Nationalité pour les Afro-descendants victimes de l’esclavage
Le Bénin passe des intentions aux actes.
Sous l’impulsion du président Patrice Talon et dans le cadre de sa politique panafricaniste, Cotonou va rendre accessible la nationalité béninoise aux afro-descendants victimes de la traite négrière.
Le visa supprimé pour les Africains depuis 2017
Dès 2017, les autorités béninoises ont exempté de visa d’entrée les ressortissants de 31 pays africains, pour des séjours ne dépassant pas 90 jours, les voyageurs des quinze États membres de la CEDEAO l’étant déjà. Une promesse du président Patrice Talon faite en août 2016 lors d’une visite au Rwanda, dont il disait suivre l’exemple. «La coopération Sud-Sud peut avoir un vrai sens, avait-il alors déclaré. Mon espoir est que la coopération entre le Rwanda et le Bénin puisse servir d’exemple.»
La traite négrière a laissé de profondes blessures sur les sociétés africaines, en particulier sur les descendants des personnes déportées et mises en esclavage. Le Bénin l’a subie pendant des siècles durant lesquels la ville de Ouidah, sur la côte, a été un port d’embarquement des esclaves. C’est pour ces raisons que le pays, à travers son histoire, imprimée dans sa culture et ses cultes, entretient des relations étroites avec les afro-descendants.
Entretien de la mémoire du culte vodun à travers les «Vodun days», lancés en janvier dernier; souvenir de la traite négrière, à travers un tourisme mémoriel que matérialise la «Route de l’esclave» de Ouidah, classée à l’Unesco en 1995; envoi de troupes en Haïti et accueil d’étudiants suite au séisme qui a ravagé la capitale de ce pays en janvier 2011… Plusieurs actions prouvent depuis des années l’importance accordée par le gouvernement aux afro-descendants.
Le Bénin offre son patrimoine identitaire aux afro-descendants
Mais Cotonou va encore plus loin en direction des personnes, notamment outre Atlantique, au Brésil, à Haïti ou encore aux États-Unis, qui revendiquent leurs liens avec la terre africaine. C’est pour assumer une approche avant-gardiste que le Conseil des ministres, présidé par le président Patrice Talon, le 8mai dernier, dépassant les discours et les symboles, a décidé d’accorder la reconnaissance de la nationalité béninoise à tous ceux qui en feraient la demande.
Il offre ainsi le patrimoine social et identitaire national aux afro-descendants qui pourront faire du Bénin leur «terre natale ». «Désormais, monsieur le président, vous serez Béninois !», a lancé le chef de l’État béninois à son homologue, Luiz Inacio Lulada Silva, lors de sa visite officielle au Brésilien mai dernier.
Cotonou dépasse les intentions de l’UA et de l’ONU
Cette démarche dépasse celle de l’Assemblée générale de l’ONU, qui a proclamé la période 2015-2024 comme la «Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine», appelant à renforcer les mesures de coopération nationales et internationales pour garantir à celles-ci le plein exercice de leurs droits. Elle donne également une réalité à la «sixième région» du continent africain que constitue la diaspora, selon l’Union africaine.
Qui est afro-descendant et comment le prouver?
Le texte adopté par le Conseil des ministres, que l’Assemblée nationale devra valider, postule qu’est afro-descendant «toute personne qui, d’après sa généalogie, a un ascendant africain subsaharien déporté hors du continent africain dans le cadre de la traite des Noirs.»
Quant à « la preuve de l’afro-descendance», elle «est fournie par le demandeur au moyen de toute documentation d’état civil ou officielle, de tous témoignages constatés par acte authentique, d’un test ADN réalisé par une structure agréée au Bénin ou par tout autre moyen technique ou scientifique.»
La nationalité béninoise par reconnaissance va conférer à son détenteur tous les droits et obligations qui y sont attachés, sans les droits politiques et l’accès à la Fonction publique béninoise. En cas d’éligibilité, un passeport béninois valable trois ans sera délivré au demandeur. L’obtention du certificat de nationalité définitif sera subordonnée à l’obligation de séjourner au Bénin au moins une fois avant l’expiration du passeport. Dès lors, le détenteur acquiert la pleine nationalité qui lui confère les mêmes droits et obligations que tout citoyen béninois.
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«VODUN DAYS »
Une fête nationale des cultes endogènes au Bénin initiée au milieu des années 1990,puis transformée en jour férié en 1998, se tient tous les 10 janvier. Bien qu’organisée à travers tout le pays, l’épicentre en est Ouidah, pôle mondial du culte vodun et centre culturel national. C’est en toute logique que les autorités ont choisi cette ville pour ycréer,le10janvier dernier, les «Vodun days», un moment de promotion cultuelle et culturelle pour les Béninois et les visiteurs du monde entier.
La ville historique de Ouidah a été identifiée et inscrite parmi les axes prioritaires du programme touristique gouvernemental au regard de son passé et de son histoire. Berceau de la culture vodoun, elle était également
au XVIIIe siècle l’un des principaux centres de vente et d’embarquement d’esclaves. C’est par le biais de l’esclavage que le vodoun du Bénin s’est répandu dans le «Nouveau Monde», s’y perpétuant de manière remaniée à Haïti, au Brésil (candomblé), à Cuba (santeria)… En Afrique subsaharienne, cette religion s’était déjà diffusée dans le sud du Nigeria ou dans le sud du Togo.
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Patrice Talon au Brésil : la mémoire de l’esclavage au menu
Patrice Talon s’est rendu au Brésildu23au26mai dernier pour une visite officielle, la première d’un chef d’État africain depuis le retour au pouvoir du président Luiz Inacio Lula da Silva en 2022. Alors que le Bénin a récemment rouvert son ambassade au Brésil, les deux pays ont paraphé des accords de partenariat dans l’éducation, les infrastructures ou encore l’agriculture. Cette visite comportait également un important volet mémoriel. Patrice Talon s’est rendu à Sao de Luis, ville coloniale où la mère du roi Ghézo, neuvième roi d’Abomey, vendue comme esclave, a séjourné et créé un couvent vaudou.
À Salvador de Bahia, il a été accueilli par des têtes couronnées et des chefs de religions endogènes, emportées par les aïeux du Bénin lors de la traite négrière. « Pour moi, Bahia, c’est un peu le Bénin », a déclaré le président Talon, ému, tout en regrettant que « deux peuples qui sont si proches par l’histoire ne se connaissent pas assez », chose qu’il veut désormais réparer. Et cette loi sur la reconnaissance de la nationalité béninoise aux afro-descendants, dont le vote est attendu, apparaît comme un instrument majeur pour y contribuer.