RDC : à Panzi, la musique au secours des « survivantes » des viols
D’abord timide, la mélopée gagne peu à peu en assurance : « Aide-moi, chaque jour m’est difficile, aide-moi à sortir de cette souffrance ». Une souffrance immense que la musique doit aider à soulager.
Les chanteuses, une poignée de jeunes filles, ont l’âge d’aller à l’école mais certaines sont déjà mères. A l’hôpital de Panzi, où elles ont été soignées, on les appelle des « survivantes » pour ne pas enfermer dans un statut de victimes ces femmes qui ont subi les pires sévices sexuels.
Dirigée par le célèbre chirurgien Denis Mukwege, cette institution médicale de Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu, se bat depuis plus de quinze ans pour redonner une dignité à des dizaines de milliers de femmes détruites par des viols d’une barbarie extrême au cours des conflits armés qui continuent de déchirer l’est de la République démocratique du Congo.
L’hôpital ne se contente pas de soigner et véritablement « réparer » ces femmes à l’appareil génital affreusement mutilé par toutes sortes de tortures. Il les accompagne aussi pour les aider à devenir autonomes et à reprendre confiance en elles pour surmonter les préjugés, la honte, et retrouver une place dans leur communauté, qui souvent ne veut plus d’elles.
Cet après-midi, ce long travail passe par la musique. L’expérience est nouvelle. C’est même une première et l’aboutissement de trois ans de travail pour le Canadien Darcy Ataman, qui dirige ce projet accueilli par la Fondation Panzi, association qui prolonge l’oeuvre de l’hôpital et coordonne une série de programmes d’aide aux femmes.
A l’étage du grand bâtiment récemment construit pour accueillir la fondation, c’est un véritable studio qui a été installé : synthétiseur, casques audio bien alignés sur le mur, ordinateur, micros et matériel d’enregistrement.
– Reconnaissance –
On commence par quelques essais à vide pour se faire la voix. « Attention, là tu chantes trop fort », dit à une petite chanteuse Jojo, le « producteur ».
Puis en musique sur un fond produit par l’ordinateur: « Merci Dr Mukwege, merci », chante le choeur en boucle sur un ton où se mêlent joie et tristesse.
« On ne peut pas chanter autre chose ? », demande, mi-amusé mi-contrarié, le médecin venu assister à la séance inaugurale, avant que les participantes ne s’attaquent à la rédaction d’une chanson.
Certaines ont une vraie voix, très expressive. Elles participent activement aux chants de la prière du matin, explique M. Ataman.
Les chanteuses ont entre 13 et 18 ans. Difficile cependant de mettre un âge sur ces visages dont le regard semble souvent se perdre dans le vide. Leur chant produit une impression de force et de fragilité mélangées.
Enfin, l’enregistrement est terminé. Chacune aura son CD, promet M. Ataman, mais il y a encore beaucoup de travail d’édition pour arriver à un beau résultat.
« C’est juste un rapide exemple de ce qui peut être fait », dit-il, une première démonstration avant la mise en place de cette activité qui sera ouverte trois fois par semaine.
M. Ataman explique que l’idée du projet est née il y a quelques années lors d’un séjour dans un pays voisin après avoir assisté à une séance d’improvisation musicale avec un groupe de jeunes.
Les chansons traitaient toutes de « sujets très lourds, le sida bien sûr, leur droit de vendre leur corps » pour gagner de quoi survivre, se souvient-il.
Des études ont montré que « la musique est un très bon moyen pour briser des tabous. En parler face à face c’est trop difficile, mais à travers la musique, c’est acceptable ».
Au sortir de l’atelier, Neema (prénom fictif) est contente. Pour se présenter, elle commence par raconter son histoire, la violence des hommes sur son corps et celui de sa mère, son errance avant son arrivée à Panzi.
« Ca va beaucoup m’aider, dit-elle, parce qu’au lieu de tout le temps vivre dans mes souvenirs, ce sera pour moi une façon d’obtenir une consolation ».
A côté d’elle, Baraka rêve déjà de faire carrière dans la musique. « Je suis certaine que cette activité va permettre que je sois connue du grand public », dit-elle.
Pour M. Ataman, son rêve n’a rien d’impossible : le budget de l’atelier de musicothérapie prévoit des fonds pour permettre la diffusion sur les radios locales des chansons des « survivantes ».
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