Côte d’Ivoire: ex-musée de qualité recherche financement désespérément
L’imposant crâne d’éléphant avec ses défenses et le buste doré de Félix Houphouët-Boigny surprennent le chaland. . . puis la visite tourne court; le musée des civilisations de Côte d’Ivoire, ancien vaisseau amiral de la culture africaine, se meurt doucement, faute d’argent.
Le dénuement est manifeste dans ce bâtiment massif aux jolies portes en bois construit en 1942, du temps de l’administration coloniale française. Quelques dizaines d’objets sont exposés dans des vitrines fatiguées. Rien n’indique leur âge, ni leur provenance.
Une autre salle, plus éloignée de l’entrée principale, rappelle un hall d’hôpital désert. Quelques présentoirs usés meublent le vide, que des guides enthousiastes présentent à des groupes scolaires mal réveillés. Aucun autre visiteur n’est présent.
La scène est peu réjouissante. Elle marque pourtant un progrès certain par rapport à mai 2011, au lendemain de la crise post-électorale. L’entrée de l’édifice était alors défigurée par un trou d’obus. Des impacts de balle souillaient l’intérieur vandalisé.
Une centaine d?œuvres d’art avaient aussi été volées, dont toute la collection « or » du musée, pour un préjudice évalué à 3 milliards de francs CFA (env 4,6 millions d’euros) par Silvie Memel Kassi, la directrice des lieux.
Près de trois ans plus tard, la paix est revenue. Mais le site vivote, du fait d’un « sous-investissement » criant, reconnaît Mme Kassi, qui répond à l’AFP devant le bâtiment administratif du musée, dont la toiture en métal est complètement rouillée.
Le musée des Civilisations de Côte d’Ivoire, qui présente des objets traditionnels anciens venant de toutes les régions du pays, fut il y a quelques décennies l’un des fleurons de la culture africaine. Il s’appelait alors « musée national d’Abidjan ».
« La Côte d’Ivoire occupe une place particulièrement remarquable dans le domaine de l’art », soulignaient en 1989 l’anthropologue Marc Augé et le spécialiste de l’art africain Etienne Féau en préface de « Corps sculptés, corps parés, corps masqués: chefs d?œuvre de Côte d’Ivoire », le dernier ouvrage publié sur le sujet.
Certaines sculptures ivoiriennes figurent « parmi les plus grands chefs-d?œuvre de l’art africain », poursuivaient-ils, précisant que la plupart des pièces montrées dans cet épais ouvrage en papier glacé provenait des collections « souvent trop peu connues » du musée national d’Abidjan.
– On « tue » les oeuvres –
L’institution, dont le fond de 15. 000 objets va de la Préhistoire au XXe siècle, a pourtant dû se contenter d’un minuscule budget de 30 millions de francs CFA (env 46. 000 euros) en 2013.
Difficile avec une si faible marge financière de faire vivre le lieu correctement.
Chaleur et poussière règnent dans la réserve, dans laquelle sont entreposées 10. 000 pièces. La lumière ne marche pas depuis des mois, les ventilateurs au plafond restent immobiles.
« La tôle (du toit) est partie de l’autre côté. La dalle a absorbé de l’eau. Automatiquement, l’installation électrique a été abimée. Donc ça ne marche plus », explique Francis Tagro Gnoleba, l’assistant conservateur.
« On a posé le problème. Ca traîne un peu. Il faut engager des dépenses », raconte-t-il.
Pourtant, le temps presse. Les pièces, souvent des masques et des statues en bois, se détériorent dans de telles conditions. « Nous sommes en train de les tuer », se désole-t-il.
Autre priorité, la sécurisation du site. « On peut entrer facilement » dans le musée, dont les vigiles, parfois, ne perçoivent pas leur salaire, se désespère Silvie Memel Kassi.
Les agents du musée, « qui savent qu’un seul de ces objets peut valoir 1 million d’euros » mais sont payés « peut-être 200 euros par mois », doivent absolument être augmentés pour éviter qu’ils ne pillent, assure la directrice, qui affirme avoir déjà refusé « 100 millions de francs CFA » (env 150. 000 euros) que des trafiquants d’arts lui proposaient contre une partie de la collection.
Maurice Bandaman, le ministre de la Culture se dit conscient des difficultés du lieu. Mais celles-ci sont selon lui générales. « Le palais de la culture, le ministère, les bibliothèques dans lesquelles les livres pourrissent. . . tout le monde est logé à la même enseigne », regrette-t-il.
Un loi de finance doit prochainement être votée pour que le ministère de la Culture touche 1% du budget de l’Etat, selon le ministre. Avec un budget multiplié de fait par quatre ou cinq, « nous aurons les moyens de mener une vraie politique culturelle », espère-t-il.
L’enjeu dépasse celui du musée. Car la culture est facteur de « paix durable », affirme M. Bandaman, alors qu’en Côte d’Ivoire, « elle a été instrumentalisée pour diviser. «
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