Séries télévisées chinoises en Afrique
Les séries chinoises séduisent les publics africains. Il existe une réflexion sur les points communs entre les identités culturelles chinoises et africaines.
Les séries télévisées chinoises en Afrique : à la recherche de ponts entre nos identités
Depuis une dizaine d’années, les séries chinoises séduisent les publics africains. Certains thèmes ont plus de succès que d’autres et suscitent des « résonances » particulières. Il y a là matière à réflexion sur les points communs entre nos identités culturelles respectives[1].
Commençons par une image toute simple. Un après-midi ordinaire, dans une usine de produits agricoles au Rwanda, les ouvriers ont 15 minutes de pause dans l’attente de la désinfection des semences de champignons qu’ils traitent dans des bacs. Un jeune homme a sorti son téléphone portable de la marque Transmission et regarde un épisode d’arts martiaux de la série télévisée chinoise « Wudangyijian », traduite en rwandais.
Le côté spectaculaire des arts martiaux a séduit le jeune homme et ses collègues de travail. Ils se rendent souvent dans des petites boutiques locales pour télécharger leurs films préférés sur leur téléphone cellulaire. Pour ce faire, ils payent en moyenne 0,1 à 0,2 dollar. Par rapport aux autres canaux de diffusion, cette approche moins coûteuse permet un accès plus facile aux produits télévisuels et cinématographiques chinois en Afrique.
C’est seulement depuis une dizaine d’années, donc assez tardivement par rapport à d’autres pays, que les sociétés de médias chinoises se sont aventurées sur le continent africain. De nombreuses séries télévisées ont alors été traduites en langues africaines et lancées pour tester le marché sur divers sujets, tels que les arts martiaux, la vie familiale chinoise, les modes des nouvelles catégories urbaines, les idoles de la jeunesse et les sagas historiques. Parmi ces productions, les films de Kung Fu et les émissions sur la vie familiale des Chinois sont les plus populaires auprès de publics africains très divers. En revanche, les séries décrivant les modes de vie des nouvelles catégories de jeunes urbains n’ont pas donné de bons résultats.
Bien sûr, les productions africaines, les films et les émissions télévisées mettant en scène des acteurs locaux sont mieux reçus par les publics africains. Mais ces productions sont handicapées par plusieurs facteurs : faible volume de production, peu d’équipes de tournage, coût unitaire extrêmement élevé, et processus long de production. Au Rwanda, par exemple, il n’y a qu’une seule équipe de tournage, avec une production annuelle de seulement 4 à 5 séries dont chacune comprend 11 épisodes de 45 minutes. Le prix des séries télévisées au Rwanda s’élève à 2 000 dollars par épisode, ce qui décourage beaucoup d’opérateurs de télévision.
Lorsque l’offre locale ne peut pas répondre aux besoins des populations, l’introduction de films et d’émissions internationales devient une alternative évidente pour tous les pays africains. Ainsi, les séries européennes, américaines, philippines, indiennes, pakistanaises, japonaises et brésiliennes ont-elles pénétré le marché africain, formant un paysage culturel très diversifié. Cela a évidemment constitué aussi une occasion pour les productions chinoises.
La réussite de la série chinoise « A Beautiful Daughter-in-law Era »
En 2011, la série chinoise « A Beautiful Daughter-in-law Era » traduite en swahili, est devenue très populaire en Tanzanie et l’engouement des publics ne s’est jamais démenti. Les références à la série ont envahi les réseaux sociaux. L’image de « Mao doudou », rôle principal joué par l’actrice chinoise Hai Qing, s’est imposée auprès du public tanzanien. Les relations entre la belle-mère et la belle-fille, et le sujet de la vie et de la mort, ont trouvé une forte résonance parmi les publics locaux, tout particulièrement les téléspectatrices. La série est considérée comme un modèle des relations complexes et des contradictions entre les membres féminins d’une famille. La série a atteint un record historique d’audience à la télévision nationale tanzanienne et a été rediffusée jusqu’à quatre fois. Par la suite, elle a été traduite dans d’autres langues africaines et diffusée avec un grand succès dans plusieurs pays, notamment en Ouganda, au Rwanda, au Sénégal.
La popularité de la série « A Beautiful Daughter-in-law Era » en Afrique a créé de multiples réactions dans des médias européens, américains et africains. Certains critiques l’ont considérée comme un moyen majeur pour la Chine d’exporter des valeurs sociales chinoises et donc d’accroître son influence culturelle après le succès de son développement économique. Il est vrai que les élites locales africaines ont manifesté un vif intérêt pour la modernité du style de vie chinois présenté dans la série, tandis que le grand public a montré une profonde empathie pour les émotions et la sincérité des relations familiales exprimées dans la série.
L’expérience de la série chinoise « Nothing But Thirty »
Depuis la réussite de la série « A Beautiful Daughter-in-law Era », plusieurs productions chinoises ont été traduites en anglais ou en haoussa (la langue répandue en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale) telles que « Go Lala Go », « Beijing Love Story », « Ode to Joy », et « Nothing But Thirty ». Cette dernière série a suscité à partir de 2020 des discussions passionnées en Chine sur le statut des femmes dans la société contemporaine. Les trois femmes principales de la série représentent chacune un style de vie urbaine. Elles ont connu des difficultés dans leurs parcours respectifs, tels que l’infidélité, les relations amoureuses compliquées et les conflits entre la famille et le travail. Ce genre de scénario résonne fortement parmi les spectatrices chinoises. La série a enregistré 2,7 milliards de vues en Chine. « Nothing But Thirty » a également été mise en ligne sur Netflix en suscitant l’engouement des spectateurs en Corée du Sud, où le style des costumes des actrices est même devenu une mode parmi les femmes coréennes.
Cependant, en Afrique, « Nothing But Thirty » n’a pas reçu le même accueil populaire que la série « A Beautiful Daughter-in-law Era ». Zhang Cheng, chef de la chaîne internationale de la société chinoise Star Times, possède une vaste expérience dans la promotion de produits télévisuels et cinématographiques en Afrique. Selon elle, le non-succès de la série « Nothing But Thirty » tient au fait que la vie représentée dans la série n’a rien à voir avec la vie quotidienne des femmes et des familles africaines. Elle n’a donc pas réussi à créer des points communs entre les différentes identités culturelles, ni des résonances émotionnelles interculturelles.
Grâce à des enquêtes sur terrain, on a constaté que, par rapport au public chinois, la population africaine a été depuis longtemps nourrie par une culture cinématographique et télévisuelle diversifiée, avec une attitude très inclusive vis-à-vis des produits internationaux. Une jeune femme rwandaise a ainsi analysé les séries télévisées de différentes provenances : « Je trouve que les drames américains sont souvent trop sanglants et violents. J’ai aussi regardé des séries télévisées chinoises et apprécié notamment le décor magnifique des pièces de la chevalerie ancienne. Les vêtements des acteurs dans les séries indo-pakistanaises sont beaux et la musique de fond est particulièrement agréable… J’aime beaucoup les drames philippins, parce que les actrices principales sont souvent très courageuses et combattives. »
En ce qui concerne les séries chinoises, ces enquêtes ont confirmé l’impact du Kung Fu, qui s’est répandu dans toute l’Afrique, de sorte que de nombreux Africains pensent que les Chinois pratiquent tous les arts martiaux. Très récemment, les séries télévisées décrivant la vie moderne des Chinois commencent à établir une autre image, beaucoup plus contemporaine, de la culture chinoise pour le public africain. L’image d’un pays se renouvelle ainsi en suscitant des résonances diversifiées entre des peuples différents. C’est dans la recherche des points communs de nos identités respectives que les échanges interculturels se développent et se recomposent.
[1] Cet article est basé sur le texte original disponible sur : https://www.thepaper.cn/newsDetail_forward_20094859.