Relations Chine-Afrique : Coopération internationale avec l’Afrique

Face à l’influence de la Chine en Afrique, l’Europe et les USA ressentent l’urgence de mettre en place des stratégies pour l’Afrique.

 © Le Ministre chinois des affaires étrangères Qin Gang participe à une conférence de presse avec son homologue égyptien lors de sa visite en Égypte, le Caire, 15 janvier 2023 (Image : People.cn)

© Le Ministre chinois des affaires étrangères Qin Gang participe à une conférence de presse avec son homologue égyptien lors de sa visite en Égypte, le Caire, 15 janvier 2023 (Image : People.cn)

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Coopération Europe-USA-Chine avec l’Afrique : d’abord les intérêts africains !

C’est une tradition établie depuis 33 ans : au début de chaque année, le ministre chinois des Affaires étrangères se rend en Afrique pour sa première visite d’État de l’année. Le Forum sur la coopération sino-africaine existe également depuis 23 ans. Face à l’influence grandissante de la Chine en Afrique, les pays européens et américains ont ressenti l’urgence de mettre en place des stratégies pour l’Afrique. Mais leur effet reste limité.

Dans un entretien, Mme He Wenping, chercheure à l’Institut d’études sur l’Asie occidentale et l’Afrique de l’Académie chinoise des sciences sociales, interprète la visite d’État du ministre chinois des affaires étrangères en Afrique du 9 au 16 janvier 2023[1].

Il s’agit de la première visite à l’étranger du ministre chinois des affaires étrangères Qin Gang depuis qu’il a pris ses nouvelles fonctions. Après le 20e Congrès national du Parti communiste chinois, la Chine a un nouveau groupe dirigeant. Y aura-t-il des évolutions de la diplomatie chinoise avec l’Afrique ?

Cette première visite s’est très bien engagée. La première étape était l’Éthiopie et la dernière étape l’Égypte. Le ministre chinois a également visité les sièges de l’Union africaine et de la Ligue arabe, ce qui montre que notre diplomatie avec l’Afrique accorde de l’importance à la fois aux relations bilatérales et aux relations multilatérales. De plus, les visites du Bénin et du Gabon ont montré la volonté de la Chine de prêter une grande importance à l’établissement de bonnes relations avec l’ensemble des pays africains, pas uniquement avec les pays de grande taille. C’est aussi un principe fondamental de la diplomatie chinoise.

En 2021, le Forum sur la coopération sino-africaine a donné naissance à la « Vision 2035 de la coopération sino-africaine », qui comprend neuf projets dans l’innovation numérique, le développement vert, les échanges culturels, la coopération pour la paix et la sécurité, etc. Le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies au siège de l’Union africaine fait partie de ces projets. Sachant que la Chine a seulement trois ans pour mettre en place ces « neuf projets », la pression est effectivement forte.

Bref, j’ai particulièrement remarqué que lors de la conférence de presse marquant la visite du ministre chinois des Affaires étrangères, le président de l’Union africaine, M. Moussa Faki Mahamat, a déclaré que nous devons faire passer les intérêts de l’Afrique en premier, quel que soit le pays avec lequel nous coopérons. C’est une déclaration très concrète. L’Afrique est actuellement confrontée à des crises alimentaire, énergétique, financière et à des menaces sécuritaires : quand la Chine travaille avec l’Afrique, il faut adopter toujours une attitude respectueuse et égalitaire en attachant la première importance aux intérêts des Africains.

En considérant la situation actuelle en Afrique, quels sont des problèmes urgents qui attirent votre attention ?

En termes d’industrie, nous avons établi en Afrique de nombreux parcs industriels qui jouent souvent un rôle de démonstration. Par exemple, le parc industriel de l’Est en Éthiopie a attiré près de 100 entreprises après son achèvement, principalement dans des secteurs tels que les matériaux de construction, la transformation des métaux, l’assemblage automobile, les textiles et les vêtements, les chaussures et les chapeaux, fournissant des emplois à 18 000 personnes locales.

Le rôle des parcs est essentiel. Quand je suis allée à Shanghai pour donner des conférences il y a plusieurs années, l’une des entreprises chinoises participant aux conférences voulait aller dans un parc industriel en Afrique. Après consultation, je me suis rendu compte que ce parc industriel était déjà plein. En fait, avec les avantages issus de la « Belt and Road Initiative », de plus en plus d’entreprises chinoises sont allées en Afrique. Certaines furent si dynamiques qu’elles ne se satisfirent plus des services du parc et dépensèrent de l’argent pour acheter des terrains et créer des parcs de fabrication pour elles-mêmes.

Il y a ensuite le problème de la qualité de la main-d’œuvre. J’ai constaté que de nombreuses sociétés chinoises en Afrique ont des difficultés à recruter de bons employés locaux, ce qui les empêche de démarrer la production. En plus, nombre de pays africains ont promulgué des lois et des règlements très stricts pour garantir le taux de localisation de l’emploi, ce qui oblige les sociétés chinoises à repenser la question de la main-d’œuvre.

Dans le passé, nous avons accordé aux étudiants africains un certain nombre de bourses pour les envoyer en Chine. Ils ont étudié principalement dans les domaines des relations internationales et de la langue chinoise. Je les vois très rarement développer des compétences pratiques telles que la technologie industrielle.

Lors du Forum de coopération Chine-Afrique en 2018, la Chine a proposé de mettre en place 10 « ateliers de Luban »[2] en Afrique pour fournir une formation professionnelle aux jeunes Africains.

Avant même que le gouvernement chinois ne présente l’initiative, les entreprises chinoises en Afrique ont depuis longtemps prêté attention à la formation de la main-d’œuvre. En 2014, le groupe CITIC Construction a entièrement investi dans la création en Angola d’une école de formation professionnelle à but non lucratif – CITIC Centennial Vocational School. J’ai visité cette école où l’on enseignait comment construire des murs en plâtre. Les élèves participaient activement aux pratiques des ateliers au lieu d’être assis devant le tableau noir.

Les habitants locaux sont-ils très motivés pour y participer ? Sont-ils prêts à entrer dans une telle école pour se former ?

À l’école professionnelle de CITIC, j’ai discuté avec des étudiants africains. Ils étaient très motivés, parce qu’il n’y a pas de frais de scolarité. Toutes les compétences acquises sont immédiatement applicables, parce que là-bas il y a beaucoup d’entreprises chinoises dont la demande de recrutement est très forte. Les élèves pourraient trouver un emploi rapidement après avoir terminé leurs études.

Lors de sa rencontre avec le président de l’Union africaine, le ministre chinois Qin Gang a souligné : « la dette de l’Afrique reste une question de développement. » À quelles difficultés l’Afrique est-elle actuellement confrontée en termes de capacités de développement durable ? Quelle marge de coopération existe-t-il entre la Chine et l’Afrique à cet égard ?

L’Afrique est confrontée à trois grands défis de développement. Le premier concerne les infrastructures. Le Kenya est la sixième plus grande économie d’Afrique, mais le chemin de fer Mombasa-Nairobi construit par la Chine reste la première ligne ferroviaire implantée au Kenya au cours des 100 dernières années. On peut imaginer la situation dans d’autres pays. De nombreuses régions africaines n’ont même pas de chemin de fer et les routes sont en très mauvais état.

Quand je suis allé en Ouganda, les patrons des sociétés chinoises achetaient des jeeps avec des roues très hautes. Personne n’achetait de voitures normales car leur châssis trop bas rend difficile la conduite sur route. Le Nigeria, la plus grande économie d’Afrique, souffre également de fréquentes coupures de courant. Quand j’y suis allé, il y avait quatre ou cinq coupures de courant par nuit, et de nombreux hôtels ont leurs propres générateurs. Le long des routes, on voit beaucoup de grands réservoirs, qui sont tous utilisés pour stocker de l’eau. Sans une bonne infrastructure de base, comment pouvons-nous nous engager dans l’industrialisation ?

Le deuxième grand défi est le manque de talents. L’Afrique est riche en ressources humaines : l’âge moyen de 90 % de la population est inférieur à 50 ans et la proportion de jeunes atteint 70 %. Mais il y a une pénurie de talents. Même dans un pays industrialisé comme l’Afrique du Sud, on voit beaucoup de jeunes désœuvrés qui jouent au billard sur le bord des routes, et le taux de criminalité est élevé. Comme nous l’avons dit plus haut, ce n’est qu’avec des compétences que vous pouvez trouver un emploi. Le mécanisme de formation des talents en Afrique fait défaut et les investissements dans l’éducation sont insuffisants à long terme.

Le troisième défi est le manque de fonds. De nombreux pays africains proposent chaque année des projets et des plans bien élaborés auprès de la Banque africaine de développement. Or les fonds sont toujours insuffisants et le déficit annuel en infrastructures dépasse 170 milliards de dollars. Nombre de projets et de plans sont restés inachevés.

La coopération de la Chine avec l’Afrique vise à répondre à ces défis. Lorsque les Chinois sont allés en Afrique, ils ont apporté non seulement des capitaux, mais aussi de la technologie et des talents, et ils planifient le développement à long terme selon les besoins des Africains.

En décembre 2022, l’administration Biden a organisé le deuxième Sommet des dirigeants États-Unis-Afrique, avec l’intention de lancer une concurrence stratégique avec la Chine. Cependant, à en juger par les retours des pays africains, les États-Unis sont plus dans la parole que dans l’action. Comment appréciez-vous les différences entre les actions de la Chine et celles des États-Unis en Afrique ?

Il existe de nombreuses différences essentielles entre notre politique africaine et celle de l’Europe et des États-Unis. La première est la position de fond. Ainsi que l’a souligné le président de l’Union africaine, M. Moussa Faki Mahamat, « l’Afrique devrait coopérer avec tous les pays sur la base de l’égalité et du respect, et surtout en fonction de ses propres intérêts. » La Chine a fait de son mieux à cet égard. Les pays occidentaux étaient autrefois les «suzerains» coloniaux de l’Afrique. Maintenant, les acteurs occidentaux semblent être beaucoup plus prudents. Mais cela suffit-il pour avoir une vraie position égale et respectueuse envers l’Afrique ?

Par exemple, dans le passé, certains documents officiels de l’Union européenne envers l’Afrique s’appelaient « la stratégie de l’Union européenne pour l’Afrique ». Ces dernières années, les termes ont été modifiés en introduisant le concept de « partenariat euro-africain ». Lorsque le secrétaire d’État américain Blinken s’est rendu en Afrique en 2022, il a manifestement baissé d’un ton en parlant de l’Afrique comme une force importante sur la scène politique internationale, faisant ainsi l’éloge de l’Afrique.

Les Américains veulent obtenir des avantages de l’Afrique, mais dans le fond, ils pointent toujours du doigt les Africains en suggérant : « vous devriez faire ceci et cela, vous devriez vous méfier de la Chine, etc. » Cette logique est elle-même pleine d’irrespect. Et je ne parle pas des aides de l’Europe et des États-Unis à l’Afrique qui portent toujours des conditions politiques supplémentaires.

La coopération entre la Chine et l’Afrique consiste à établir un partenariat, sans jamais imposer des conditions pour interférer dans les choix des pays africains sur leur propre voie de développement. Nous fournissons une aide fondée sur les besoins de l’Afrique. L’histoire humiliante de la Chine après la guerre de l’Opium a donné une référence de principe aux dirigeants chinois : le respect et l’égalité sont essentiels pour tous les peuple qui ont vécu la période de colonisation.

Le Forum sur la coopération sino-africaine se tient en rotation entre la Chine et l’Afrique. Cela a donné un bon exemple à des pays développés qui ont envie d’établir des coopérations avec l’Afrique. Le Japon a organisé les conférences Japon-Afrique à Tokyo. Plus tard, les conférences se sont déplacées en Afrique en apprenant ainsi du modèle chinois.

Lorsque les États-Unis ont organisé le sommet États-Unis-Afrique, certains de mes amis africains ont dit que Biden devrait venir en Éthiopie au lieu de faire venir tous les dirigeants africains, sans arranger des rencontres bilatérales. De plus, les deux Sommets États-Unis-Afrique, que ce soit sous la présidence d’Obama ou de Biden, étaient tous fondés sur les propres intérêts politiques des USA.

La Chine tente toujours de concrétiser ses paroles dans les actions pour tenir ses promesses. Depuis 23 ans, le Forum sur la coopération sino-africaine se tient tous les trois ans, en lançant à chaque fois plusieurs projets majeurs. La Chine a également envoyé des équipes médicales en Afrique de manière constante depuis de nombreuses années : très peu de pays occidentaux ont réussi à le faire de la même manière.

Mais il nous faut remarquer que lors du Sommet États-Unis-Afrique, les dirigeants de 49 pays sur 54 au total se sont rendus à Washington. Est-ce à dire que les États-Unis exercent toujours une plus grande influence sur les pays africains ?

Ayant établi de bonnes relations avec la Chine, les pays africains n’ignorent pas d’autres pays. L’Afrique est disposée à développer des relations avec tous les grands pays en les invitant à y investir. On peut considérer cette attitude comme une diplomatie diversifiée.

Bien que les actions du gouvernement américain aient une efficacité limitée en Afrique, les ONG américaines ont une forte présence sur le continent. Ces ONG ont des contacts directs avec les populations locales en pénétrant profondément dans les activités sociales africaines, y compris l’influence de la culture et des valeurs occidentales. Nombre d’élites en Afrique, y compris les dirigeants politiques, sont diplômés de prestigieuses écoles américaines. En Afrique, de nombreux projets d’infrastructure sont réalisés par des Chinois, tandis que les pays européens et américains se sont déjà retirés de ces secteurs. Les pays africains ne souhaitent pas choisir leur camp. La Chine ne demande non plus aux pays africains de faire un choix, ce qui est incompatible avec nos principes diplomatiques.

En fait, aujourd’hui, beaucoup de pays africains ont manifesté une autonomie beaucoup plus forte qu’auparavant. Ils comprennent que l’Europe et les États-Unis ne veulent que les ressources et la main-d’œuvre de l’Afrique, sans vraiment vouloir aider l’Afrique à se développer. Selon votre expérience, comment vos interlocuteurs africains considèrent-ils la concurrence entre la Chine, l’Europe et les États-Unis en Afrique ?

Mes amis africains sont souvent très opposés à cette situation de concurrence entre les puissances, car ils ont déjà beaucoup souffert pendant la Guerre froide. Alors maintenant, les Africains souhaitent une «diplomatie diversifiée» que je viens de mentionner. Dans ce modèle, ils doivent faire passer les intérêts de l’Afrique en premier.

Nous, les Chinois, comprenons très bien l’embarras diplomatique que les pays africains souhaitent éviter. Dans le passé, l’Europe et les États-Unis venaient nous voir pour parler de coopération tripartite « Chine-États-Unis-Afrique » ou « Chine-Europe-Afrique ». Nous avons proposé de laisser l’Afrique se déterminer en retirant des profits à son avantage, au lieu de planifier quelque chose derrière son dos. Maintenant, l’Europe et les États-Unis en sont conscients et ont commencé à parler d’« Africa ownership ». Cependant, le décalage entre les paroles et les actes reste énorme pour ces acteurs occidentaux : ils disent que l’Afrique est son propre maître, mais en pratique, ce sont l’Europe et le États-Unis qui prennent la décision.

De plus, les pays africains ont très bien compris, comme certains pays d’Asie et d’Amérique latine, que « la sécurité dépend des États-Unis, tandis que l’investissement dépend de la Chine ». Ils savent que la Chine et les États-Unis ont leurs propres atouts : sur les problèmes de sécurité, les pays africains s’appuient davantage sur l’Europe et les États-Unis. Cependant, aucun pays africain ne veut être complètement contrôlé par l’Europe ou les États-Unis, et son destin devrait toujours être entre ses propres mains.

[1] Le texte est basé sur l’article original de HE Wenping (贺文萍), « Pour une coopération trilatérale Europe-USA-Chine avec l’Afrique, on fait passer les intérêts de l’Afrique en premier », disponible sur: https://mp.weixin.qq.com/s/Y7U_L3sMkpLTEV4907RbJA.

[2] Les ateliers Luban ont pour objectif de former systématiquement les enseignants des pays partenaires, pour qu’ils transmettent à leur tour leurs savoirs aux étudiants de leur propre pays.

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