Liberia: la génération perdue des enfants-soldats

Abdul Sesay portait un fusil AK-47 au sein des « Forces du démon » de l’ex-chef de guerre emprisonné Charles Taylor, une milice qui a massivement tué, torturé et violé pendant la seconde guerre civile du Liberia.

Liberia: la génération perdue des enfants-soldats © AFP

Liberia: la génération perdue des enfants-soldats © AFP

Publié le 6 juin 2014 Lecture : 3 minutes.

Onze ans après la fin de cette guerre, Abdul dort dans les rues de Monrovia et n’a pas d’emploi stable, essayant seulement de grappiller un peu d’argent pour acheter la drogue qui lui permet d’oublier son sort.

Il était l’un des milliers d’enfants qui, au cours des deux conflits ayant coup sur coup ravagé le Liberia de 1989 à 2003, ont été enrôlés par les diverses milices en guerre comme combattants, porteurs de munitions, domestiques, cuisiniers ou esclaves sexuels.

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Brutalisés par ces guerres qui ont fait 250. 000 morts, ces jeunes ont à la fois été victimes et auteurs de crimes horribles. Aujourd’hui adultes, ils mènent une nouvelle guerre contre la pauvreté et leur dépendance à la drogue.

– Enlevé sur le chemin de l’école –

Abdul Sesay raconte qu’il avait 15 ans quand les hommes de Charles Taylor l’ont enlevé alors qu’il se rendait à l’école dans la région de Nimba (nord du Liberia).

« Ils m’ont enlevé dans la rue et m’ont poussé dans leur voiture, puis, plus tard, ils m’ont donné une arme pour commencer à me battre », explique-t-il à l’AFP.

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Il a intégré la redoutable unité paramilitaire « antiterroriste » connue sous le nom de « Forces du démon », dirigée par le fils de Charles Taylor, Chuckie, accusée en 2006 par l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) des pires atrocités de 1997 à 2002.

Aujourd’hui âgé de 33 ans, Abdul dément avoir commis des crimes pendant cette période, affirmant n’avoir eu que des rôles de soutien derrière la ligne de front, mais reconnaît qu’il était « accro » à la drogue. « J’en prenais pour me donner du courage », dit-il.

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La drogue ne l’a pas lâché et il fait des petits boulots pour s’en procurer.

Comme beaucoup d’autres anciens enfants-soldats, il se sent abandonné par le gouvernement qui, affirme-t-il, ne lui a rien donné lorsqu’il a rendu son arme dans le cadre d’un processus de démobilisation et de désarmement de quelque 103. 000 membres des groupes armés rebelles et des milices progouvernementales en 2004.

Deux organisations humanitaires, Plan et Family Health International, ont prouvé que les anciens enfants-soldats comme Abdul, restent, des années après, fortement perturbés par ce qu’ils ont vécu.

Sur 98 d’entre eux interrogés en 2009, leur étude a montré que 90% avaient des symptômes de stress post-traumatique et que 65% étaient profondément dépressifs.

Trois filles sur cinq ont été victimes de violence sexuelle et un cinquième des anciens enfants-soldats, filles et garçons, ont tenté de se suicider.

« Les enfants qui ont été impliqués dans les forces combattantes sont plus agressifs et plus sévèrement atteints » que les autres, affirme l’étude des deux organisations. En outre, « ils sont souvent mis en cause et stigmatisés, ce qui les amène à se battre et à abuser de la drogue », ajoute l’étude.

– 300 dollars pour une nouvelle vie –

Le programme de Démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR), mis en place en 2004, offrait 300 dollars US et une formation à ceux qui rendaient leurs armes.

Mais ceux qui n’avaient rien à remettre n’ont pas bénéficié de ce programme qui a exclu de fait les enfants utilisés par les groupes armés comme domestiques ou esclaves sexuels.

Tant le gouvernement que les principaux groupes rebelles ont démenti l’existence des enfants-soldats mais, selon diverses estimations, ils étaient en réalité de 15. 000 à 38. 000.

L’un d’eux, Augustine Tregbee, avait 15 ans lorsqu’il a fui vers la Sierra Leone voisine quand des milices opposées à Charles Taylor ont pris à l’artillerie lourde la ville côtière de Robertsport en 2000.

Quand il y est revenu peu après, son grand-père avait été tué. « Il n’y avait plus de civils ici, la ville était occupée par des combattants », dit-il à ‘AFP.

Ils lui ont donné une mitraillette PKM de type soviétique, l’ont entraîné à la guérilla et ont menacé de l’exécuter s’il tentait de s’enfuir.

« J’ai vu beaucoup d’amis mourir dans les combats contre les soldats de Charles Taylor, mais j’ai été sauvé par Dieu », affirme Augustine, âgé maintenant de 29 ans et peu enclin à parler du nombre de personnes qu’il a tuées, seulement des combattants, pas de civils, selon lui.

Il est devenu pêcheur à Robertsport et rêve de pouvoir acheter un bateau, ce qui semble presque impossible avec les quinze dollars qu’il gagne chaque mois pour subvenir aux besoins de sa femme et de ses deux enfants.

Et pourtant, Augustine regarde l’avenir avec optimisme, même si son passé sombre n’est jamais bien loin, l’époque où, se souvient-il, il faisait « du jogging » avec ses amis enfants-soldats. . .

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