Un psychiatre seul face aux traumatismes de 14 ans d’atrocités au Liberia

Le docteur Benjamin Harris est le seul psychiatre libérien exerçant dans son pays traumatisé par 14 ans de guerre civile (1989-2003) et se bat pour la mise en place d’une politique de santé mentale sans laquelle l’avenir sera selon lui « très sombre ».

Publié le 11 décembre 2008 Lecture : 2 minutes.

« Nous avons une population de 3,5 millions de personnes dont au moins 50% aurait besoin de soins de santé mentale, en raison de troubles directement liés à la guerre, selon une récente étude », résume le docteur Harris, dans une interview à l’AFP dans son bureau de Monrovia.

« Mais nous n’avons pas un seul infirmier psychiatrique formé, nous disposons d’un seul psychiatre et d’un seul petit hôpital psychiatrique d’une cinquantaine de lits géré par une organisation non gouvernementale dans la banlieue de Monrovia », ajoute-t-il.

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« Je me sens parfois très seul face à l’ampleur des problèmes », avoue ce spécialiste de 60 ans qui avait quitté son pays pendant la guerre, pour travailler à l’étranger pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Au contraire de ses collègues, il a choisi de revenir s’installer au Liberia où, selon lui, « il est très lourd de ne pas pouvoir même s’entretenir avec un confrère ».

« Si le gouvernement ne place pas la santé mentale parmi ses priorités, l’avenir sera très sombre », assure le médecin qui travaille, avec les autorités, à la rédaction d’une stratégie nationale en la matière.

Celle-ci prévoit notamment le recrutement à l’étranger de personnel formé en psychiatrie, une éducation généralisée aux problèmes de santé mentale parmi une population les considérant souvent comme des manifestations de « mauvais esprits » et l’utilisation des structures de santé primaire pour des soins de santé mentale.

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« Les questions de santé mentale n’ont pas été prises en compte dans le programme de démobilisation, ce qui représentait véritablement une occasion manquée », explique le docteur Harris. « L’ONU était surtout intéressée par la restitution des armes ».

Après 14 ans des pires transgressions et passages à l’acte notamment chez les quelque 21. 000 enfants enrôlés dans le conflit libérien dès l’âge de 9 ans, « la majorité de la population a grandi dans un environnement chaotique » marqué notamment par des viols collectifs systématiques ou des « actes d’initiation » consistant à tuer un proche, souligne le psychiatre.

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Parmi les manifestations les plus courantes de souffrance mentale, figure un terme spécifique au Liberia, explique-t-il, la « fontanelle ouverte » ou « trou de fontanelle », une maladie dépressive causée par une extrême anxiété et entraînant un tel niveau de somatisation que le patient est persuadé que son crâne est ouvert ou en feu.

Mais de nombreuses personnes souffrent aussi de formes de dépression aiguë ou de syndrome de stress post-traumatique, réaction émotionnelle grave et persistante à un traumatisme important qui implique des pensées suicidaires.

Plus généralement, un grand nombre de jeunes ne parviennent pas à adapter leur comportement et « le haut niveau de violence que nous voyons encore aujourd’hui dans le pays peut être attribué à la guerre », dit le psychiatre.

Les Libériens, y compris les plus jeunes, ont développé pendant le conflit une forme de résilience, les guerres fonctionnant souvent comme « un mécanisme de prévention du suicide », explique le docteur Harris.

Mais cinq ans après la fin du conflit, la population se retrouve plongée dans « une société très compétitive avec des frustrations très élevées » liées notamment au chômage qui touche environ 85% de la population et à l’extrême pauvreté concernant 80% des Libériens.

En l’absence de soins de santé mentale, explique le docteur Harris, « certains commencent à craquer et le nombre de suicides augmente ».

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