Le génome des pygmées, clef d’une histoire oubliée
Faute de vestiges archéologiques ou de textes anciens, le seul moyen de retracer l’histoire de certaines populations est parfois l’ADN. C’est en lisant dans leur génome que des chercheurs ont pu révéler certains aspects inconnus des pygmées, chasseurs-cueilleurs d’Afrique centrale.
Voici quelques années, les travaux de Lluis Quintana-Murci et Etienne Patin, généticiens de l’Institut Pasteur et du CNRS, avaient déjà réussi pour la première fois à situer dans le temps la séparation des ancêtres des pygmées avec ceux des agriculteurs bantous: voici environ 60. 000 à 70. 000 ans, bien avant que les derniers Néandertaliens se soient éteints en Europe.
« Ces populations ont donc passé plusieurs dizaines de milliers d’années à s’adapter à des milieux de vie différents », chacune dans leur coin et quasiment sans laisser de traces dans les sols acides de la forêt équatoriale, relève Etienne Patin.
Quand leurs routes se sont-elles de nouveau croisées?
Les théories actuelles affirment que pygmées et agriculteurs ont commencé à se mélanger génétiquement il y a 5. 000 ans, au moment où les bantous, en pleine expansion démographique, sont arrivés dans les forêts habitées par les pygmées.
Faux, rétorquent Lluis Quintana-Murci et Etienne Patin, qui ont analysé et comparé le génome de plus de 300 personnes, à la fois pygmées et bantous de différents pays d’Afrique centrale (Gabon, Cameroun, Ouganda, Centrafrique et RDC), dans une étude publiée mardi par la revue Nature Communications. « Nous montrons qu’en réalité ces mélanges ont commencé principalement il y a moins de mille ans », déclarent à l’AFP les chercheurs du laboratoire de « Génétique évolutive humaine ».
« Ce résultat suggère que les relations sociales qui se sont établies lors de leurs premières rencontres ont très vite été accompagnées par la mise en place d’un très fort tabou contre les intermariages, observé encore aujourd’hui », dit M. Patin.
« Moins on est pygmée, plus on est grand »
Selon des travaux anthropologiques, ce tabou pourrait venir du statut particulier des pygmées aux yeux de leurs voisins agriculteurs, à la fois craints pour leurs connaissances magiques de la forêt mais aussi dévalorisés à cause de leur mode de vie.
« Le fait que les populations pygmées et agricultrices aient pu passer 3. 000 ans au contact les unes des autres sans se mélanger génétiquement remet en cause le modèle admis de l’isolement par la distance observé chez l’Homme », un principe qui veut que plus des populations sont proches géographiquement, plus elles deviennent proches génétiquement.
L’étude révèle en outre que les pygmées de la forêt équatoriale (moins de 200. 000 individus au total) ont une diversité génétique bien plus grande que leurs voisins bantous sédentaires. Par exemple, la population de chasseurs-cueilleurs Batwa d’Ouganda – dont le génome a été étudié pour la première fois – est étonnamment distincte génétiquement des pygmées Mbuti qui vivent à seulement 500 km de là, en RDC.
Autre phénomène mis en lumière par la comparaison d’ADN, le génome de la population pygmée peut contenir jusqu’à 50% de matériel génétique hérité de non-pygmées, mais l’inverse n’a pas été observé chez les populations bantoues.
Toutes les populations pygmées présentent une taille moyenne inférieure à celle de leurs voisins agriculteurs, mais leur taille est proportionnelle à la quantité du génome hérité de non-pygmées: « Moins on est pygmée – génétiquement parlant -, plus on est grand », résume Etienne Patin.
La petite taille des pygmées est donc inscrite dans leur génome, mais « il n’y a visiblement pas de gène unique de la taille pygmée », cela dépend d’un grand nombre de gènes, comme c’est le cas pour les populations européennes, souligne le chercheur.
Au-delà de la taille, « ces populations sont connues pour avoir d’autres différences morphologiques (couleur de peau, nature des cheveux, largeur du nez) et de prévalence de maladies infectieuses, sujet sur lequel nous concentrons tous nos efforts actuels. «
L’équipe a ainsi entamé une étude séquençant le génome complet de vingt pygmées et de vingt agriculteurs bantous pour trouver les raisons de ces spécificités.
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