.

© Tweet de la sous-secrétaire d’État américain Sherman.

En réponse, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a répondu le 9 mai que les entreprises chinoises, dont Huawei, avaient mené une coopération positive et mutuellement bénéfique avec les pays africains et de nombreux autres pays dans le monde, ce qui a efficacement favorisé l’amélioration et le développement des infrastructures de communication locales[13]. Il a ajouté que les acteurs chinois ont fourni des services avancés, de haute qualité, sûrs et bon marché, qui sont généralement bien accueillis, tout en soulignant qu’au cours du processus de coopération, il n’y a pas eu un seul incident de cybersécurité ou comportement de surveillance.

Zhao Lijian a déclaré que « le gouvernement chinois prend clairement position contre l’abus des technologies de l’information pour mener une surveillance de masse sur d’autres pays ». Dans l’‘Initiative mondiale sur la sécurité des données’ (Global Initiative on Data Security) proposée par la Chine, la Chine a explicitement appelé les entreprises de technologies de l’information à ne pas mettre en place de portes dérobées dans leurs produits et services. Il a souligné que les pays ne devraient pas obtenir directement des données d’entreprises ou d’individus situés dans d’autres pays. « Si les États-Unis se soucient vraiment de la sécurité des données, a-t-il dit, ils peuvent publiquement soutenir cette initiative chinoise, en prenant des engagements similaires lors de la promotion des entreprises et des produits américains ». « Je tiens également à souligner que c’est aux pays et aux peuples africains de choisir avec qui coopérer, et ce n’est pas aux États-Unis de dicter leur choix », a conclu Zhao Lijian.

[1]« Ethio Telecom switches on ‘pre-commercial’ 5G, with Huawei », le 9 mai 2022, disponible sur : https://www.capacitymedia.com/article/2a2q64bulkcz0zeydzpc0/news/ethio-telecom-switches-on-pre-commercial-5g-with-huawei.
[2] Cet article est basé sur l’article « Bataille 5G en Éthiopie : il y a un an, Western United Capital a remporté l’appel d’offres pour bloquer explicitement Huawei, et maintenant Huawei contre-attaque » (《埃塞俄比亚5G之争:一年前西方联合资本中标明确封杀华为,如今华为逆袭》), rédigé par Li Huanyu (李焕宇), publié le 13 mai 2022, disponible sur : https://baijiahao.baidu.com/s?id=1732720450354845647&wfr=spider&for=pc.
[3] « Ethio Telecom expands 4G with Huawei, plans 5G for 2022 », le 20 avril 2021, disponible sur : https://www.capacitymedia.com/article/29otd15ias3ir9erbrm68/news/ethio-telecom-expands-4g-with-huawei-plans-5g-for-2022.
[4] « U.S.-China Tech Fight Opens New Front in Ethiopia », publié le 22 mai 2021, disponible sur : https://www.wsj.com/articles/u-s-china-tech-fight-opens-new-front-in-ethiopia-11621695273.
[5] « Ethiopia Awards New Telecoms License to Vodafone consortium », publié le 23 mai 2021, disponible sur : https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-05-22/ethiopia-awards-new-telecoms-license-to-vodafone-consortium.
[6] « US Sanctions Muddle Vodafone Funding for Ethiopian Entry », publié le 24 mai 2021, disponible sur : https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-05-24/u-s-sanctions-complicate-vodafone-funding-for-ethiopia-entry.
[7] « Ethiopia to designate TPLF, OLF-Shene as ‘terror’ groups », publié le 1 mai 2021, disponible sur : https://www.aljazeera.com/news/2021/5/1/ethiopia-to-designate-tplf-olf-shene-as-terror-groups<.
[8] « U.S. Weighs Financial Sanctions Against Ethiopia Over Tigray war », publié le 22 mai 2022, disponible sur : https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-05-22/u-s-weighs-financial-sanctions-against-ethiopia-over-tigray-war.
[9] « Exclusive: Safaricom picks Huawei and Nokia for Ethiopia network », publié le 7 mars 2022, disponible sur : https://www.capacitymedia.com/article/29u7m8hdsj6tevumofpq8/news/exclusive-safaricom-picks-huawei-and-nokia-for-ethiopia-network.
[10] « Ethiopian mystery as Safaricom misses launch deadline », publié le 12 avril 2022, disponible sur : https://www.capacitymedia.com/article/29yhuif7kk68ds28gf0g0/news/ethiopian-mystery-as-safaricom-misses-launch-deadline.
[11] « Ethiopia’s state telecom launches 5G services in capital », publié le 9 mai 2021, disponible sur : https://www.reuters.com/business/media-telecom/ethiopias-state-telecom-launches-5g-services-capital-2022-05-09/.
[12] « Digital Briefing with Deputy Secretary of State, Wendy Sherman », publié le 6 mai 2022, disponible sur : https://www.state.gov/digital-briefing-with-deputy-secretary-of-state-wendy-sherman/.

[13] « Le porte-parole du Ministère chinois des Affaires étrangères Zhao Lijian a tenu une conférence de presse régulière le 9 mai 2022 », publié le 9 mai 2022, disponible sur : https://www.mfa.gov.cn/web/fyrbt_673021/jzhsl_673025/202205/t20220509_10683545.shtml.

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