« Adieu à Wall Street ! Depuis dix ans, je démarre une entreprise WiFi en Afrique » (partie II)

Zhou Tao fournit des services de réseau à des utilisateurs kényans à moins d’un dixième du coût des opérateurs locaux. Découvrez son parcours d’entrepreneur dans la WiFi en Afrique.

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Cela fait quatre ans que Zhou Tao s’est installé en Afrique, et deux ans que son projet a démarré. Zhou Tao fournit des services de réseau à 200 000 utilisateurs kényans à moins d’un dixième du coût des opérateurs locaux. Il a une équipe d’environ 200 personnes, avec seulement cinq ou six ressortissants chinois, le reste étant des jeunes locaux. Nous reproduisons ici la deuxième partie de notre entretien avec Zhou Tao [1].

Parmi les 200 employés de votre entreprise, seuls cinq ou six sont chinois, ce qui montre que l’effectif local est très important. Quelle est votre expérience de la gestion du personnel africain ?

Sur ce sujet, j’ai beaucoup de choses à dire. Au début de notre projet, les très rares employés que nous avions recrutés localement nous avaient posé des problèmes. Nous avions du mal à les retenir. Donc J’ai été obligé de changer la stratégie.

D’après ce que j’observe, au Kenya, les élites locales ou les « cols blancs » hautement qualifiés sont généralement plus réceptifs aux idées et à la culture occidentales. Mais ce contexte de travail qui prévalait au début du projet a beaucoup évolué. Maintenant, notre effectif est principalement recruté dans des communautés locales. Nous ne demandons pas de niveaux d’éducation très élevés, surtout pour le personnel de vente et le personnel de construction des infrastructures, dans la mesure où nous leur assurons des formations systématiques précises, selon le poste de chacun.

Pourquoi recrutons-nous désormais dans les communautés ? Cela est lié à la nature de notre projet et de nos clients. Notre projet vise des communautés d’habitants à faibles revenus, avec un niveau d’éducation souvent peu élevé. Ce genre de communautés présente des traits socioculturels bien spécifiques. Si l’on veut fournir des services de réseaux efficaces à ces communautés, il faut s’appuyer sur des personnels locaux, surtout des jeunes.

Le chômage est plus élevé pour les habitants à faible revenu dans ces communautés. Nous leur offrirons des opportunités d’emploi en contribuant au développement des quartiers où ils résident. Cela permet aussi de renforcer notre responsabilité sociale et d’accroître notre influence. Je pense que c’est une bonne voie à suivre.

Quant à la question de la gestion du personnel, il faut avouer que c’est un défi pour les Chinois de travailler avec des employés d’une autre culture. Mais je pense que, dans un cadre éthique commun, en démontrant une attitude professionnelle diligente, on peut créer un environnement positif de travail.

Permettez-moi de donner un exemple. On dit que les employés africains ne veulent pas faire d’heures supplémentaires. En fait, nos vendeurs finissent souvent une réunion le matin à huit ou neuf heures, puis font du porte-à-porte chez des clients potentiels dans les quartiers, et enfin s’occupent des services de support ou de maintenance le soir. Je reçois même souvent des e-mails de nos commerciaux envoyés vers minuit !

Comment arrivez-vous à un tel résultat ?

En fait, dès le début, nous n’avions pas le concept d’heures supplémentaires. Notre intention initiale était de bien servir nos clients. Les personnes que nous recrutons dans les communautés sont souvent de la même race ou tribu, avec un sens fort de la solidarité. Par conséquent, nous proposons une coopération très étroite entre l’équipe de construction et l’équipe de maintenance, pour que les deux parties coopèrent dans l’amélioration de la qualité du travail. Et puis, l’équipe de construction et l’équipe de maintenance rendent aussi service à l’équipe de vente. C’est ainsi que la commercialisation peut se dérouler avec une grande efficacité.

En plus, tous les membres de notre société, y compris le personnel administratif, ne sont pas dans un rôle de gestion, mais dans un rôle de service. Nous voulons d’abord bien « servir » nos employés, afin qu’ils puissent sincèrement « servir » nos clients. C’est ainsi que tout le monde a progressivement développé un sens du service et ne se soucie pas trop des heures de travail. On fait plus attention à la qualité du travail qu’à sa durée.

En même temps, nous avons commencé à renforcer consciemment certaines responsabilités sociales à travers des activités communautaires. Grâce à ces activités, les employés peuvent mieux se rendre compte des diverses valeurs que nous pouvions apporter aux enfants ou aux adultes de leurs communautés. Cela crée un fort sentiment de satisfaction, voire d’enthousiasme, tous percevant leurs propres valeurs dans ce que nous apportons à la communauté.

Quel est le taux de chômage des jeunes Kenyans actuellement ?

J’ai noté une enquête selon laquelle les « travailleurs salariés » (c’est-à-dire ceux qui ont des emplois permanents) ne représentent que 5% de l’ensemble de la population kenyane. En outre, 74 % de ces 5 % de salariés gagnent moins de 450 dollars par mois. C’est dire qu’il y a en fait très peu de gens qui travaillent de façon constante au Kenya, et même s’il y a des emplois permanents, le revenu moyen est assez faible.

Quand vous visitez des quartiers populaires dans des villes kenyanes, vous constaterez que ces quartiers ressemblent à de grands marchés. Tout le monde vit dans des immeubles de quelques étages. Le bas de l’immeuble est souvent occupé par de petites enseignes et boutiques. Devant, s’étalent encore des stands commerciaux, ce qui forme un espace très dense.

Dans ces quartiers, on a l’impression que personne n’a d’emploi formel, mais l’ambiance est très animée. A 21h ou 22h, ou même plus tard, il y a encore beaucoup de gens dans la rue : ils font des affaires pour s’assurer de quoi vivre. Le contraste est fort avec les quartiers bourgeois ou les quartiers de business où l’on ne voit personne dans la rue le soir, où les lumières sont tamisées et les magasins fermés.

J’ai bien compris : il faut se méfier des images préconçues, comme l’idée que les jeunes Africains n’aiment pas travailler trop, que les quartiers populaires sont peu dynamiques. En fait, les êtres humains sont partout pareils : le plus important, c’est de gagner sa vie, non ?

Oui, certaines personnes à revenu moyen et élevé au Kenya ont une impression stéréotypée sur les quartiers populaires, qu’ils voient comme sales, désordonnés, avec beaucoup de voleurs. Mon associé kenyan, qui est né et a grandi à Nairobi, avait cette impression auparavant. Mais il a changé : maintenant il dit à ses amis kenyans que, grâce à moi, il a redécouvert les quartiers populaires du Kenya ! Il leur trouve une image beaucoup plus positive : un sentiment de sécurité, de facilité, avec des gens sympathiques qui font des affaires calmement.

En dehors du Kenya et de sa capitale Nairobi, comment évaluez-vous le niveau de développement des infrastructures de l’internet en Afrique ? En d’autres termes, votre modèle de business, déjà efficace à Nairobi, peut-il être reproduit dans d’autres régions ou pays africains ? Quels sont vos projets pour les trois à cinq prochaines années ?

Oui, nous avons effectivement un gros projet. Nous prévoyons de couvrir toutes les populations urbaines du Kenya dans les quatre à cinq prochaines années, tout en voulant commencer l’année prochaine à aller vers certaines régions ou pays environnants. Notre modèle de business est déjà mature après plusieurs années d’expériences et peut être mis en œuvre rapidement dans des agglomérations urbaines densément peuplées.

Dans les dix prochaines années, nous espérons pouvoir fournir un accès bon marché à Internet à la grande majorité des populations urbaines dans au moins quinze ou vingt pays africains les plus peuplés. Et puis, une fois que ces populations auront un accès bon marché à Internet, ils commenceront à construire un écosystème informatique basé sur les réseaux.

Cela pourrait ensuite rejoindre le domaine du « cloud computing » que nous avons travaillé en Chine depuis de nombreuses années. En fait, notre « cloud computing » se constitue comme un système d’infrastructures. Lorsque vous avez l’internet, vous allez démarrer des services de données pour faire fonctionner des applications. Nous utiliserons un moyen relativement pas cher pour construire des centres de données de « cloud computing » pour supporter différentes formes d’activités en ligne, telles que la vidéo en ligne, les modèles commerciaux O2O, etc, tout en exploitant des services de logistique en ligne, des flux d’informations, du paiement et de la finance internet. Cela ne signifie pas que nous allons réaliser tous les services nous-mêmes. Lorsque nous aurons la base des réseaux et les utilisateurs, nous serons ouverts pour coopérer avec d’autres développeurs Internet.

Pour résumer, vous avez créé une porte d’entrée bon marché à l’Internet pour des populations financièrement modestes et vous souhaitez créer un écosystème informatique ouvert à de plus en plus d’applications de la vie quotidienne. Ce travail peut-il aider les entreprises chinoises s’implantant en Afrique ?

Je pense qu’il y a encore beaucoup d’opportunités. L’Afrique ressemble dans une certaine mesure à la Chine, notamment au niveau de sa population. Les pays africains présentent une certaine homogénéité au niveau du langage, malgré les différences entre les cultures locales. D’un point de vue historique, les racines des tribus africaines sont aussi relativement similaires. Nous avons préféré le marché de l’Afrique à celui de l’Inde. En Inde, la variété culturelle est beaucoup plus forte. Or nous pensons que l’homogénéité culturelle est un atout pour développer rapidement l’internet.

Selon moi, dans le développement futur de l’Afrique, si l’infrastructure de l’internet est bien établie, il y aura beaucoup d’opportunités pour les sociétés Internet. L’Afrique reste le continent « océan bleu » avec des compétitions moins intenses.

[1] Cet article est fondé sur « Adieu à Wall Street depuis dix ans, je démarre une entreprise WiFi en Afrique » (《告别华尔街十年,我在非洲做起WiFi生意》), publié le 15 mai 2022 par Zhixiangwang (志象网), disponible sur : https://mp.weixin.qq.com/s/fote_47nG8AQW-lrkQy9Hw.

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