Au Nigeria, des appels à réformer la Charia

Mépris des procédures, incompétence et impunité des juges, sévérité exagérée des jugements: les appels se multiplient pour une réforme de la Charia au Nigeria, où plusieurs systèmes judiciaires coexistent.

Au Nigeria, des appels à réformer la Charia © AFP

Au Nigeria, des appels à réformer la Charia © AFP

Publié le 6 mars 2014 Lecture : 3 minutes.

Condamnés en première instance à l’amputation d’une main, deux chauffeurs de taxi, Nasiru Abubakar et Anas Mohammed, ont été relaxés lundi par la cour d’appel islamique de Sokoto, une ville du Nord majoritairement musulmane, qui a justifié sa décision par des vices de procèdure durant le procès en 2010.

Les deux hommes de 25 ans, emprisonnés depuis trois ans, ignoraient qu’ils pouvaient faire appel de leur condamnation jusqu’au moment où un responsable pénitentiaire a signalé leur cas aux autorités.

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« Le juge (de la cour d’appel) a pointé des lacunes dans le jugement initial qui, selon lui, n’était pas en conformité avec les dispositions de la Charia. Du coup, les deux hommes ont été libérés et acquittés », explique le greffier de la cour d’appel, Bube Lawwali.

Selon le juge d’appel, le tribunal islamique n’avait pas prouvé le vol supposé de 10. 000 nairas (47 euros), somme qui n’a jamais été retrouvée sur les deux hommes.

En outre, le plaignant, qui affirmait que les suspects avaient volé l’argent lorsqu’il avait pris leur taxi, ne s’était même pas présenté au tribunal pour apporter une quelconque preuve.

Dans le nord du Nigeria, les tribunaux islamiques chargés d’appliquer la Charia fonctionnent en parallèle avec les systèmes judiciaires des Etats et les cours fédérales. Ils sont surtout utilisés par les musulmans pour régler des questions de propriété, d’héritage et des conflits matrimoniaux, comme dans de nombreux pays musulmans.

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Au début de l’année, les tribunaux islamiques avaient fait la une des médias internationaux lorsqu’un groupe d’hommes avait comparu devant l’un d’eux dans la ville de Bauchi (nord) sous l’accusation d’homosexualité, théoriquement passible de la peine capitale.

Pour l’avocat Umar Ado, l’affaire des deux chauffeurs de taxi, parmi bien d’autres, est révélatrice car elle pointe des problèmes flagrants dans le système judiciaire.

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« Le jugement en appel à des conséquences importantes et met en lumière les lacunes des juges de la Charia et les abus procéduraux dans les tribunaux islamiques », souligne-t-il.

De plus, dans cette même affaire, le juge n’a même pas pris la peine d’appeler des témoins à la barre, tandis que les accusés ignoraient leur droit à faire appel, souligne un autre avocat, Abdulhamid Zubairu.

« Le juge aurait dû les informer qu’ils pouvaient faire appel de leur condamnation dans un délai de 30 jours, conformément à la loi », dénonce-t-il.

– mépris flagrant des procédures judiciaires-

Pour Umar Ado, de nombreux juges islamiques font preuve d’un « mépris flagrant des procédures judiciaires » et d’un « manque de compréhension des dispositions juridiques de la Charia ».

Actuellement, quiconque a une certaine connaissance de la loi coranique et détient quelques diplômes scolaires peut être nommé juge dans un tribunal islamique.

Selon M. Ado, cela ne suffit pas: certains jugent à la va-vite, « pour la galerie » qui croit à tort que la Charia consiste à asséner des jugements sévères.

« Avant qu’un juge de la Charia soit nommé, il devrait passer des tests de compétence rigoureux et son passé devrait être vérifié pour être sûr qu’il est la bonne personne pour le job », estime-t-il.

Pour Suleiman Hassan, un autre homme de loi, l’absence de sanctions contre les juges incompétents constitue une autre faiblesse du système, qui entretient l’impunité.

Depuis la réintroduction il y a 15 ans de la Charia dans 12 Etats du nord du Nigeria, des dizaines de verdicts d’amputation ont été prononcées.

Mais seuls deux ont été appliqués, les autres ayant été annulés en appel, majoritairement pour « vice de procédure et violation flagrante de la Charia », selon M. Ado.

Ces non-lieux en appel incluent les cas d’au moins quatre femmes condamnées à mort pour adultère après avoir donné naissance à des enfants illégitimes.

« En fait, certaines personnes moisissant actuellement en prison ont été injustement emprisonnées sans avoir bénéficié d’aucune aide », dénonce Kabiru Dodo, le responsable gouvernemental à l’origine de l’appel des deux chauffeurs de taxi.

Un haut responsable de l’Etat de Zamfara, un des Etats du nord, qui a milité pour la réintroduction de la Charia, a reconnu la gravité des problèmes.

« Nous sommes conscients des lacunes des juges qui rendent justice au nom de la Charia, et je crois que la réforme du système pénal en cours dans tout le pays devrait corriger cette anomalie », a affirmé ce haut responsable sous couvert d’anonymat.

« Toutefois, il ne s’agit pas de quelque chose qui peut être rectifié du jour au lendemain. C’est un processus graduel qui nécessite une approche délicate mais ferme », a-t-il estimé.

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