Au Burundi, l’église catholique, épine dans le pied du président Nkurunziza
Ce dimanche, l’église de Kiryama, en haut de la colline burundaise éponyme, est bondée. L’archevêque de Gitega (centre), Simon Ntamwana, est venu dire la messe et a préparé un sermon de circonstance en cette période pré-électorale.
Quelques jours plus tôt, la très influente Eglise catholique burundaise a pris position dans le débat qui monopolise les conversations à l’approche de la présidentielle de juin, s’opposant à un troisième mandat du chef de l’Etat Pierre Nkurunziza.
Jugeant limpides sur la question les accords de paix d’Arusha, qui avaient ouvert la voix à la fin d’une longue guerre civile, et la Constitution, elle a invité les « politiciens » à ne pas interpréter les textes « avec malignité, juste pour préserver leurs propres intérêts ».
Devant les centaines de paroissiens réunis à Kiryama, dans le centre du Burundi, Monseigneur Ntamwana plonge dans l’Ancien Testament pour reformuler le message à l’aide de deux rois juifs: Sédécias, qui, « en courant derrière les richesses », a conduit Jérusalem à sa perte, et Cyrus, qui, se souvenant de « l’amour de Dieu », a ramené la « bénédiction divine ».
« On ne peut pas choisir d’autres voies que celles de l’amour, (. . . ) du respect mutuel, (. . . ) que celles qui passent par le respect des principes qui dirigent notre pays », martèle-t-il aux fidèles.
– ‘Dommage immense’ –
Très attendu, le positionnement de l’Eglise –sans doute influencé par le récent meurtre de trois religieuses italiennes, meurtre dans lequel seraient impliqués de hauts responsables du renseignement burundais selon des médias locaux– a causé « un dommage immense » au camp présidentiel, de l’aveu même d’un cadre du parti au pouvoir (Cndd-FDD).
« L’Eglise catholique, c’est entre 75% et 80% de la population, donc c’est une force sociale, une force d’influence », explique Julien Nimubona, professeur de sciences politiques, notant le poids du religieux jusque sur la classe politique — Pierre Nkurunziza, chrétien « born-again » (revenu à la foi), dit avoir reçu des « dons de Dieu » pour gouverner.
« Les évêques sortent rarement de leur réserve sur le terrain politique », renchérit Innocent Muhozi, figure de la société civile. Mais « dans toutes les grandes crises que l’on a eues, l’église catholique a joué un rôle plutôt positif. Chaque fois que l’Etat devenait fou, l’église essayait de tempérer ».
En 1972, l’Eglise condamne les premiers massacres interethniques et la répression de l’élite hutu qui s’ensuit. Pas assez ouvertement pour certains, mais les évêques burundais se justifient dans des lettres internes: ils ne veulent pas qu’ »empire » la situation.
Pendant la guerre civile (1993-2006), l’Eglise dénonce le coup d’Etat contre le premier président élu du pays, Melchior Ndadaye, puis les tueries qui s’enchaînent.
Elle perd un archevêque: celui de Gitega, Joachim Ruhuna, tué en 1996 par la rébellion hutu qu’était alors le Cndd-FDD, après avoir condamné le massacre de centaines de réfugiés tutsi. Sept ans plus tard, le nonce apostolique Michael Aidan Courtney tombe à son tour dans une embuscade après avoir rencontré les autorités religieuses, politiques et militaires du pays.
Mais c’est dans les années 80 que l’Eglise joue sans doute son jeu le plus politique: elle est engagée dans un bras de fer avec le président putschiste Jean-Baptiste Bagaza, qui l’accuse de saper son autorité et tente de réduire son influence en lui interdisant d’enseigner ou de dire la messe en semaine, et contribue à sa chute dans le coup d’Etat de 1987.
« L’Eglise catholique a toujours été en conflit avec le pouvoir, sauf probablement sous (Pierre) Buyoya », successeur de Bagaza, qui avait compris qu’il fallait avoir « de bonnes relations avec l’Eglise », poursuit Julien Nimubona. Mais aujourd’hui plus que jamais, estime-il, les évêques sont unis pour dire « Pas de troisième mandat ».
Quel sera leur influence concrète? « On verra », dit-il, soulignant que l’électorat burundais, « plutôt communautariste », réagit aussi en fonction « d’autres logiques », notamment de « peur », de « régionalisme » ou de problèmes de « chômage » et « d’emploi ».
Comme Gitega, la province voisine de Karuzi, qui abrite l’église de Kiryama dans la commune de Shombo, est un fief Cndd-FDD. Mais les évêques semblent avoir été entendus.
« L’église, je la soutiens », lance Longin Ciza, agriculteur. Routes bitumées, écoles gratuites. . . il salue le travail de Pierre Nkurunziza depuis son accession au pouvoir en 2005, mais lui conseille de se retirer.
« Quand vous travaillez pendant dix ans (. . . ), si vous continuez, vous risquez de tout gâcher », lâche-t-il.
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