Pour le Dr Mukwege, les violences sexuelles restent un « cancer » en RDC
Les violences sexuelles restent « un cancer » pour la République démocratique du Congo, en dépit de la baisse des conflits armés qu’on y observe, regrette le célèbre gynécologue congolais Denis Mukwege.
« Aujourd’hui on voit très bien que ces violences se propagent dans les villes, se propagent même loin de l’épicentre qu’était l’est » du pays, constate le Dr Mukwege, lors d’un entretien accordé à l’AFP dans son bureau de l’hôpital de Panzi, dans la banlieue de Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu.
Créé en 1999 pour permettre aux femmes d’accoucher dans des conditions d’hygiène acceptable, l’hôpital de Panzi est vite devenu une clinique du viol à mesure que les régions des Kivus sombraient dans l’horreur de la deuxième guerre du Congo (1998-2003).
Tous les belligérants font alors un recours quasi-systématique aux viols accompagnés de violences inouïes dans l’intention manifeste de détruire les femmes – et partant, certains groupes ethniques.
Pour le Nord et le Sud-Kivu, la fin de la guerre ne signifie pas le retour à la paix : les deux provinces restent déchirées par les conflits et de nombreuses milices congolaises ou étrangères y font encore aujourd’hui régner la terreur dans bien des zones.
Dans l’ensemble, la situation s’y améliore néanmoins doucement depuis environ deux ans, notamment du fait des progrès de l’armée.
Mais « nous ne voyons pas l’impact de cette diminution des foyers de conflits », déplore le Dr Mukwege, dont le combat a été récompensé en octobre par le Prix Sakharov du Parlement européen pour les droits de l’Homme.
« Il y a une diminution du nombre de victimes que nous soignons à Panzi mais ce que nous observons c’est » l’apparition « de types de viols que l’on ne voyait pas », dit-il de sa voix grave et sourde.
« C’est comme si la technique des viols s’améliorait », dit-il citant les viols d’enfants de moins de cinq ans, parfois des nourrissons, ou encore « des enlèvements en ville suivis de viols ou d’assassinats ».
– ‘Parlons des malades !’-
« L’homme qui répare les femmes » voit deux explications à ces nouvelles formes de violences faite aux femmes, aux filles et aux fillettes : une absence de prise en charge psychologique des combattants des groupes armés démobilisés et un « phénomène d’impunité généralisée » pour les criminels sexuels.
« Aujourd’hui ce manque de prise en charge des démobilisés fait [qu’on assiste] à une propagation du mal dans la société comme un cancer », dit-il.
« Nous avons tous ignoré que ces gens étaient eux-mêmes détruits, [que] c’étaient des bourreaux-victimes. Lorsque vous prenez un enfant de dix-douze ans, que vous lui apprenez à violer, à tuer à détruire, qu’il fait ça pendant cinq, six, huit ans et qu’après vous le remettez dans la société sans aucune forme de traitement pour lui-même, alors vous remettez dans la société un homme dangereux. «
Interrogé sur le litige qui oppose l’hôpital de Panzi au fisc congolais depuis la fin de l’année 2014, le Dr Mukwege indique qu’à ses yeux l’affaire n’a fait aucun progrès.
L’hôpital avait dénoncé au tournant de l’année la saisie de ses comptes par la Direction générale des impôts au titre d’un redressement fiscal qu’il contestait. Depuis lors, une mission de médiation menée par les services du ministère de la Santé a estimé que l’hôpital n’avait pas fraudé et que le différend portait sur l’ »interprétation » des textes.
Le médecin déplore le manque d’information du fisc sur ce qui est reproché à son établissement : « on ne nous dit rien », « on continue à nous réclamer [. . . ] 600. 000 dollars, mais [. . . ] ça veut dire tout simplement fermer l’hôpital ».
Le Dr Mukwege, qui a échappé miraculeusement à une tentative d’assassinat en 2012, vit aujourd’hui sous la protection de la Mission de l’ONU au Congo et ne se déplace pas à l’intérieur de l’hôpital sans être suivi par deux Casques bleus pakistanais.
Depuis peu la rumeur court qu’il va se lancer en politique, peut-être à l’occasion de la présidentielle de 2016.
Sur ce point il répond : « Aujourd’hui vous me trouvez à l’hôpital. Pourquoi les gens veulent que je parle de quelque chose que je ne suis pas en train de faire. Parlons des malades ! »
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