Tierno Monénembo, prix Renaudot, ou l’histoire coloniale « revisitée »
Il est temps de « revisiter » l’histoire coloniale entre la France et l’Afrique sous l’angle « imaginaire » et non plus « idéologique », propose l’écrivain guinéen Tierno Monénembo, lauréat du prestigieux prix littéraire français Renaudot 2008 pour son « Roi de Kahel ».
Avec son dernier livre, publié après de vives polémiques en France sur les « aspects positifs » de la colonisation, il part sur les traces d’Olivier de Sanderval, un aventurier français qui voulait se tailler un empire au coeur du Fouta-Djalon (Guinée) à la fin du 19e siècle.
Ses aventures avaient passionné les gazettes puis étaient rapidement tombées dans l’oubli avant de constituer la trame d’un roman qui permet de « décrire la terrible complexité d’une époque, violente mais très intéressante et très riche ».
« Malheureusement, la colonisation jusqu’à présent n’est abordée que sous l’angle idéologique. Deux courants d’idées se sont attribués le phénomène colonial », a expliqué à l’AFP ce sexagénaire à l’allure juvénile, en marge d’une récente conférence de presse à Dakar.
« Il y a le courant colonial européen, raciste et méprisant: +ces gens (les Africains) n’existaient pas, c’était des sauvages, nous sommes venus les civiliser+ et, de l’autre côté, les nationalistes primaires d’Afrique: +L’Afrique était virginale, c’était le paradis+. «
« Ce roman permet de remettre tout cela à plat. Il est bon que, par le biais de l’imaginaire, on arrive à revisiter cette époque », a précisé l’écrivain qui a fui en 1969 la dictature d’Ahmed Sékou Touré pour rejoindre « à pied » le Sénégal voisin.
« Il y a un besoin de prendre de la distance par rapport à certains discours, qu’on a soutenus à des moments mais qui restent étouffants. Les discours de Sékou Touré ou du FLN (Front de libération nationale) en Algérie sont trop simplistes. «
« On a parfois l’impression que ce discours anti-colonialiste a servi des gens, comme Sékou Touré, à cacher leur propre monstruosité. Je ne soutiens pas la colonisation, pas du tout. Mais je regarde les choses autrement. Et en même temps, cela permet d’exorciser cette période. «
Et il est « beaucoup plus facile » de le faire « avec un homme comme Olivier de Sanderval. Cela n’aurait pas été possible avec (les généraux français) Faidherbe ou Gallieni, qui sont des vrais colonisateurs. Ici, il s’agit d’un aventurier, d’un mythomane, d’un utopiste. C’est un mégalomane, un vrai personnage de roman ».
Issu d’une grande famille lyonnaise à l’origine des industries chimiques françaises, il était pourtant « en porte-à-faux avec les idées de son époque, avec le principe colonial lui-même. Il est seul par rapport aux Européens et aux Africains. Il ne représente que lui-même, que sa propre folie ».
Après les rêves fous d’un Français en Guinée, comme par un effet de miroir, Tierno Monénembo, a un autre projet: « l’histoire d’un Peul qui devient chef de maquis de la résistance en France et a été fusillé par les Allemands. Il n’a été reconnu que dans les années 1990 ».
« J’ai envie de faire cela. Mais j’ai aussi un projet à Cuba pour essayer de retracer les liens, diffus mais très forts, qui existent entre l’Afrique et les Amériques noires ».
Ecrivain de l’exil, vivant en France depuis 1973, Tierno Monénembo n’est pas tendre envers son continent d’origine: « L’Afrique est un étouffoir, car la censure est permanente, sous différentes formes ».
« La lecture n’est pas rentrée dans les moeurs, ici la solitude est un délit, d’un point de vue social. S’isoler (pour lire ou écrire) est très mal vu. Il faut être fou. Souvent, les gens sont obligés de s’exiler. «
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