Les Amazones de Guinée, « gendarmettes » musiciennes au message d’émancipation

A peine entré sur scène, le lieutenant Sylla fait le salut militaire, entame un chant suraigu puis chaloupe parmi ses consoeurs vêtues de kaki, « gendarmettes » guinéennes bardées de saxophones et guitares électriques, qui forment l’orchestre des Amazones de Guinée, né il y a 47 ans.

Publié le 11 décembre 2008 Lecture : 3 minutes.

« Les Amazones, c’est une brigade en quelque sorte. On obéit à la cheftaine, militairement et musicalement.  » M’Mah Sylla, 50 ans, s’exprime bien comme une soldate lorsque l’AFP la rencontre à Dakar, où le groupe était, début décembre, un invité-vedette du concert gratuit organisé par Africa Fête.

Mais lorsque la chanteuse, ronde et sans complexe dans sa tenue de camouflage, déboule face au public et multiplie les pas de danse en rangers, ses facéties tirent des sourires aux adolescents les plus sarcastiques.

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La musique lancinante des Amazones, fusion de mélodies griotiques mandingues et de rumba congolaise, n’est peut-être pas toujours du goût des spectateurs étrangers, qui ne comprennent pas les textes en soussou ou en malinké.

Mais ces femmes apparemment épanouies à la batterie ou au saxo font « passer le message le plus important », de l’avis de l’officier Sylla: « Tout ce que l’homme fait, la femme peut le faire aussi! »

De l’orchestre des débuts, il ne reste plus aucune pionnière sur scène, en raison des maladies, décès et départs en retraite.

En 1961, la Guinée indépendante d’Ahmed Sékou Touré n’a qu’un an lorsque « Keïta Fodeba, ministre de la Défense féru de culture, crée cet orchestre de gendarmes, exclusivement féminin », raconte l’actuel manager du groupe, Moussa Moïse Diabaté.

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A l’époque, dit-il, de « jeunes vierges sont recrutées à l’âge de 12, 13 ou 14 ans et on leur apprend d’autorité à jouer d’un instrument, en leur disant: +toi, ce sera la guitare+ ».

Bientôt, elles fascinent jusqu’en Afrique centrale: « Le maréchal Mobutu, président (1965-1997) du Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) était tellement fou des Amazones qu’il a demandé à Ahmed Sékou Touré de les lui prêter tout un mois », assure M. Diabaté.

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Mais le régime de Sékou Touré se trouve gagné par la hantise des complots. De grande épurations sont lancées et le ministre Fodeba lui-même, arrêté en 1969, meurt fusillé au camp Boiro de Conakry.

Le premier album des Amazones, enregistré en 1983 à Paris, avec la voix de M’Mah Sylla, est certes un succès, mais, l’année suivante, le décès de Sekou Touré entraîne leur disparition de toutes les scènes.

« Elles n’étaient plus soutenues. . . Quand un régime tombe, le positif est confondu avec le négatif », commente M. Diabaté.

« Oubliées », les Amazones ont continué à répéter, « la discipline militaire les poussant à rester ensemble », assure M. Diabaté, qui les a incitées à enregistrer leur second album, en 2005, à Bamako.

Aujourd’hui comme hier, elles se gardent bien de parler de politique, dans leur pays ouest-africain en plein marasme, où le régime du général Lansana Conté, au pouvoir depuis 24 ans, est de plus en plus contesté.

Au moins 186 personnes avaient été tuées, début 2007, quand des manifestations avaient été violemment réprimées. Et en novembre, à Conakry, des militaires ont de nouveau tué en tirant à balles réelles sur des manifestants.

M’Mah Sylla détourne le regard quand on évoque devant elle le régime et répond: « Nous ne parlons que de l’union, de la paix », dit-elle.

Une seule chanson des Amazones « magnifie le rôle joué par l’armée républicaine, et pas seulement l’armée guinéenne », assure le manager, mais « ce titre ne figure pas sur l’album ».

« Nous sommes appréciées partout! Par les anciens, par la jeunesse. . . « , assure Yaya Kouyaté, adjudant-chef de 28 ans, dont les solos de guitare électrique ont récemment résonné à Séville (Espagne), Paris, Munich (Allemagne) et Cotonou.

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